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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 29 septembre 2016 (1)

Affaire C-592/15

Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

contre

British Film Institute

(demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal [England & Wales] [Civil Division] [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni])

« Taxe sur la valeur ajoutée – Sixième directive 77/388/CEE – Article 13, A, paragraphe 1, sous n) – Exonérations de certaines prestations de services culturels – Pouvoir d’appréciation des États membres quant aux services culturels pouvant rentrer dans le champ d’application de l’exonération »





1.        Dans la présente affaire, la Cour est amenée à préciser la portée de l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388/CEE (2). Cette disposition prévoit que les États membres exonèrent « certaines prestations de services culturels, ainsi que les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes culturels reconnus par l’État membre concerné ».

2.        La juridiction de renvoi, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni], se demande si cette disposition laisse une certaine marge d’appréciation aux États membres quant au choix des prestations de services culturels pouvant bénéficier d’une telle exonération. Elle cherche également à savoir si ladite disposition est d’effet direct et peut, dès lors, être invoquée directement par les assujettis devant le juge national lorsque l’État membre concerné s’est abstenu de transposer dans les délais la sixième directive en droit national.

3.        Dans les présentes conclusions, nous expliquerons les raisons pour lesquelles nous estimons que l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la notion de « certaines prestations de services culturels » laisse aux États membres le soin de déterminer quelles prestations de services culturels peuvent faire l’objet d’une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Nous préciserons qu’il appartient à la juridiction nationale de déterminer, en tenant compte du contenu des prestations de services en cause, si l’exclusion du bénéfice de l’exonération de la TVA envers la défenderesse au principal, British Film Institute, respecte le principe de neutralité fiscale et, notamment, si elle entraîne ou non une violation du principe d’égalité de traitement par rapport à d’autres opérateurs effectuant les mêmes prestations dans des situations comparables et jouissant de l’exonération de la TVA pour ces prestations.

4.        Puis, nous indiquerons pourquoi, selon nous, cette disposition ne peut pas être directement invoquée par un assujetti devant la juridiction nationale.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

5.        L’article 13, A, de la sixième directive prévoit ce qui suit :

« 1.      Sans préjudices d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et [tout] abus éventuels :

[...]

m)      certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique ;

n)      certaines prestations de services culturels, ainsi que les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes culturels reconnus par l’État membre concerné ;

[...] »

6.        La sixième directive a été abrogée, à partir du 1er janvier 2007, par la directive 2006/112/CE (3). Elle reprend, en substance, les dispositions de la sixième directive.

7.        L’article 132 de cette directive est rédigé de la manière suivante :

« 1.      Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

m)      certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique ;

n)      certaines prestations de services culturels, ainsi que les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes culturels reconnus par l’État membre concerné ;

[...] »

B –    Le droit du Royaume-Uni

8.        Avant le 1er juin 1996, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ne prévoyait pas de dispositions exonérant les prestations de services culturels. Ce n’est qu’à compter de cette date, qui correspond à la date d’entrée en vigueur du groupe 13 de l’annexe 9 du Value Added Tax Act 1994 (loi de 1994 sur la taxe sur la valeur ajoutée) que la législation du Royaume-Uni a exonéré de TVA certaines prestations de services culturels. Ainsi, les points 1 et 2 de cette loi prévoient qu’est exonéré de TVA l’octroi, par un organisme public ou par un organisme éligible, d’un droit d’admission à un musée, à une galerie d’art, à une exposition artistique ou à un zoo ou bien à un spectacle théâtral, musical ou chorégraphique de nature culturelle.

9.        Conformément à la note 1 de ladite loi, l’organisme public est entendu comme une autorité locale, un service de gouvernement, au sens de l’article 41, paragraphe 6, de la même loi, ou bien comme un organisme non gouvernemental figurant dans l’édition de 1995 de la liste publiée par l’Office of Public Service (service responsable de la publication de textes officiels) intitulée « Organismes publics ». Par ailleurs, en vertu de la note 2 de la loi de 1994 sur la taxe sur la valeur ajoutée, il convient d’entendre par « organismes éligibles » tout organisme (autre qu’un organisme public) qui n’a pas le droit de distribuer, et ne distribue pas, ses bénéfices éventuels, qui affecte tout bénéfice tiré de la fourniture correspondant à la description donnée au point 2 de cette loi au maintien ou à l’amélioration du service fourni dans le cadre des prestations et qui est géré et administré à titre bénévole par des personnes n’ayant aucun intérêt direct ou indirect dans son exploitation.

