ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
14 décembre 2017 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Sixième directive 77/388/CEE – Article 11, A, point 1, sous a) – Base d’imposition – Article 17 – Droit à déduction – Article 27 – Mesures particulières dérogatoires – Décision 89/534/CEE – Système de commercialisation basé sur la livraison de biens par l’intermédiaire de personnes non tenues à l’assujettissement – Imposition sur la valeur normale du bien déterminée au dernier stade de commercialisation – Inclusion des coûts supportés par lesdites personnes »
Dans l’affaire C-305/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni)], par décision du 25 mai 2016, parvenue à la Cour le 30 mai 2016, dans la procédure
Avon Cosmetics Ltd
contre
Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan, D. Šváby et M. Vilaras (rapporteur), juges,
avocat général : M. M. Bobek,
greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 mai 2017,
considérant les observations présentées :
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pour Avon Cosmetics Ltd, par MM. D. Scorey, QC, et R. Cordara, QC, mandatés par Mme A. Cook ainsi que par MM. I. Hyde et S. P. Porter, solicitors, |
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pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes J. Kraehling et G. Brown ainsi que par M. D. Robertson, en qualité d’agents, assistés de Mme M. Hall, QC, |
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pour le Conseil de l’Union européenne, par M. J. Bauerschmidt ainsi que par Mmes E. Moro et E. Chatziioakeimidou, en qualité d’agents, |
– |
pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios ainsi que par MM. R. Lyal et A. Lewis, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 septembre 2017,
rend le présent
Arrêt
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La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2004/7/CE du Conseil, du 20 janvier 2004 (JO 2004, L 27, p. 44) (ci-après la « sixième directive »), et des principes qui la gouvernent, au regard de la dérogation accordée par la décision 89/534/CEE du Conseil, du 24 mai 1989, autorisant le Royaume-Uni à appliquer à l’égard de certaines livraisons effectuées à des revendeurs non assujettis une mesure dérogatoire à l’article 11, [A, point 1, sous a),] de la sixième directive (JO 1989, L 280, p. 54), et sur la validité de cette décision. |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Avon Cosmetics Ltd (ci-après « Avon ») aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (administration des impôts et des douanes, Royaume-Uni, ci-après l’« administration fiscale »), au sujet notamment de l’absence de prise en compte de certains frais supportés par des revendeurs non assujettis aux fins de la détermination de la base d’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due par Avon en application de la décision 89/534. |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 |
La sixième directive a été abrogée et remplacée, à compter du 1er janvier 2007, par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1). |
4 |
L’article 2 de la sixième directive disposait : « Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : 1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ; [...] » |
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L’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoyait : « Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. » |
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Aux termes de l’article 11 de ladite directive : « A.À l’intérieur du pays 1. La base d’imposition est constituée :
[...] » |
7 |
L’article 17 de la même directive, intitulé « Naissance et étendue du droit à déduction », disposait : « 1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. 2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :
[...] » |
8 |
L’article 27 de la sixième directive était libellé comme suit : « 1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant global des recettes fiscales de l’État membre perçues au stade de la consommation finale. 2. L’État membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 envoie une demande à la Commission et lui fournit toutes les données nécessaires. [...] [...] » |
9 |
