ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
22 février 2018 (*)
« Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 54 TFUE – Liberté d’établissement – Législation fiscale – Impôt sur les sociétés – Avantages liés à la constitution d’une entité fiscale unique – Exclusion des groupes transfrontaliers »
Dans les affaires jointes C-398/16 et C-399/16,
ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décisions du 8 juillet 2016, parvenues à la Cour le 18 juillet 2016, dans les procédures
X BV (C-398/16),
X NV (C-399/16)
contre
Staatssecretaris van Financiën,
LA COUR (première chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C.G. Fernlund, J.-C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et S. Rodin, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour X BV et X NV, par M. M. Sanders, advocaat,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M. H. S. Gijzen et C.S. Schillemans, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme N. Gossement, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 octobre 2017,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 49 et 54 TFUE.
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement X BV et X NV au staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays-Bas) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de la possibilité de déduire fiscalement, en ce qui concerne X BV, des intérêts payés sur un emprunt et, s’agissant de X NV, une perte de change.
Le droit néerlandais
3 L’article 10a de la Wet op de vennootschapsbelasting 1969 (loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après la « loi relative à l’impôt sur les sociétés ») est rédigé comme suit :
« [...]
2. Dans le cadre de la détermination du bénéfice [...], ne viennent pas en déduction les intérêts – frais et résultats de change compris – relatifs à des emprunts dus, en droit ou en fait, directement ou indirectement, à une entité liée ou à une personne physique liée dans la mesure où l’emprunt a un lien avec une des opérations juridiques suivantes :
a. [...]
b. une acquisition – en ce compris la libération – d’actions, d’actions de jouissance, de bons de jouissance, de droits d’affiliation ou de titres de créance qui fonctionnent, de fait, chez le débiteur comme des fonds propres au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), dans une entité liée, excepté dans la mesure où il est apporté une modification à l’actionnariat ultime ou au contrôle ultime dans cette entité ;
3. Le paragraphe 2 n’est pas applicable si le contribuable rend plausible :
a. le fait que l’emprunt et l’opération juridique qui y est liée se fondent, dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques ; ou
b. le fait qu’il est prélevé, en fin de compte, sur les intérêts dans le chef de celui à qui les intérêts, en droit ou en fait, directement ou indirectement, sont dus un impôt sur le bénéfice ou sur le revenu qui, selon les critères néerlandais, est raisonnable et qu’il n’y a pas de compensations de pertes ou de droits d’un autre type d’années précédant l’année où l’emprunt est contracté ayant pour conséquence qu’il n’est dû sur les intérêts, en fin de compte, aucun impôt selon les critères raisonnables visés, excepté dans le cas où il est plausible que l’emprunt a été contracté en vue de la compensation de pertes ou de droits d’un autre type qui sont nés l’année même ou naîtront à court terme ».
4 L’article 13, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés dispose :
« Pour la détermination du bénéfice, ne sont pas pris en compte les avantages tirés d’une participation, de même que les frais supportés à l’occasion de l’acquisition ou de la cession de cette participation (exonération de participation). »
5 L’article 13d de cette loi est ainsi rédigé :
« 1. L’exonération de participation ne s’applique pas aux pertes liées à une participation induites par la dissolution de l’entité dans laquelle l’assujetti détient une participation (perte de liquidation).
2. La perte de liquidation correspond au montant de la participation détenue par l’assujetti qui excède le boni de liquidation global. [...] »
6 L’article 15 de ladite loi est libellé comme suit :
« 1. Dans l’hypothèse où un contribuable (la société mère) détient la propriété juridique et économique d’au moins 95 % des actions dans le capital nominal libéré d’un autre contribuable (la filiale), l’impôt est, à la demande des deux contribuables, prélevé dans leur chef comme s’il existait un seul contribuable, en ce sens que les activités et le patrimoine de la filiale font partie des activités et du patrimoine de la société mère. L’impôt est prélevé dans le chef de la société mère. Les contribuables sont alors considérés ensemble comme une seule entité fiscale unique. Une entité fiscale unique peut comprendre plus d’une filiale.