10.      En vertu de la note 3 de ladite loi, le point 1 de celle-ci ne s’applique pas à une prestation dont l’exonération serait susceptible d’entraîner des distorsions de concurrence et de désavantager ainsi une entreprise commerciale d’une personne assujettie. En outre, la note 4 de la loi de 1994 sur la taxe sur la valeur ajoutée indique que le point 1, sous b), de cette même loi ne s’applique à l’octroi d’un droit d’admission à un spectacle que si le spectacle est proposé exclusivement par un ou plusieurs organismes publics, un ou plusieurs organismes éligibles ou une association d’organismes publics et d’organismes éligibles.

II – Les faits du litige au principal

11.      British Film Institute est un organisme à but non lucratif dont le rôle est de promouvoir le cinéma au Royaume-Uni. Il a été, notamment, convenu en 1951 que cet organisme pouvait diriger le National Film Theatre et, à partir du mois d’avril 2011, il a été convenu, également, qu’il prendrait en charge les activités du UK Film Council (Conseil cinématographique britannique).

12.      Au cours de la période allant du 1er janvier 1990 au 31 mai 1996 (ci-après la « période litigieuse »), British Film Institute a acquitté la TVA au taux normal sur les prestations d’octroi de droits d’admission à des projections de films organisées au National Film Theatre ainsi qu’à l’occasion de différents festivals de films.

13.      Estimant que ces prestations constituaient des « prestations de services culturels », au sens de l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive, et que, dès lors, lesdites prestations auraient dû être exonérées de TVA, British Film Institute a présenté une réclamation visant à obtenir le remboursement de la TVA acquittée au cours de la période litigieuse. Par lettre du 23 novembre 2009, Her Majesty’s Revenue and Customs (administration de la fiscalité et des douanes au Royaume-Uni) a rejeté cette demande. Cette administration a confirmé sa décision lors de son réexamen le 3 février 2010.

14.      British Film Institute a alors formé un recours contre ladite décision devant le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni]. Ce dernier, par décision du 5 décembre 2012, a jugé que l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive était d’effet direct, avec pour conséquence que les prestations consistant en l’octroi de droits d’admission à des projections de film fournies par la défenderesse au principal au cours de la période litigieuse étaient exonérées en vertu de cette disposition.

15.      L’administration de la fiscalité et des douanes au Royaume-Uni a fait appel de la décision du 5 décembre 2012 devant l’Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) [tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery), Royaume-Uni]. Par décision du 12 août 2014, ce dernier a rejeté l’appel. L’administration de la fiscalité et des douanes au Royaume-Uni a alors été autorisée à saisir la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)], qui a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour sur les dispositions pertinentes du droit de l’Union.

III – Les questions préjudicielles

16.      La Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)] a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les termes de l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive, en particulier l’expression ‟certaines prestations de services culturels”, sont-ils suffisamment clairs et précis pour que cette disposition soit d’effet direct, de sorte qu’elle exonère les prestations de services culturels fournis par les organismes de droit public ou autres organismes culturels reconnus, telles que les prestations de la défenderesse au principal dans la présente affaire, en l’absence de législation nationale de transposition ?

2)      Les termes de l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive, en particulier l’expression ‟certaines prestations de services culturels”, laissent-ils aux États membres un pouvoir d’appréciation s’agissant de leur application par l’intermédiaire de la législation de transposition et, le cas échéant, quel est-il ?

3)      Les conclusions relatives aux questions précédentes s’appliquent-elles également à l’article 132, paragraphe 1, sous n), de la de la directive 2006/112 ? »

IV – Notre analyse

17.      Étant donné que, dans la présente affaire, la période litigieuse se situe entre le 1er janvier 1990 et le 31 mai 1996 et que l’article 413 de la directive 2006/112 indique que cette dernière entre en vigueur au 1er janvier 2007, nous estimons que cette directive n’est pas applicable aux faits du litige au principal. Dès lors, il n’est pas pertinent de répondre à la dernière question posée par la juridiction de renvoi portant sur l’article 132, paragraphe 1, sous n), de ladite directive.