Les deuxième à cinquième ainsi que neuvième et dixième considérants de la décision 89/534 énoncent : « considérant que le Royaume-Uni a été autorisé par la décision 85/369[...], réputée acquise en date du 13 juin 1985, conformément à la procédure prévue à l’article 27, paragraphe 4, de la sixième directive, à introduire, pour une période de deux ans, une mesure dérogatoire à la sixième directive pour lutter contre l’évasion fiscale ; considérant que certains systèmes de commercialisation basés sur la vente par des assujettis à des personnes qui ne sont pas tenues à l’assujettissement en vue de la revente au détail conduisent à éluder l’application de la taxe au stade de la consommation finale ; considérant que, pour éviter de telles évasions fiscales, le Royaume-Uni applique une mesure permettant aux autorités fiscales d’arrêter des décisions administratives visant à imposer les livraisons des assujettis pratiquant de tels systèmes de commercialisation sur la base de la valeur normale du bien au stade de la vente au détail ; considérant que cette mesure constitue une dérogation à l’article 11[, A, point 1, sous a),] de la sixième directive, selon lequel, en régime intérieur, la base d’imposition est constituée pour les livraisons de biens par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur pour cette opération de la part de l’acheteur ou d’un tiers ; [...] considérant que, dans son arrêt du 12 juillet 1988[, Direct Cosmetics et Laughtons Photographs (138/86 et 139/86, EU:C:1988:383)], la Cour de justice a notamment dit pour droit que l’article 27 de la sixième directive permet l’adoption d’une mesure dérogatoire comme celle en cause, à condition que la différence de traitement qui en résulte soit justifiée par des circonstances objectives ; considérant que, pour se rendre compte de la réalisation de cette condition, la Commission doit être informée des décisions administratives que les autorités fiscales arrêteront, le cas échéant, dans le cadre de la mesure dérogatoire en question ; [...] » |
10 |
L’article 1er de cette décision dispose : « Par dérogation à l’article 11 [A, point 1, sous a)] de la sixième directive, le Royaume-Uni est autorisé à prévoir, dans les cas où un système de commercialisation basé sur la livraison de biens par l’intermédiaire de personnes non tenues à l’assujettissement conduit à une non-taxation au stade de la consommation finale, que la base d’imposition des livraisons à ces personnes est la valeur normale du bien déterminée à ce dernier stade. » |
Le droit du Royaume-Uni
11 |
L’article 1er, paragraphe 1, de la Value Added Tax Act 1994 (loi de 1994 relative à la TVA, ci-après la « loi de 1994 ») prévoit : « La TVA est perçue, conformément aux dispositions de la présente loi,
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12 |
L’article 4, paragraphe 1, de cette loi dispose : « La TVA est perçue sur toutes les livraisons de biens ou prestations de services effectuées au Royaume-Uni lorsqu’il s’agit d’une livraison ou d’une prestation taxable qu’un assujetti effectue dans le cadre de son activité économique. [...] » |
13 |
Aux termes de l’article 19, paragraphe 2, de ladite loi : « Si la livraison est effectuée en échange d’une contrepartie en espèces, sa valeur est considérée comme égale au montant de la contrepartie minorée de la TVA exigible. [...] » |
14 |
L’annexe 6, paragraphe 2, de la même loi prévoit : « Lorsque :
[l’administration fiscale] peut disposer, moyennant avis écrit adressé à l’assujetti, que la valeur de toute livraison de ce type effectuée par lui après qu’il a eu reçu cet avis ou après telle date qui serait précisée dans l’avis sera considérée comme étant sa valeur de vente au détail sur le marché. » |
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Sur le fondement de la dérogation visée au point précédent, l’administration fiscale a adressé un avis écrit à Avon (Notice of Direction) (ci-après l’« avis individuel »), rédigé comme suit : « Conformément [à l’annexe 6, paragraphe 2, de la loi de 1994], [l’administration fiscale] ordonne par la présente qu’après le 1er juillet 1985, la valeur par référence à laquelle la TVA est perçue sur toute livraison de biens taxable :
sera réputée être sa valeur de vente au détail sur le marché. » |
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 |
Avon exerce une activité de production et de vente de produits, principalement à usage cosmétique. Leur commercialisation au détail est effectuée par l’intermédiaire de représentantes indépendantes (ci-après les « représentantes ») dont la quasi-totalité de celles exerçant au Royaume-Uni n’est pas assujettie à la TVA, à défaut d’inscription au registre de cette taxe et de réalisation d’un chiffre d’affaires suffisant pour rendre obligatoire leur assujettissement. |
17 |
Les ventes d’Avon à ces représentantes ont lieu à un prix réduit par rapport au prix de vente au détail prévu par Avon et sont soumises à la TVA. En revanche, en raison de l’absence d’assujettissement desdites représentantes, les ventes au détail qu’elles réalisent ne sont pas soumises à la TVA. |
18 |
Ce système implique que la différence entre le prix de vente au détail et le prix payé par les représentantes à Avon n’est pas soumise à la TVA. |
19 |
Pour remédier à cette situation, le Royaume-Uni a, notamment par le Finance Act de 1977 (loi de finances de 1977), conféré à l’administration fiscale le pouvoir d’adresser aux redevables de la TVA des injonctions afin que la taxe due par eux soit calculée en prenant en considération le prix de vente au détail. |
20 |