2. On entend par détention, telle que visée au paragraphe 1, également une détention indirecte d’actions, à condition que celles-ci soient détenues directement par un ou plusieurs contribuables qui font partie de l’entité fiscale unique.
3. Le paragraphe 1 n’est d’application que si :
[...]
c. les deux contribuables sont établis aux Pays-Bas [...] »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
L’affaire C-398/16
7 X BV, société de droit néerlandais, fait partie d’un groupe suédois qui comprend également une société italienne. Afin d’acquérir les actions de cette dernière société qui étaient détenues par des tiers, X BV a créé une autre société italienne à laquelle elle a apporté un capital de 237 312 000 euros. Cet apport a été financé par un prêt d’une société suédoise du groupe à X BV. Au titre de cet emprunt, X BV était redevable en 2004 envers la société prêteuse d’un montant de 6 503 261 euros d’intérêts. Ces intérêts ont été portés en déduction par X BV dans sa déclaration d’impôt sur les sociétés pour l’année 2004. Néanmoins, l’administration fiscale a considéré que l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés faisait obstacle à cette déduction et a émis un avis de redressement dont X BV poursuit l’annulation devant les juridictions néerlandaises.
8 Dans le recours juridictionnel qu’elle a formé contre cet avis de redressement, X BV a soutenu qu’elle aurait pu déduire ces intérêts d’emprunt de son résultat si elle avait pu former avec sa filiale italienne une entité fiscale unique. Comme cette possibilité est réservée par le droit néerlandais aux sociétés résidentes, X BV estime subir une entrave à sa liberté d’établissement, en violation des articles 49 et 54 TFUE.
9 Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), saisi du litige dans le cadre d’un pourvoi en cassation, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les [...] articles 49 et 54 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle une société mère établie dans un État membre n’est pas autorisée à déduire des intérêts relatifs à un emprunt ayant un lien avec un apport de capital dans une filiale établie dans un autre État membre, alors qu’elle pourrait bénéficier de cette déduction si cette filiale avait été reprise avec ladite société mère dans une entité fiscale unique – présentant les caractéristiques qui sont celles de l’entité fiscale unique néerlandaise – étant donné que, dans ce cas, par la consolidation, aucun lien avec un tel apport de capital n’apparaît ? »
L’affaire C-399/16
10 X NV, société de droit néerlandais, détient indirectement une filiale établie au Royaume-Uni. Dans ses déclarations d’impôt sur les sociétés pour les exercices 2008 et 2009, X NV a déduit de son résultat, en tant que frais, la perte enregistrée sur ses participations du fait des variations du taux de change des devises. En application de l’article 13, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, selon lequel ni les avantages retirés ni les pertes subies au titre d’une participation ne sont pris en compte pour la détermination du bénéfice, l’administration fiscale a refusé cette déduction.
11 X NV a contesté son avis d’imposition pour les années 2008 et 2009 en soutenant qu’elle aurait pu déduire sa perte de change de son résultat si elle avait pu former avec sa filiale une entité fiscale unique. Comme cette possibilité de déduction est réservée en droit néerlandais aux sociétés résidentes, elle estime subir une entrave à sa liberté d’établissement, en violation des articles 49 et 54 TFUE.
12 Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), saisi du litige dans le cadre d’un pourvoi en cassation, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
«1) Les articles [...] 49 et 54 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle une société mère établie dans un État membre ne peut prendre en considération aucune perte de change relative au montant qu’elle a investi dans une filiale établie dans un autre État membre, alors qu’elle le pourrait si cette filiale avait été reprise dans une entité fiscale unique – présentant les caractéristiques qui sont celles de l’entité fiscale unique néerlandaise – avec cette société mère établie dans le premier État membre cité, et cela en conséquence de la consolidation au sein de l’entité fiscale unique ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, peut-on ou doit-on, aux fins de la détermination de la perte de change à prendre en considération, partir du principe que seraient reprises dans l’entité fiscale unique également les filiales (une ou plusieurs des filiales), directes ou indirectes, établies dans l’Union européenne et détenues indirectement, par le biais de cette filiale [visée à la première question], par la société mère en question ?
