ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
7 septembre 2017 (*)
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité directe – Liberté d’établissement – Libre circulation des capitaux – Retenue à la source – Directive 90/435/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Article 5, paragraphe 1 –Exonération – Dividendes distribués par une filiale résidente à une société mère non-résidente détenue d’une manière directe ou indirecte par des résidents d’États tiers – Présomption – Fraude, évasion et abus fiscaux »
Dans l’affaire C-6/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 30 décembre 2015, parvenue à la Cour le 6 janvier 2016, dans la procédure
Eqiom SAS, anciennement Holcim France SAS,
Enka SA
contre
Ministre des Finances et des Comptes publics,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. A. Arabadjiev et C.G. Fernlund (rapporteur), juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 novembre 2016,
considérant les observations présentées :
– pour Eqiom SAS et Enka SA, par Me R. Alberti, avocat,
– pour le gouvernement français, par M. D. Colas et Mme S. Ghiandoni, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement danois, par M. C. Thorning et Mme M. Wolff, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et R. Kanitz, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González et Mme V. Ester Casas, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. De Bonis, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et L. Pamukcu, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 janvier 2017,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 63 TFUE ainsi que de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 1990, L 225, p. 6), telle que modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 (JO 2004, L 7, p. 41) (ci-après la « directive mères-filiales »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eqiom SAS, anciennement Holcim France SAS, venant aux droits de la société Euro Stockage, et Enka SA à l’administration fiscale française au sujet du refus opposé par cette dernière d’exonérer de retenue à la source des dividendes distribués par Euro Stockage à Enka, société mère d’Euro Stockage.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les troisième et cinquième considérants de la directive mères-filiales sont ainsi libellés :
« considérant que les dispositions fiscales actuelles régissant les relations entre sociétés mères et filiales d’États membres différents varient sensiblement d’un État membre à l’autre et sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d’un même État membre ; que la coopération entre sociétés d’États membres différents est, de ce fait, pénalisée par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre ; qu’il convient d’éliminer cette pénalisation par l’instauration d’un régime commun et de faciliter ainsi les regroupements de sociétés à l’échelle communautaire ;
[...]
considérant qu’il convient par ailleurs, pour assurer la neutralité fiscale, d’exempter de retenue à la source, sauf dans certains cas particuliers, les bénéfices qu’une société filiale distribue à sa société mère ; [...] »
4 L’article 1er de cette directive énonce :
« 1. Chaque État membre applique la présente directive :
aux distributions de bénéfices reçues par des sociétés de cet État et provenant de leurs filiales d’autres États membres,
aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État à des sociétés d’autres États membres dont elles sont les filiales,
[...]
2. La présente directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus. »
5 L’article 5, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :
« Les bénéfices distribués par une société filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source. »
Le droit français
6 Le code général des impôts, dans sa version applicable à la date des faits au principal (ci-après le « CGI »), dispose, à son article 119 bis, paragraphe 2, premier alinéa :
« Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187-1 lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Un décret fixe les modalités et conditions d’application de cette disposition. »
7 L’article 119 ter du CGI prévoit :
« 1. La retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis n’est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale qui remplit les conditions énumérées au 2 du présent article par une société ou un organisme soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal.
2. Pour bénéficier de l’exonération prévue au 1, la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu’elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu’elle remplit les conditions suivantes :
a) Avoir son siège de direction effective dans un État membre de la Communauté européenne et n’être pas considérée, aux termes d’une convention en matière de double imposition conclue avec un État tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de la Communauté ;
b) Revêtir l’une des formes énumérées sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de l’économie conformément à l’annexe à la [directive mères-filiales] ;
c) Détenir directement, de façon ininterrompue depuis deux ans ou plus, 25 % au moins du capital de la personne morale qui distribue les dividendes, ou prendre l’engagement de conserver cette participation de façon ininterrompue pendant un délai de deux ans au moins et désigner, comme en matière de taxes sur le chiffre d’affaires, un représentant qui est responsable du paiement de la retenue à la source visée au 1 en cas de non-respect de cet engagement ;
Le taux de participation prévu à l’alinéa précédent est ramené à 20 % pour les dividendes distribués entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2006, à 15 % pour les dividendes distribués entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2008 et à 10 % pour les dividendes distribués à compter du 1er janvier 2009 ;
d) Être passible, dans l’État membre où elle a son siège de direction effective, de l’impôt sur les sociétés de cet État, sans possibilité d’option et sans en être exonérée.