18.      Par sa deuxième question, qu’il convient, selon nous, de traiter en premier lieu, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la notion de « certaines prestations de services culturels » englobe toutes les prestations de services culturels ou bien laisse aux États membres le soin de déterminer quelles prestations de services culturels peuvent faire l’objet d’une exonération de la TVA.

19.      D’emblée il est exclu, selon nous, de considérer, comme le soutient la défenderesse au principal, que l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive prévoit l’obligation pour les États membres d’exonérer toutes les prestations de services culturels. Le seul choix du terme « certaines » au lieu de « toutes » ou de « les » démontre à suffisance que le législateur de l’Union avait la volonté non pas de faire de cette exonération une exonération générale pour tous ces services, mais bien de prévoir une telle exonération pour quelques-uns d’entre eux.

20.      À cet égard, il ne fait pas de doute que, en employant le terme « certaines », le législateur de l’Union a entendu laisser aux États membres le soin de décider quelles prestations de services culturels peuvent être exonérées de la TVA.

21.      Comme le précise la Commission européenne, il ressort des travaux préparatoires ayant mené à l’adoption de la sixième directive que, initialement, il avait été proposé d’établir une liste exhaustive des prestations de services culturels faisant l’objet d’une exonération de la TVA. Cela concernait précisément les prestations de services des théâtres, des ciné-clubs, des concerts, des musées, des bibliothèques, des parcs publics, des jardins botaniques ou zoologiques, des expositions de caractère éducatif, ainsi que les opérations effectuées dans le cadre d’activités présentant un intérêt collectif de nature sociale, culturelle ou éducative (4). Force est de constater que cette proposition n’a pas été retenue par le législateur de l’Union.

22.      Par ailleurs, nous notons que, dans le premier rapport de la Commission au Conseil sur le fonctionnement du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée conformément à l’article 34 de la sixième directive (77/388/CEE) du 17 mai 1977 (5), la Commission, qui avait pointé du doigt l’imprécision du libellé de l’article 13, A, paragraphe 1, sous m) et n), de la sixième directive, indiquait ce qui suit, à savoir « [i]l paraît paradoxal d’instituer des cas d’exonération obligatoire dont le contenu est laissé à l’appréciation de chaque État membre ». La proposition de modification de la sixième directive qui a suivi ce rapport présentait, par conséquent, un changement de ce libellé. Une fois encore, la Commission proposait une liste exhaustive des prestations de services culturels faisant l’objet d’une exonération de la TVA (6). Ce changement n’a toutefois pas été accepté par les États membres.

23.      Cette large marge d’appréciation laissée aux États membres en ce qui concerne l’exonération des prestations de services culturels n’est pas étonnante. En effet, les traditions culturelles et les patrimoines régionaux sont très variés au sein de l’Union européenne et parfois au sein d’un même État membre. Il existe autant de cultures que d’États membres. Ces derniers, fort logiquement, sont donc les mieux placés pour identifier les prestations de services culturels les mieux à même de servir l’intérêt général, puisque, nous le rappelons, l’article 13, A, de la sixième directive vise les exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général.

24.      Nous ajoutons que, contrairement à ce qu’a soutenu la défenderesse au principal lors de l’audience, dans le cadre de sa réplique, nous ne pensons pas que, pour pouvoir bénéficier de l’exonération prévue à l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de cette directive, seule importe la nature de l’organisme fournissant les prestations, à savoir un organisme de droit public ou d’autres organismes culturels reconnus par l’État membre. La défenderesse au principal semble, en effet, admettre que, à partir du moment où la prestation de services en cause a été effectuée par ce type d’organisme, ce dernier bénéficie automatiquement de l’exonération. Or, si la qualité du prestataire de services culturels est, effectivement, une condition d’octroi de cette exonération, la nature de la prestation de services visée à cette disposition en est une autre. Il ne suffit donc pas que l’organisme qui fournit la prestation de services culturels soit un organisme de droit public ou reconnu comme étant un organisme culturel par l’État membre concerné pour que cette dernière soit exonérée de la TVA, mais encore faut-il que cette prestation, ainsi que nous l’avons vu précédemment, soit reconnue comme éligible par cet État.

25.      Pour autant, la Cour a itérativement rappelé que les exonérations visées à l’article 13 de la sixième directive constituent des notions autonomes du droit de l’Union ayant pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de TVA d’un État membre à l’autre (7). Il est également de jurisprudence constante que les termes employés pour désigner lesdites exonérations sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (8).