Conformément à l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive, le Royaume-Uni a notifié cette mesure à la Commission des Communautés européennes, en tant que mesure particulière dérogatoire, au sens du paragraphe 1 dudit article, qu’il entendait maintenir après l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1978, de la sixième directive. |
21 |
Par la décision 85/369/CEE du Conseil, du 13 juin 1985, intitulée « Application de l’article 27 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière de [TVA] (Autorisation d’une mesure dérogatoire, demandée par le Royaume-Uni et destinée à éviter certaines évasions fiscales) » (JO 1985, L 199, p. 60), la mesure dérogatoire a été autorisée pour une période de deux ans, prorogée ultérieurement de deux années supplémentaires. |
22 |
Saisie de demandes de décisions préjudicielles portant sur la mise en œuvre de la mesure dérogatoire autorisée par la décision 85/369, la Cour n’a pas relevé d’éléments de nature à affecter la validité de cette décision (arrêt du 12 juillet 1988, Direct Cosmetics et Laughtons Photographs, 138/86 et 139/86, EU:C:1988:383). |
23 |
Par la décision 89/534, le Conseil a prorogé l’autorisation donnée au Royaume-Uni de déroger à l’article 11, A, point 1, sous a), de la sixième directive dans le but d’éviter une non-taxation au stade de la consommation finale. |
24 |
En application de l’annexe 6, paragraphe 2, de la loi de 1994, adoptée sur le fondement de cette décision, et de l’avis individuel, la base d’imposition à la TVA d’Avon correspond à la valeur de vente au stade de la consommation finale des biens livrés par elle à des personnes non assujetties. En d’autres termes, en vertu de ce système, la TVA sur les produits vendus par Avon aux représentantes est calculée sur la base non pas du prix hors taxe auquel Avon leur vend ces produits, mais du prix auquel lesdites représentantes sont censées les revendre à leurs clients, ce surplus de TVA étant à la charge d’Avon. Toutefois, dans la pratique, l’administration fiscale opère deux ajustements à ce calcul pour tenir compte du fait que certains produits sont achetés par les représentantes non assujetties pour leur usage personnel et que celles-ci vendent certains produits avec une remise. |
25 |
Avon a saisi la juridiction de renvoi d’une action en remboursement d’un trop-perçu de TVA pour un total avoisinant 14 millions de livres sterling (GBP) (environ 15792000 euros), au motif que le système de taxation qui lui est applicable, sur la base de l’avis individuel, ne prenait pas en considération la taxe relative au coût d’achat par les représentantes d’articles de démonstration, destinés à les aider à augmenter leurs volumes de vente et qui leur seraient vendus par Avon avec une remise supérieure à celle appliquée aux autres articles. En effet, selon Avon, les achats de ces articles constituant des frais commerciaux, si lesdites représentantes avaient eu la qualité d’assujetties, la TVA portant sur ces achats aurait été déductible par elles. |
26 |
Par conséquent, l’avis individuel irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché et impliquerait le paiement d’un excédent de TVA en raison de l’absence d’ajustement en vue de prendre en considération la TVA supportée par les représentantes sur l’achat d’articles de démonstration. Il y aurait donc une atteinte aux principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et de neutralité fiscale ainsi qu’un désavantage concurrentiel entre Avon et les opérateurs employant des méthodes de vente traditionnelles, qui ne supportent pas cette charge de TVA. |
27 |
Avon fait également valoir que, dans sa demande de dérogation auprès de la Commission, le Royaume-Uni n’a pas fourni toutes les données utiles au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la sixième directive, alors que le problème de disparité de traitement en matière de TVA applicable aux articles de démonstration était déjà connu. Dès lors, la demande qu’elle formule devant la juridiction de renvoi tend, à titre principal, à ce que la TVA due soit ajustée pour tenir compte de celle applicable à ces articles de démonstration et, à titre subsidiaire, à déclarer invalides la décision 89/534, l’annexe 6, paragraphe 2, de la loi de 1994 et l’avis individuel. |
28 |
L’administration fiscale rappelle que cette disposition vise à empêcher une perte de recettes sur des ventes qui échappent à la TVA sur leur prix de détail. Elle est d’avis que l’absence de prise en compte de la TVA acquittée par les représentantes pour l’acquisition des articles de démonstration ne porte pas atteinte aux principes de proportionnalité, d’égalité de traitement ainsi que de neutralité et ne crée pas de distorsion de concurrence, puisqu’Avon a choisi une structure de fonctionnement et une approche de marché différentes de celles des revendeurs traditionnels, et qu’Avon et ces revendeurs exercent leur activité sur des marchés différents, même si les produits vendus sont similaires. Ces circonstances justifieraient un traitement fiscal différent. |
29 |