[...]
2 bis. Les dispositions du 1 s’appliquent aux dividendes distribués aux établissements stables des personnes morales remplissant les conditions fixées au 2, lorsque ces établissements stables sont situés en France ou dans un autre État membre de la Communauté européenne.
3. Les dispositions du 1 ne s’appliquent pas lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États qui ne sont pas membres de la Communauté, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Eqiom, anciennement Holcim France, venant aux droits d’Euro Stockage, société de droit français, est une filiale d’Enka, société de droit luxembourgeois, qui la détient à 100 %. Cette dernière société est elle-même détenue à plus de 99 % par Waverley Star Investments Ltd, société de droit chypriote, elle-même entièrement contrôlée par Campsores Holding SA, société établie en Suisse.
9 Euro Stockage a versé au cours des années 2005 et 2006 des dividendes à sa société mère, Enka. À l’issue de la vérification de comptabilité dont cette première société a fait l’objet, l’administration fiscale française a mis à la charge de cette société la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, paragraphe 2, du CGI.
10 Ces deux sociétés ont alors sollicité le bénéfice de l’exonération de retenue à la source prévue à l’article 119 ter de ce code. Cette administration a toutefois opposé un refus à leur demande sur le fondement de l’article 119 ter, paragraphe 3, dudit code qui prévoit qu’une telle exonération ne s’applique pas lorsque des dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États qui ne sont pas membres de l’Union européenne, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou, comme l’un de ses objectifs principaux, de tirer avantage de l’exonération.
11 Lesdites sociétés ont saisi le tribunal administratif de Montreuil (France) d’un recours tendant à la décharge de retenue à la source en cause. Leur recours ayant été rejeté par un jugement du 28 avril 2011, elles ont interjeté appel de celui-ci devant la cour administrative d’appel de Versailles (France), qui a confirmé ce rejet.
12 Ces mêmes sociétés ont alors introduit un pourvoi devant le Conseil d’État (France) en faisant valoir que la législation fiscale en cause est incompatible avec le droit primaire de l’Union et avec la directive mères-filiales.
13 C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Lorsqu’une législation nationale d’un État membre utilise en droit interne la faculté offerte par l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435, y a-t-il place pour un contrôle des actes ou accords pris pour la mise en œuvre de cette faculté au regard du droit primaire de l’Union européenne ?
2) Les dispositions de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, qui accordent aux États membres une large marge d’appréciation pour déterminer quelles dispositions sont “nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus”, doivent-elles être interprétées comme faisant obstacle à ce qu’un État membre adopte un mécanisme visant à exclure du bénéfice de l’exonération les dividendes distribués à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États qui ne sont pas membres de l’Union, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de bénéficier de l’exonération ?
3) a) Dans l’hypothèse où la conformité au droit de l’Union du mécanisme “anti-abus” mentionné ci-dessus devrait également être appréciée au regard des stipulations du traité, y a-t-il lieu d’examiner celle-ci, compte tenu de l’objet de la législation en cause, au regard des stipulations de l’article 49 TFUE, alors même que la société bénéficiaire de la distribution des dividendes est contrôlée directement ou indirectement, à l’issue d’une chaîne de participations ayant parmi ses objets principaux le bénéfice de l’exonération, par un ou plusieurs résidents d’États tiers, lesquels ne peuvent se prévaloir de la liberté d’établissement ?
b) À défaut de réponse positive à la question précédente, cette conformité doit-elle être examinée au regard des stipulations de l’article 63 TFUE ?
4) Les stipulations précitées doivent-elles être interprétées comme faisant obstacle à ce qu’une législation nationale prive d’exonération de retenue à la source les dividendes versés par une société d’un État membre à une société établie dans un autre État membre, lorsque ces dividendes bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États qui ne sont pas membres de l’Union européenne, à moins que celle-ci n’établisse que cette chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de bénéficier de l’exonération ? »
Sur les questions préjudicielles
14 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, d’une part, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales et, d’autre part, l’article 49 ou l’article 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation fiscale nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’octroi de l’avantage fiscal prévu à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive – à savoir l’exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale résidente à une société mère non-résidente, lorsque cette société mère est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers – à la condition que celle-ci établisse que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme l’un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération.
