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ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

29 novembre 2016 (*)

« Renvoi préjudiciel – Contexte factuel et réglementaire du litige au principal – Absence de précisions suffisantes – Irrecevabilité manifeste – Article 53, paragraphe 2 – Article 94 du règlement de procédure de la Cour »

Dans l’affaire C-345/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par décision du 9 juin 2016, parvenue à la Cour le 22 juin 2016, dans la procédure

Jean Jacob,

Dominique Lennertz

contre

État belge,

LA COUR (dixième chambre),

composée de Mme M. Berger, président de chambre, MM. A. Borg Barthet et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 39 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Jean Jacob et Mme Dominique Lennertz à l’État belge au sujet du calcul de leur imposition relative à l’exercice fiscal 2013.

 Le cadre juridique

3        L’article 18 de la convention entre le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 17 septembre 1970, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg »), stipule, à son paragraphe 3 :

« [...] les pensions et autres rémunérations similaires provenant du Luxembourg et payées à un résident de la Belgique ne sont pas imposables en Belgique si ces paiements découlent des cotisations, allocations ou primes d’assurance versées à un régime complémentaire de pension par le bénéficiaire ou pour son compte, ou des dotations faites par l’employeur à un régime interne, et si ces cotisations, allocations, primes d’assurance ou dotations ont été effectivement soumises à l’impôt au Luxembourg. »

4        L’article 23, paragraphe 2, point 1, de cette convention prévoit, notamment, que les revenus provenant du Luxembourg qui sont imposables dans cet État en vertu de ladite convention, sont exemptés d’impôts en Belgique. Cette même disposition précise, toutefois, que cette exemption ne limite pas le droit du Royaume de Belgique de tenir compte, lors de la détermination du taux de ses impôts, des revenus ainsi exemptés.

5        L’article 155 du code des impôts sur le revenu de 1992 (Moniteur belge du 30 juillet 1992), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « CIR de 1992 »), dispose :

« Les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l’impôt, mais celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus.

Il en est de même pour :

–        les revenus exonérés en vertu d’autres traités ou accords internationaux, pour autant que ceux-ci prévoient une clause de réserve de progressivité ;

[...]

Lorsqu’une imposition commune est établie, la réduction est calculée par contribuable sur l’ensemble de ses revenus nets. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

6        Dans leur déclaration relative à l’impôt des personnes physiques pour l’exercice d’imposition au titre de l’année 2013, les requérants au principal ont indiqué que M. Jacob avait perçu des pensions d’un montant de 15 611,57 euros et de 14 330,75 euros, et précisé que la seconde pension était d’origine luxembourgeoise.

7        Le 7 mars 2014, l’administration fiscale belge a établi, au titre de l’exercice d’imposition pour l’année 2013, une cotisation au nom des requérants au principal. Les réductions d’impôt sur les quotités exemptées, pour les dépenses payées à titre de cotisations pour l’épargne à long terme, les prestations payées avec des titres services, les dépenses faites en vue d’économiser l’énergie, les dépenses de sécurisation des habitations contre le vol ou l’incendie ainsi que les dépenses au titre des libéralités, ont été imputées pour partie sur la pension d’origine luxembourgeoise de M. Jacob.

8        Les requérants au principal ont introduit une réclamation contre le calcul de l’imposition, en considérant que l’exonération des pensions luxembourgeoises n’était pas complète.

9        Cette réclamation ayant été rejetée par une décision du directeur régional des contributions directes de Liège (Belgique) du 25 septembre 2014, les requérants au principal ont introduit, le 3 décembre 2014, un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

10      C’est dans ce contexte que le tribunal de première instance de Liège (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 39 [CE] s’oppose-t-il à ce que le régime fiscal belge, en son article 155 du CIR de 1992, qu’il soit fait abstraction ou application de la circulaire du 12 mars 2008 portant le n° Ci.RH. 331/575.420, ait pour conséquences que les pensions luxembourgeoises du requérant, exonérées par application de l’article 18 de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg, soient incluses dans le calcul de l’impôt belge, servent d’assiette pour l’octroi d’avantages fiscaux prévus par le CIR de 1992 et que le bénéfice de ceux-ci, tels celui de la quotité exemptée d’impôt, épargne à long terme, dépenses payées avec des titres services, en vue d’économiser l’énergie dans une habitation, de sécurisation des habitations contre le vol ou l’incendie, pour libéralités du requérant, soit réduit ou accordé dans une moindre mesure que si les requérants avaient tous les deux des revenus d’origine belge et si la requérante, plutôt que le requérant, avait bénéficié de pensions exclusivement d’origine belge ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

11      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le renvoi préjudiciel est manifestement irrecevable, la Cour peut, l’avocat général entendu, statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

12      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

13      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instaurée à l’article 267 TFUE, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En effet, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (ordonnance du 3 septembre 2015, Vivium, C-250/15, non publiée, EU:C:2015:569, point 8 et jurisprudence citée).