En outre, selon cette administration, il conviendrait de ne pas compliquer inutilement le calcul et la perception de la TVA pour les contribuables ou les autorités fiscales. Or, accepter les arguments d’Avon conduirait à faire supporter aux représentantes non assujetties une charge administrative importante. |
30 |
L’administration fiscale avance qu’elle ne saurait interpréter l’annexe 6, paragraphe 2, de la loi de 1994 en ce sens qu’Avon pourrait déduire la TVA acquittée par les représentantes pour l’acquisition des articles de démonstration, sauf à aller au-delà de l’autorisation donnée par le Conseil, de sa propre réglementation et du principe selon lequel une exception au mécanisme normal de la TVA doit être strictement interprétée. |
31 |
Par un jugement interlocutoire du 19 février 2014, la juridiction de renvoi a considéré que les termes de la décision 89/534, repris à l’annexe 6, paragraphe 2, de la loi de 1994, ne permettent pas de tenir compte de la taxe acquittée par les représentantes pour l’acquisition des articles de démonstration, faisant ainsi naître une taxe « rémanente », c’est-à-dire une taxe acquittée en amont qui ne peut être récupérée. Elle en a déduit que cette dernière disposition générait une concurrence déloyale entre Avon et les entités qui vendent par l’intermédiaire de détaillants assujettis. Partant, l’annexe 6, paragraphe 2, de la loi de 1994 irait au-delà de ce qui serait nécessaire pour atteindre son objectif d’éviter toute évasion fiscale. |
32 |
Considérant que cette disposition reprend les termes employés par la décision 89/534 et doutant de la validité de cette décision au regard notamment du principe de neutralité fiscale, la juridiction de renvoi juge approprié d’interroger la Cour à cet égard. |
33 |
C’est dans ces conditions que le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
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Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
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Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si les articles 17 et 27 de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une mesure dérogatoire, telle que celle en cause au principal, autorisée par la décision 89/534 au titre de l’article 27 de cette directive, à l’article 11, A, point 1, sous a), de ladite directive, en vertu de laquelle la base d’imposition à la TVA d’une société de vente directe est la valeur normale des biens vendus au stade de la consommation finale, lorsque lesdits biens sont commercialisés par l’intermédiaire de revendeurs non assujettis à la TVA, sans qu’il soit tenu compte, d’une manière ou d’une autre, de la TVA acquittée en amont relative aux articles de démonstration achetés par ces revendeurs auprès de ladite société, et, d’autre part, si la décision 89/534 est invalide, au motif qu’elle ne permet pas au Royaume-Uni de tenir compte de la TVA acquittée en amont par de tels revendeurs et relative à ces mêmes articles de démonstration, de telle sorte qu’elle méconnaîtrait les principes de proportionnalité et de neutralité fiscale. |
35 |
S’agissant en particulier de l’interprétation des articles 17 et 27 de la sixième directive, il convient, au préalable, de constater que, conformément à la décision 89/534, la dérogation accordée au Royaume-Uni au titre de l’article 27 de la sixième directive et qui se traduit, dans la législation de celui-ci, par l’annexe 6, paragraphe 2, de la loi de 1994 est destinée à éviter les évasions fiscales. |
36 |
Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les mesures nationales dérogatoires qui sont de nature à éviter des fraudes ou évasions fiscales sont d’interprétation stricte et ne peuvent déroger au respect de la base d’imposition de la TVA visée à l’article 11 de la sixième directive que dans des limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif (arrêts du 10 avril 1984, Commission/Belgique, 324/82, EU:C:1984:152, point 29, et du 29 mai 1997, Skripalle, C-63/96, EU:C:1997:263, point 24). |
37 |
À cet égard, selon le principe fondamental inhérent au système de TVA et résultant de l’article 2 de la sixième directive, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la TVA qui a grevé directement les opérations effectuées en amont, le droit à déduction faisant partie intégrante du mécanisme de TVA et ne pouvant en principe être limité (voir, en ce sens, arrêts du 6 juillet 1995, BP Soupergaz, C-62/93, EU:C:1995:223, points 16 et 18, ainsi que du 19 septembre 2000, Ampafrance et Sanofi, C-177/99 et C-181/99, EU:C:2000:470, point 34). |
38 |
En l’occurrence, conformément à l’article 1er de la décision 89/534 et dans des termes similaires à celui-ci, l’annexe 6, paragraphe 2, de la loi de 1994 déroge à l’article 11, A, point 1, sous a), de la sixième directive, en autorisant l’administration fiscale à déterminer la base d’imposition d’un assujetti à la TVA pour les produits qu’il livre à des revendeurs non assujettis en se référant à la valeur de vente au détail de ces produits sur le marché. Il en découle que, dans une situation comme celle au principal, l’assujetti à la TVA est, en quelque sorte, imposé en lieu et place des revendeurs non assujettis. |