Sur l’applicabilité des dispositions du traité
15 Étant donné que les questions posées visent tant des dispositions de la directive mères-filiales que celles du traité et que, conformément à une jurisprudence constante, toute mesure nationale dans un domaine qui a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive à l’échelle de l’Union doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation, et non pas de celles du droit primaire (arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service, C-14/16, EU:C:2017:177, point 19 et jurisprudence citée), il est nécessaire de déterminer à titre liminaire si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales opère une telle harmonisation.
16 À cet égard, il convient de relever qu’il ressort clairement du libellé de cette disposition que tel n’est pas le cas.
17 En effet, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales reconnaît uniquement aux États membres le pouvoir d’appliquer des dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et les abus. Il s’ensuit que de telles dispositions peuvent, dès lors, être appréciées au regard du droit primaire de l’Union.
18 Il résulte de ce qui précède qu’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, adoptée afin de mettre en œuvre l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales, peut être appréciée au regard non seulement des dispositions de cette directive, mais également des dispositions pertinentes du droit primaire.
Sur l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales
19 À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu’il n’a pas été contesté, d’une part, que les sociétés en cause au principal relèvent de la directive mères-filiales et, d’autre part, que les bénéfices distribués en cause au principal entrent dans le champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive.
20 La directive mères-filiales, ainsi qu’il ressort de son troisième considérant, vise à éliminer, par l’instauration d’un régime fiscal commun, toute pénalisation de la coopération entre sociétés d’États membres différents par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre et à faciliter ainsi le regroupement de sociétés à l’échelle de l’Union. Cette directive tend ainsi à assurer la neutralité, sur le plan fiscal, de la distribution de bénéfices par une société établie dans un État membre à sa société mère établie dans un autre État membre (arrêt du 8 mars 2017, Wereldhave Belgium e.a., C-448/15, EU:C:2017:180, point 25 ainsi que jurisprudence citée).
21 À cette fin, le cinquième considérant de ladite directive dispose qu’il convient, pour assurer la neutralité fiscale, d’exempter de retenue à la source les bénéfices qu’une société filiale distribue à sa société mère.
22 Sur ce fondement, afin d’éviter la double imposition, l’article 5, paragraphe 1, de cette même directive pose le principe de l’interdiction des retenues à la source sur les bénéfices distribués par une filiale établie dans un État membre à sa société mère établie dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 1996, Denkavit e.a., C-283/94, C-291/94 et C-292/94, EU:C:1996:387, point 22, ainsi que du 25 septembre 2003, Océ van der Grinten, C-58/01, EU:C:2003:495, point 83).
23 En interdisant aux États membres d’opérer une retenue à la source sur les bénéfices distribués par une filiale résidente à sa société mère non-résidente, l’article 5, paragraphe 1, de la directive mères-filiales limite la compétence des États membres quant à l’imposition des bénéfices distribués par les sociétés établies sur leur territoire aux sociétés établies dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement, C-247/08, EU:C:2009:600, point 38).
24 Les États membres ne sauraient, dès lors, instaurer unilatéralement des mesures restrictives et subordonner le droit de bénéficier de l’exonération de retenue à la source prévue audit article 5, paragraphe 1, à différentes conditions (voir, en ce sens, ordonnance du 4 juin 2009, KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer, C-439/07 et C-499/07, EU:C:2009:339, point 38 ainsi que jurisprudence citée).
25 Toutefois, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales prévoit que cette directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et les abus.
26 Ainsi que Mme l’avocat général l’a indiqué aux points 24 et 25 de ses conclusions, si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales reflète le principe général du droit de l’Union selon lequel nul ne saurait bénéficier abusivement ou frauduleusement des droits prévus par le système juridique de l’Union, il doit cependant, en tant qu’il constitue une dérogation aux règles fiscales établies par ladite directive, faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 25 septembre 2003, Océ van der Grinten, C-58/01, EU:C:2003:495, point 86).
27 Ainsi, le pouvoir conféré aux États membres par l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales d’appliquer, dans le domaine régi par celle-ci, des dispositions nationales ou conventionnelles aux fins d’éviter les fraudes et les abus ne saurait recevoir une interprétation allant au-delà des termes mêmes de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 25 septembre 2003, Océ van der Grinten, C-58/01, EU:C:2003:495, point 86).