14      Ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure et sont rappelées dans les recommandations de la Cour à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2012, C 338, p. 1).

15      Ainsi, aux termes dudit article 94 :

« [...] [L]a demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents [...] ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce [...] ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union [...] »

16      Quant aux recommandations mentionnées au point 14 de la présente ordonnance, le point 22 de celles-ci prévoit qu’une demande de décision préjudicielle doit « être suffisamment complète et contenir toutes les informations pertinentes de manière à permettre à la Cour, ainsi qu’aux intéressés en droit de déposer des observations, de bien comprendre le cadre factuel et réglementaire de l’affaire au principal » (ordonnance du 6 novembre 2014, Herrenknecht, C-366/14, EU:C:2014:2353, point 16 et jurisprudence citée).

17      Ces informations servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (ordonnances du 3 septembre 2015, Vivium, C-250/15, non publiée, EU:C:2015:569, point 13 et jurisprudence citée, ainsi que du 30 juin 2016, ERDF, C-669/15, non publiée, EU:C:2016:509, point 16).

18      En l’occurrence, la présente demande de décision préjudicielle ne répond manifestement pas auxdites exigences.

19      S’agissant, en premier lieu, du cadre factuel, il est indiqué dans la partie I de cette demande, intitulée « Objet du litige et antécédents de procédure », que M. Jacob perçoit une pension de 15 611,57 euros dont l’origine n’est pas précisée ainsi qu’une pension de 14 330,75 euros d’origine luxembourgeoise.

20      Or, la question préjudicielle se fonde sur l’hypothèse que l’imposition des requérants au principal aurait été différente s’ils avaient tous les deux bénéficié de revenus d’origine belge et si la requérante, plutôt que le requérant, avait bénéficié de pensions exclusivement d’origine belge.

21      Ainsi, une telle hypothèse contredit les faits tels qu’exposés par la juridiction elle-même dans la demande de décision préjudicielle. En outre, cette demande ne contient aucune explication sur les raisons pour lesquelles, dans l’hypothèse où la requérante plutôt que le requérant aurait bénéficié de pensions exclusivement d’origine belge, l’imposition aurait été différente.

22      En ce qui concerne, en second lieu, le cadre réglementaire, la juridiction de renvoi se limite à mentionner les stipulations de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg ainsi que l’article 155 du CIR de 1992, sans présenter la teneur des dispositions du CIR de 1992 relatives aux déductions auxquelles prétendent avoir droit les requérants dans l’affaire en cause au principal. La juridiction de renvoi ne présente pas non plus la teneur de la circulaire n° Ci.RH.331/575.420, du 12 mars 2008, prévoyant une réduction supplémentaire d’impôt pour revenus exonérés en vertu d’une convention internationale, en sus de la réduction prévue à l’article 155 du CIR de 1992 qui aurait été appliquée afin de calculer l’impôt dans l’affaire au principal.

23      La nature des avantages fiscaux en cause dans l’affaire au principal ainsi que les modalités précises de leur calcul et la manière selon laquelle les déductions se trouvent imputées sur les revenus perçus dans un autre État membre ne peuvent dès lors être appréhendées sur la base de la demande de décision préjudicielle.

24      En outre, dans la mesure où, ainsi qu’il a été dit, la décision de renvoi ne contient pas la teneur des dispositions nationales pertinentes ni ne fournit d’explication sur la nature des avantages fiscaux en cause au principal et, en particulier, sur la question de savoir si ceux-ci sont liés à la situation personnelle et familiale du contribuable, la pertinence des arrêts du 12 décembre 2002, de Groot (C-385/00, EU:C:2002:750), et du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet (C-303/12, EU:C:2013:822), invoqués par la juridiction de renvoi pour prétendre que le bénéfice effectif de l’avantage fiscal lié à la situation personnelle et familiale des contribuables devrait être garanti, ne peut pas non plus être appréciée.

25      En raison de ces lacunes, la décision de renvoi ne permet donc pas à la Cour de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi afin de trancher le litige au principal ni ne donne aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

26      Par conséquent, il y a lieu de constater que, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

27      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par décision du 9 juin 2016, est manifestement irrecevable.






Fait à Luxembourg, le 29 novembre 2016.

Le greffier                                       Le président de la dixième chambre


A. Calot Escobar                                                                M. Berger



* Langue de procédure : le français.