39 |
La mesure dérogatoire autorisée par la décision 89/534 ne vise toutefois pas les règles gouvernant le droit à déduction, qui figurent aux articles 17 à 20 de cette directive et qui restent donc applicables en l’occurrence. |
40 |
Plus précisément, elle ne permet pas de déroger à l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, selon lequel l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable la TVA due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti. |
41 |
En application de cette disposition, la taxe afférente aux articles de démonstration ou aux autres biens et services acquis par des revendeurs, qu’ils soient assujettis ou non à la TVA, ne saurait être déduite de la taxe due par une société de vente directe, telle qu’Avon dans le litige au principal, qui n’a acquis aucun bien ou service de la part de tiers, mais qui, au contraire, s’agissant des articles de démonstration, les a vendus à ces revendeurs. |
42 |
En outre, il convient de souligner que les représentantes en cause dans l’affaire au principal, qui commercialisent des produits dans le cadre d’un système de vente directe, ne sont pas assujetties à la TVA et que, dès lors, elles ne sont pas en droit, en vertu de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, de récupérer tout ou partie de la taxe qui leur est facturée par leurs fournisseurs de biens et services. |
43 |
Il découle des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la première question que les articles 17 et 27 de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une mesure dérogatoire, telle que celle en cause au principal, autorisée par la décision 89/534 au titre de l’article 27 de cette directive, à l’article 11, A, point 1, sous a), de ladite directive, en vertu de laquelle la base d’imposition à la TVA d’une société de vente directe est la valeur normale des biens vendus au stade de la consommation finale, lorsque lesdits biens sont commercialisés par l’intermédiaire de revendeurs non assujettis à la TVA, même si cette mesure dérogatoire ne tient pas compte, d’une manière ou d’une autre, de la TVA acquittée en amont relative aux articles de démonstration achetés par ces revendeurs auprès de ladite société. |
44 |
S’agissant de la validité de la décision 89/534, en premier lieu, il convient de rappeler que, pour qu’un acte de l’Union relatif au système de la TVA soit conforme au principe de proportionnalité, les dispositions qu’il contient doivent être considérées comme appropriées et nécessaires à la réalisation des objectifs qu’il poursuit et comme de nature à affecter le moins possible les objectifs et les principes de la sixième directive (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2000, Ampafrance et Sanofi, C-177/99 et C-181/99, EU:C:2000:470, point 60, et du 29 avril 2004, Sudholz, C-17/01, EU:C:2004:242, point 46). |
45 |
En l’occurrence, il convient de relever que la mesure dérogatoire figurant dans la décision 89/534 poursuit, conformément aux deuxième à quatrième considérants de cette décision, l’objectif de prévenir l’évasion fiscale et qu’elle a pour objet de permettre au Royaume-Uni de remédier à certains problèmes spécifiques causés par le système de vente directe en matière de TVA. En effet, en raison de la présence de revendeurs non assujettis au dernier stade de commercialisation, ce système implique que les livraisons effectuées par ces revendeurs au consommateur final ne sont pas soumises à cette taxe. |
46 |
À cet égard, il convient de relever que la Cour a jugé que la notion d’« évasion fiscale », au sens de l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive, correspond à un phénomène purement objectif et que cette disposition permet l’adoption d’une mesure dérogatoire à la règle de base énoncée à l’article 11, A, point 1, sous a), de cette directive, même lorsque les activités de l’assujetti s’exercent sans aucune intention de se procurer un avantage fiscal, mais pour des raisons d’ordre commercial (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 1988, Direct Cosmetics et Laughtons Photographs, 138/86 et 139/86, EU:C:1988:383, points 21 et 24). |
47 |
Or, la mesure dérogatoire figurant dans la décision 89/534, en ce qu’elle autorise le Royaume-Uni à soumettre à la TVA les ventes des produits d’une société de vente directe aux consommateurs finals, effectuées par des revendeurs non assujettis, en déterminant la base d’imposition de cette société au regard de la valeur normale ou de marché des biens vendus par ces derniers, permet d’éviter la perte de recettes fiscales résultant d’un tel système de commercialisation. Une telle mesure apparaît donc appropriée pour réaliser l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale. |
48 |