28 À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort du libellé de ladite disposition qu’elle permet uniquement l’application des dispositions nationales ou conventionnelles « nécessaires » à cette fin.
29 Se pose alors la question de savoir si une législation fiscale nationale, telle que celle en cause au principal, remplit cette exigence de nécessité.
30 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, pour qu’une législation nationale soit considérée comme visant à éviter les fraudes et les abus, son but spécifique doit être de faire obstacle à des comportements consistant à créer des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dont le but est de bénéficier indûment d’un avantage fiscal (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, EU:C:2006:544, point 55, ainsi que du 5 juillet 2012, SIAT, C-318/10, EU:C:2012:415, point 40).
31 Ainsi, une présomption générale de fraude et d’abus ne saurait justifier ni une mesure fiscale qui porte atteinte aux objectifs d’une directive, ni une mesure fiscale portant atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité (arrêts du 26 septembre 2000, Commission/Belgique, C-478/98, EU:C:2000:497, point 45 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 juillet 2012, SIAT, C-318/10, EU:C:2012:415, point 38).
32 Pour vérifier si une opération poursuit un objectif de fraude et d’abus, les autorités nationales compétentes ne sauraient se contenter d’appliquer des critères généraux prédéterminés, mais doivent procéder à un examen individuel de l’ensemble de l’opération concernée. L’institution d’une mesure fiscale revêtant une portée générale excluant automatiquement certaines catégories de contribuables de l’avantage fiscal, sans que l’administration fiscale soit tenue de fournir ne serait-ce qu’un commencement de preuve ou d’indice de fraude et d’abus, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter les fraudes et les abus (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service, C-14/16, EU:C:2017:177, points 55 et 56).
33 En l’espèce, il convient de constater que la législation en cause au principal n’a pas pour objet spécifique d’exclure du bénéfice d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de bénéficier indûment de cet avantage, mais vise, de manière générale, toute situation dans laquelle une société mère contrôlée directement ou indirectement par des résidents d’États tiers a son siège, pour quelque raison que ce soit, en dehors de France.
34 Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 27 et 28 de ses conclusions, la seule circonstance qu’une société résidant dans l’Union soit contrôlée directement ou indirectement par des résidents d’États tiers n’implique pas, en elle-même, l’existence d’un montage purement artificiel, dépourvu de réalité économique, créé uniquement dans le but de bénéficier indûment d’un avantage fiscal.
35 Par ailleurs, il y a lieu de préciser qu’une telle société est, en tout état de cause, soumise à la législation fiscale de l’État membre sur le territoire duquel elle est établie (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2002, Lankhorst-Hohorst, C-324/00, EU:C:2002:749, point 37 et jurisprudence citée).
36 Partant, en subordonnant l’exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale résidente à sa société mère non-résidente à la condition que cette société mère établisse que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme l’un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération, sans que l’administration fiscale soit tenue de fournir ne serait-ce qu’un commencement de preuve de fraude et d’abus, la législation en cause au principal instaure une présomption générale de fraude et d’abus et porte atteinte à l’objectif poursuivi par la directive mères-filiales, à savoir la prévention de la double imposition des bénéfices distribués par une filiale à sa société mère.
37 Cette interprétation n’est pas infirmée par la circonstance que la société mère concernée est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers. À cet égard, il suffit de constater qu’il ne ressort d’aucune disposition de la directive mères-filiales que l’origine des actionnaires des sociétés résidant dans l’Union ait une incidence sur le droit de ces sociétés de se prévaloir des avantages fiscaux prévus par cette directive.
38 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation fiscale nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’octroi de l’avantage fiscal prévu à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive – à savoir l’exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale résidente à une société mère non-résidente, lorsque cette société mère est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers – à la condition que celle-ci établisse que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme l’un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération.
Sur la liberté applicable
39 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la question du traitement fiscal de dividendes peut relever aussi bien de la liberté d’établissement que de la libre circulation des capitaux (arrêt du 15 septembre 2011, Accor, C-310/09, EU:C:2011:581, point 30 et jurisprudence citée).
40 Quant à la question de savoir si une législation nationale relève de l’une ou de l’autre des libertés de circulation, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause (arrêt du 15 septembre 2011, Accor, C-310/09, EU:C:2011:581, point 31 et jurisprudence citée).