26.      Comment concilier, alors, la large marge d’appréciation dont disposent les États membres en ce qui concerne l’exonération de certaines prestations de services culturels avec cette jurisprudence ?

27.      À notre avis, il serait vain, précisément pour les raisons évoquées précédemment, de donner une définition de la notion de « certaines prestations de services culturels ». En revanche, nous estimons que l’exercice de ce large pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres est nécessairement encadré par les objectifs poursuivis par la sixième directive ainsi que par les principes qui gouvernent la TVA.

28.      Ainsi, nous rappelons que l’article 13 de cette directive, qui prévoit des exonérations de la TVA, est une exception au principe énoncé à l’article 2 de cette même directive, qui indique, notamment, que les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, sont soumises à la TVA (9). La règle générale est donc l’assujettissement à la TVA pour ces prestations.

29.      Par ailleurs, la Cour a jugé que l’article 13, A, de la sixième directive vise à exonérer de la TVA certaines activités d’intérêt général et non toutes ces activités (10).

30.      Il est donc indéniable que, si les États membres possèdent bien une large marge d’appréciation en ce qui concerne le choix des prestations de services culturels qui peuvent faire l’objet d’une exonération de la TVA, ces derniers ne peuvent, en revanche, exclure toutes les prestations qui relèvent de cette catégorie.

31.      En outre, nous rappelons que les exonérations énumérées à l’article 13, A, paragraphe 1, sous h) à p), de cette directive visent des organismes agissant dans l’intérêt public dans un secteur social, culturel, religieux et sportif ou un secteur similaire. Leur objectif est donc un traitement plus favorable, en matière de TVA, de certains organismes dont les activités sont orientées vers des fins autres que commerciales (11).

32.      De plus, lorsque les législateurs nationaux décident quelles prestations de services culturels peuvent bénéficier de l’exonération de la TVA, ils doivent le faire dans le respect du principe de neutralité fiscale, principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par le droit de l’Union en la matière (12). Une différence de traitement au regard de la TVA de deux prestations de services identiques ou semblables du point de vue du consommateur et satisfaisant aux mêmes besoins de celui-ci suffit à établir une violation de ce principe (13). De même, le principe de neutralité fiscale implique l’élimination des distorsions de concurrence résultant d’un traitement différencié du point de vue de la TVA. Partant, la distorsion est démontrée dès qu’il est constaté que des prestations de services se trouvent en état de concurrence et sont traitées inégalement du point de vue de la TVA (14).

33.      Dans l’affaire au principal, nous pensons qu’il incombe dès lors à la juridiction de renvoi de déterminer, en tenant compte du contenu des prestations de services en cause, si l’exclusion du bénéfice de l’exonération de la TVA envers la défenderesse au principal entraîne ou non une violation du principe d’égalité de traitement par rapport à d’autres opérateurs effectuant les mêmes prestations dans des situations comparables et qui, eux, bénéficient de l’exonération prévue à l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive. À notre avis, compte tenu du rôle de la défenderesse au principal, qui est de promouvoir le cinéma au Royaume-Uni, cet examen devra se faire, en particulier, eu égard au point 1, groupe 13, de l’annexe 9 de la loi de 1994 sur la taxe sur la valeur ajoutée qui prévoit une telle exonération pour l’octroi, par des organismes publics ou des organismes éligibles, d’un droit d’admission à un spectacle théâtral, musical ou chorégraphique de nature culturelle.

34.      Cela étant posé, il convient, à présent, d’examiner la première question préjudicielle. Par cette question, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si, dans les circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive peut être directement invoqué par un assujetti devant le juge national.

35.      Selon une jurisprudence constante, dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées, à défaut de mesure d’application prises dans les délais, à l’encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive, ou encore en tant qu’elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l’égard de l’État (15).

36.      S’agissant plus particulièrement du contenu de l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive, force est de constater que cette disposition n’indique aucunement quelles activités peuvent bénéficier de l’exonération de la TVA. Bien au contraire, ainsi que nous l’avons vu, cette disposition laisse aux États membres une large marge d’appréciation à cet égard. Il nous paraît difficile, dès lors, que les juridictions nationales ou d’autres autorités puissent appliquer immédiatement cette disposition si des mesures spécifiques n’ont pas été mises en œuvre par les États membres afin de préciser son contenu. Il en irait différemment si, comme cela est le cas pour l’article 13, A, paragraphe 1, sous g), ou l’article 13, B, sous d), de cette directive auxquels la Cour a reconnu un effet direct (16), les termes employés étaient clairs et précis laissant peu de place au doute quant à son interprétation, permettant ainsi d’identifier aisément l’assujetti bénéficiaire de l’exonération.