Certes, la décision 89/534 ne permet pas de prendre en compte, d’une manière ou d’une autre, la TVA acquittée en amont afférente aux articles de démonstration acquis par des revendeurs non assujettis auprès d’une société de vente directe. |
49 |
Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 40 et 41 du présent arrêt, la prise en compte de cette TVA acquittée en amont dans la base d’imposition des livraisons visées à l’article 1er de la décision 89/534 constituerait une dérogation non autorisée à l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive. |
50 |
En outre, la prise en compte de ladite TVA acquittée en amont dans la base d’imposition serait de nature à complexifier la perception de la TVA s’agissant des systèmes de commercialisation visés par cette décision. |
51 |
Par conséquent, il y a lieu de considérer que la décision 89/534 ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale. |
52 |
En second lieu, il convient de rappeler que le principe de neutralité fiscale s’oppose en particulier à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C-259/10 et C-260/10, EU:C:2011:719, point 32 et jurisprudence citée). |
53 |
Il convient de relever, à cet égard, que la non prise en compte, par la décision 89/534, de la TVA acquittée en amont afférente aux articles de démonstration acquis par les revendeurs non assujettis auprès d’une société de vente directe, telle qu’Avon dans le litige au principal, conduit à ce que la chaîne de distribution des produits de cette société supporte une charge de TVA plus importante que celle grevant les produits des concurrents de celle-ci. Toutefois, il doit être constaté qu’une telle circonstance n’est que la conséquence du choix opéré par une telle société du système de vente directe pour commercialiser ses produits. |
54 |
Dès lors et au vu des considérations développées aux points 47 et 48 du présent arrêt, le principe de neutralité fiscale ne saurait être interprété comme autorisant la prise en compte de cette TVA dans la base d’imposition des livraisons visées à l’article 1er de la décision 89/534. |
55 |
Par conséquent, il convient de considérer que la décision 89/534 est de nature à affecter le moins possible le principe de neutralité. |
56 |
Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la décision 89/534. |
Sur la deuxième question
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Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il exige de l’État membre qui demande l’autorisation de déroger à l’article 11, A, point 1, sous a), de cette directive, qu’il informe la Commission que des revendeurs non assujettis supportent la TVA sur des achats d’articles de démonstration acquis auprès d’une société de vente directe, utilisés aux fins de leur activité économique, afin qu’il soit tenu compte, d’une manière ou d’une autre, de cette taxe acquittée en amont dans les modalités de la mesure dérogatoire. |
Sur la recevabilité
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Le gouvernement du Royaume-Uni considère que la deuxième question est irrecevable, au motif que, premièrement, elle est sans aucun rapport avec l’objet du litige au principal, deuxièmement, la Cour ne dispose pas des données factuelles ou légales nécessaires pour répondre utilement à cette question et, troisièmement, cette question est totalement hypothétique, puisque la demande de dérogation portait sur l’article 11, A, point 1, sous a), de la sixième directive et non sur l’article 17 de cette directive, relatif au droit à déduction de la TVA. |
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Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 14 juin 2017, Santogal M-Comércio e Reparação de Automóveis, C-26/16, EU:C:2017:453, point 31 et jurisprudence citée). |
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En ce qui concerne les premier et troisième motifs d’irrecevabilité soulevés par le gouvernement du Royaume-Uni, il suffit de rappeler que, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 97 de ses conclusions, si la Cour interprétait l’article 27 de la sixième directive comme exigeant de l’État membre qui demande l’autorisation de déroger à cette directive qu’il fournisse, à l’appui de sa demande, des informations spécifiques, qui ont fait défaut en l’occurrence, une telle réponse serait susceptible d’avoir une influence sur la validité de la décision 89/534 et, donc, sur l’issue du litige au principal. |
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En ce qui concerne le deuxième motif d’irrecevabilité soulevé par le gouvernement du Royaume-Uni, il y a lieu de constater que la juridiction de renvoi a, en l’occurrence, exposé le cadre juridique et factuel dans lequel s’inscrit le litige au principal de manière suffisamment précise pour permettre aux intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations et à la Cour de répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées. |