41 À cet égard, la Cour a déjà considéré qu’une législation nationale qui a vocation à ne s’appliquer qu’aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci relève des dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement. En revanche, des dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à des participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux (arrêt du 15 septembre 2011, Accor, C-310/09, EU:C:2011:581, point 32 et jurisprudence citée).
42 En l’espèce, il ressort de la décision de renvoi que la législation fiscale en cause au principal était applicable pendant les années 2005 et 2006 aux sociétés qui détenaient au moins 20 % du capital de leurs filiales. En revanche, cette décision ne contient pas d’informations sur l’objet de cette législation.
43 Ainsi que Mme l’avocat général l’a mentionné au point 42 de ses conclusions, une telle participation n’implique pas nécessairement que la société détenant cette participation exerce une influence certaine sur les décisions de la société distribuant les dividendes (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2000, Baars, C-251/98, EU:C:2000:205, point 20).
44 Dans de telles circonstances, il y a lieu de tenir compte des éléments factuels du cas d’espèce afin de déterminer si la situation visée par le litige au principal relève de l’une ou de l’autre de ces libertés de circulation (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-35/11, EU:C:2012:707, points 93 et 94).
45 S’agissant des faits en cause au principal, il ressort du dossier soumis à la Cour qu’Enka détenait à l’époque des faits la totalité du capital de sa filiale française, Euro Stockage.
46 Il convient dès lors de constater qu’une telle participation conférait à cette première société une influence certaine sur les décisions de cette seconde société, lui permettant d’en déterminer les activités. Partant, les dispositions nationales applicables à ces participations doivent être examinées au regard de la liberté d’établissement.
47 Dans ce contexte, il importe de préciser que, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement français, la circonstance qu’une société mère résidente dans un État membre autre que la République française est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers ne prive pas cette société du droit de se prévaloir de cette liberté.
48 En effet, la Cour a déjà dit pour droit qu’il ne résulte d’aucune disposition du droit de l’Union que l’origine des actionnaires, personnes physiques ou morales, des sociétés résidant dans l’Union ait une incidence sur ce droit, le statut d’une société de l’Union étant fondé, en vertu de l’article 54 TFUE, sur le lieu du siège social et de l’ordre juridique auxquels la société est rattachée, et non pas sur la nationalité de ses actionnaires (arrêt du 1er avril 2014, Felixstowe Dock and Railway Company e.a., C-80/12, EU:C:2014:200, point 40).
49 Dans l’affaire au principal, il est constant que la société mère concernée est une société établie dans l’Union. Par conséquent, cette société peut se prévaloir de la liberté d’établissement.
50 Cette appréciation ne saurait être remise en cause par les considérations figurant aux points 99 et 100 de l’arrêt du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C-524/04, EU:C:2007:161), dès lors que, à la différence de la situation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, dans l’affaire au principal, la société mère détient le lien de contrôle sur sa société filiale.
51 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées à la lumière de la liberté d’établissement.
Sur la liberté d’établissement
52 La liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union, comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et l’exercice de celles-ci ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants. Elle comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêt du 17 juillet 2014, Nordea Bank Danmark, C-48/13, EU:C:2014:2087, point 17 et jurisprudence citée).
53 S’agissant du traitement dans l’État membre d’accueil, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, l’article 49, premier alinéa, deuxième phrase, TFUE laissant expressément aux opérateurs économiques la possibilité de choisir librement la forme juridique appropriée pour l’exercice de leurs activités dans un autre État membre, ce libre choix ne doit pas être limité par des dispositions fiscales discriminatoires (arrêt du 17 mai 2017, X, C-68/15, EU:C:2017:379, point 40 et jurisprudence citée).
54 Par ailleurs, doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service, C-14/16, EU:C:2017:177, point 59 et jurisprudence citée).
55 Il ressort du dossier soumis à la Cour que c’est uniquement lorsqu’une filiale résidente distribue des bénéfices à une société mère non-résidente, qui est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers, que le bénéfice de l’exonération de retenue à la source est subordonné à la condition que cette société mère établisse que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme l’un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération. En revanche, lorsqu’une telle filiale distribue des bénéfices à une société mère résidente, également contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers, cette société mère résidente peut bénéficier de cette exonération sans qu’elle soit soumise à une telle condition.