37.      L’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive est donc, selon nous, dépourvu d’effet direct. Par conséquent, nous estimons qu’il ne peut pas être invoqué par un assujetti devant une juridiction nationale lorsque l’État membre concerné s’est abstenu de transposer dans les délais ladite directive en droit national.

V –    Conclusion

38.      Au vu de ce qui précède, nous proposons à la Cour de répondre à la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni] de la manière suivante :

1)      L’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 92/77/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, doit être interprété en ce sens que la notion de « certaines prestations de services culturels » laisse aux États membres le soin de déterminer quelles prestations de services culturels peuvent faire l’objet d’une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée.

Il appartient à la juridiction nationale de déterminer notamment, en tenant compte du contenu des prestations de services en cause, si l’exclusion du bénéfice de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée envers la défenderesse au principal respecte le principe de neutralité fiscale et, notamment, si elle entraîne ou non une violation du principe d’égalité de traitement par rapport à d’autres opérateurs effectuant les mêmes prestations dans des situations comparables et jouissant de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée pour ces prestations.

2)      L’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 92/77, ne peut pas être directement invoqué par un assujetti devant la juridiction nationale lorsque l’État membre concerné s’est abstenu de transposer dans les délais ladite directive en droit national.


1 Langue originale : le français.


2      Directive du Conseil du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 92/77/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992 (JO 1992, L 316, p. 1) (ci-après la « sixième directive »).


3      Directive du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).


4 Voir proposition de la sixième directive du Conseil en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, COM(73) 950 final, du 20 juin 1973 (Bulletin des Communautés européennes, supplément 11/73, p. 42).


5 COM(83) 426 final.


6 Voir proposition d’une dix-neuvième directive du Conseil en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires modifiant la directive 77/388/CEE – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée, COM(84) 648 final, du 5 décembre 1984 (JO 1984, C 347, p. 5).


7 Voir, notamment, arrêt du 28 juillet 2011, Nordea Pankki Suomi (C-350/10, EU:C:2011:532, point 22 et jurisprudence citée). Pour une jurisprudence récente concernant l’article 132 de la directive 2006/112, voir arrêt du 26 mai 2016, National Exhibition Centre (C-130/15, non publié, EU:C:2016:357, point 28).


8      Voir arrêt du 28 juillet 2011, Nordea Pankki Suomi (C-350/10, EU:C:2011:532, point 23 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 26 mai 2016, National Exhibition Centre (C-130/15, non publié, EU:C:2016:357, point 29).


9 Voir, notamment, arrêt du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark (C-150/99, EU:C:2001:34, point 19).


10 Voir arrêt du 9 février 2006, Stichting Kinderopvang Enschede (C-415/04, EU:C:2006:95, point 14 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 21 février 2013, Žamberk (C-18/12, EU:C:2013:95, point 18 et jurisprudence citée).


11 Voir arrêt du 21 mars 2002, Kennemer Golf (C-174/00, EU:C:2002:200, point 19).


12      Voir arrêt du 23 avril 2015, GST – Sarviz Germania (C-111/14, EU:C:2015:267, point 34 et jurisprudence citée).


13      Voir arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group (C-259/10 et C-260/10, EU:C:2011:719, point 36).


14      Voir arrêt du 19 juillet 2012, A (C-33/11, EU:C:2012:482, point 33 et jurisprudence citée).


15      Voir arrêts du 6 novembre 2003, Dornier (C-45/01, EU:C:2003:595, point 78 et jurisprudence citée), ainsi que du 16 juillet 2015, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrt (C-108/14 et C-109/14, EU:C:2015:496, point 48 et jurisprudence citée).


16      Voir, respectivement, arrêts du 10 septembre 2002, Kügler (C-141/00, EU:C:2002:473, points 52 et suivants) ainsi que du 19 janvier 1982, Becker (8/81, EU:C:1982:7, points 17 et suivants.