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Eu égard à ce qui précède, il convient de considérer la deuxième question comme recevable. |
Sur le fond
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À titre liminaire, il convient de rappeler que le Royaume-Uni a demandé une dérogation, au titre de l’article 27 de la sixième directive, à l’article 11, A, point 1, sous a), de cette directive, qui fixe les règles de détermination de la base d’imposition à la TVA, pour éviter l’évasion fiscale due à la commercialisation de produits au stade de la consommation finale par des revendeurs non assujettis à cette taxe. |
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Or, en vertu de l’article 27, paragraphe 2, de cette directive, l’État membre qui souhaite introduire des mesures dérogatoires à celle-ci doit fournir à la Commission toutes les données nécessaires. |
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À cet égard, il y a lieu de souligner que, par son arrêt du 12 juillet 1988, Direct Cosmetics et Laughtons Photographs (138/86 et 139/86, EU:C:1988:383), portant notamment sur la validité de la décision 85/369, entre-temps remplacée par la décision 89/534, en substance identique, la Cour n’a pas relevé d’éléments de nature à affecter la validité de cette première décision après avoir, notamment, constaté, au point 36 de cet arrêt, que la notification à la Commission faisait suffisamment référence aux besoins auxquels la mesure sollicitée répondait et qu’elle comportait tous les éléments essentiels pour identifier le but poursuivi. |
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Dans ce cadre, il convient, d’abord, de relever que le fait que des revendeurs non assujettis supportent la TVA sur des achats d’articles de démonstration acquis auprès d’une société de vente directe, telle qu’Avon dans le litige au principal, sans pouvoir la déduire, n’apparaît pas comme une information qui, en tant que telle, se rapporte à l’objectif poursuivi par la dérogation demandée ou au mécanisme essentiel de la dérogation, à savoir la détermination de la valeur de la base d’imposition. |
67 |
Ensuite, force est de constater que cette circonstance est inhérente au régime de la TVA, puisque, ainsi qu’il a déjà été dit aux points 42 et 48 du présent arrêt, des revendeurs non assujettis à cette taxe ne peuvent exercer aucun droit à déduction de la taxe qui leur est facturée. Ainsi, il ne saurait être considéré qu’une telle circonstance aurait dû être portée à la connaissance de la Commission avec la demande de dérogation que lui avait adressée le Royaume-Uni. |
68 |
Enfin, il ne saurait être exigé d’un État membre, lorsqu’il demande, en application de l’article 27 de la sixième directive, à déroger à celle-ci, qu’il précise tous les aspects factuels et juridiques qui ont un certain rapport avec la situation à laquelle il cherche à remédier, mais qui ne résultent pas de cette dernière. |
69 |
Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 27 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il n’exige pas de l’État membre qui demande l’autorisation de déroger à l’article 11, A, point 1, sous a), de cette directive, qu’il informe la Commission que des revendeurs non assujettis supportent la TVA sur des achats d’articles de démonstration acquis auprès d’une société de vente directe, utilisés aux fins de leur activité économique, afin qu’il soit tenu compte, d’une manière ou d’une autre, de cette taxe acquittée en amont dans les modalités de la mesure dérogatoire. |
Sur la troisième question
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Eu égard aux réponses apportées aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question. |
Sur la quatrième question
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Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si le montant de la taxe non perçue en raison de l’existence de fraudes ou d’évasions fiscales au sens de l’article 27 de la sixième directive correspond à la perte nette de revenu fiscal pour l’État membre ou bien la perte brute de revenu fiscal de l’État membre. |
72 |
À cet égard, il convient de relever que la juridiction de renvoi ne fait pas état d’une cause d’invalidité de la décision 89/534 qui serait liée au mode de détermination du montant de la taxe non perçue en raison de fraudes ou évasions fiscales au sens de l’article 27 de la sixième directive. Elle ne précise pas non plus les raisons pour lesquelles l’interprétation de cet article, en ce qu’il vise les « fraudes ou évasions fiscales », serait pertinente pour l’issue du litige dont elle est saisie. |
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En l’absence de ces indications, la Cour n’est pas en mesure d’apporter une réponse utile à la quatrième question posée, laquelle, en conséquence, doit être déclarée irrecevable. |
Sur les dépens
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La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit : |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.