56 Une telle différence de traitement est susceptible de dissuader une société mère non-résidente d’exercer en France une activité par l’intermédiaire d’une filiale établie dans cet État membre et constitue, dès lors, une entrave à la liberté d’établissement.
57 Cette entrave ne saurait être admise que si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union. Encore faut-il, dans cette dernière hypothèse, que l’entrave soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland, C-388/14, EU:C:2015:829, points 26 et 29 ainsi que jurisprudence citée).
58 S’agissant du caractère comparable de la situation d’une société résidente et de celle d’une société non-résidente qui perçoivent des dividendes d’une filiale résidente, il importe de préciser que l’exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale à sa société mère vise, ainsi qu’il a été mentionné au point 22 du présent arrêt, à éviter une double imposition ou une imposition en chaîne de ces bénéfices.
59 Si la Cour a considéré, à l’égard des mesures prévues par un État membre afin de prévenir ou d’atténuer l’imposition en chaîne ou la double imposition de bénéfices distribués par une société résidente, que les actionnaires bénéficiaires résidents ne se trouvent pas nécessairement dans une situation comparable à celle des actionnaires bénéficiaires résidents d’un autre État membre, elle a également précisé que, dès lors qu’un État membre exerce sa compétence fiscale non seulement sur le revenu des actionnaires résidents, mais également sur celui des actionnaires non-résidents, pour les dividendes qu’ils perçoivent d’une société résidente, la situation de ces actionnaires non-résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents (arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France, C-170/05, EU:C:2006:783, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée).
60 Dans l’affaire au principal, dès lors que la République française a choisi d’exercer sa compétence fiscale sur les bénéfices distribués par la filiale résidente à la société mère non-résidente, il y a lieu de considérer que cette société mère non-résidente se trouve dans une situation comparable à celle d’une société mère résidente.
61 En ce qui concerne la justification et la proportionnalité de l’entrave, la République française fait valoir que celle-ci est justifiée tant par l’objectif visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales que par celui visant à sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.
62 En particulier, cet État membre soutient que la législation nationale en cause au principal vise à empêcher la pratique dite « treaty shopping » qui consiste en l’élaboration de montages par lesquels des sociétés établies dans un État tiers contourneraient l’application du taux de retenue à la source sur les dividendes de source nationale prévu par le droit français ou la convention conclue entre l’État tiers et la République française afin de relever d’un taux d’imposition moindre prévu par la convention entre un autre État membre et ce même État tiers, au moyen de l’exonération de retenue à la source entre États membres prévue par la directive mères-filiales.
63 À cet égard, il convient de relever, d’une part, que l’objectif visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et celui visant à sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres sont liés (arrêt du 17 décembre 2015, Timac Agro Deutschland, C-388/14, EU:C:2015:829, point 47 et jurisprudence citée) et, d’autre part, qu’ils sont susceptibles, car ils constituent des raisons impérieuses d’intérêt général, de justifier une entrave à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité (arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service, C-14/16, EU:C:2017:177, point 65 et jurisprudence citée).
64 Toutefois, il importe de constater que l’objectif visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, qu’il soit invoqué en application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales ou comme une justification d’une entrave au droit primaire, a la même portée. Dès lors, les considérations mentionnées aux points 30 à 36 du présent arrêt s’appliquent également en ce qui concerne cette liberté.
65 Partant, l’objectif visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales invoqué par la République française dans l’affaire au principal ne saurait justifier une entrave à la liberté d’établissement.
66 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive mères-filiales, d’une part, et l’article 49 TFUE, d’autre part, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation fiscale nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’octroi de l’avantage fiscal prévu à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive – à savoir l’exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale résidente à une société mère non-résidente, lorsque cette société mère est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers – à la condition que celle-ci établisse que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme l’un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération.
Sur les dépens
67 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, telle que modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003, d’une part, et l’article 49 TFUE, d’autre part, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation fiscale nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’octroi de l’avantage fiscal prévu à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive – à savoir l’exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale résidente à une société mère non-résidente, lorsque cette société mère est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers – à la condition que celle-ci établisse que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme l’un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération.
Regan |
Arabadjiev |
Fernlund |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 septembre 2017.
Le greffier |
Le président de la sixième chambre |
A. Calot Escobar |
E. Regan |
* Langue de procédure : le français.