3) En cas de réponse affirmative à la première question, y a-t-il lieu de ne tenir compte que des pertes de change qui, en cas de reprise dans l’entité fiscale unique de la société mère, seraient apparues au cours des années litigieuses, ou y a-t-il lieu de prendre en considération également les résultats de change qui seraient apparus au cours des années antérieures ? »
13 Par décision du président de la Cour du 9 août 2016, les affaires C-398/16 et C-399/16 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et de la procédure orale ainsi que de l’arrêt.
Sur la demande de réouverture de la procédure orale
14 À la suite de la présentation des conclusions de M. l’avocat général le 25 octobre 2017, X NV a, par acte déposé au greffe de la Cour le 16 novembre 2017, demandé que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure dans l’affaire C-399/16. À l’appui de cette demande, cette société fait valoir, en substance, que lesdites conclusions reposent sur une interprétation erronée des règles fiscales de droit néerlandais en cause.
15 Par acte déposé au greffe de la Cour le 2 janvier 2018, X BV a également demandé que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure dans l’affaire C-398/16.
16 Il convient de relever que la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt Nordzucker, C-148/14, EU:C:2015:287, point 24).
17 En l’occurrence, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle est suffisamment éclairée pour statuer et que les affaires C-398/16 et C-399/16 ne nécessitent pas d’être tranchées sur la base d’arguments qui n’auraient pas été débattus. La Cour estime dès lors qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
18 L’article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre. Cette liberté comprend, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union - que l’article 54 TFUE assimile aux ressortissants des États membres pour l’exercice de la liberté d’établissement -, le droit d’exercer leur activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (voir, en ce sens, arrêts du 21 mai 2015, Verder LabTec, C-657/13, EU:C:2015:331, point 32, et du 2 septembre 2015, Groupe Steria, C-386/14, EU:C:2015:524, point 14).
19 Même si, selon leur libellé, les dispositions relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre d’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation.
20 Toutefois, une différence de traitement résultant de la législation d’un État membre au détriment des sociétés qui exercent leur liberté d’établissement n’est pas constitutive d’une entrave à cette liberté si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnée à cet objectif (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446/04, EU:C:2006:774, point 167, et du 25 février 2010, X Holding, C-337/08, EU:C:2010:89, point 20).
21 La Cour a déjà été amenée, dans l’arrêt du 25 février 2010, X Holding (C-337/08, EU:C:2010:89), à se prononcer sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la législation fiscale d’un État membre, telle que la législation fiscale néerlandaise, qui réserve aux sociétés mères résidentes et à leurs filiales résidentes la possibilité d’être soumises à un régime d’intégration fiscale, c’est-à-dire d’être imposées comme si elles formaient une seule entité fiscale. Un tel régime est constitutif d’un avantage pour les sociétés concernées, dans la mesure où il permet, notamment, de consolider au niveau de la société mère les bénéfices et les pertes des sociétés intégrées dans l’entité fiscale et de conserver aux transactions effectuées au sein de cette dernière un caractère fiscalement neutre.
22 Au point 19 de cet arrêt, la Cour a jugé que l’exclusion d’un tel avantage pour une société mère qui détient une filiale établie dans un autre État membre est de nature à rendre moins attrayant l’exercice par la société mère de sa liberté d’établissement, en la dissuadant de créer des filiales dans d’autres États membres.
23 La Cour a néanmoins décidé, au point 43 du même arrêt, que cette différence de traitement était justifiée au regard de la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres et que la restriction à la liberté d’établissement qui en résultait était proportionnée à cet objectif.
24 Pour autant, il ne saurait être déduit de l’arrêt du 25 février 2010, X Holding (C-337/08, EU:C:2010:89), que toute différence de traitement entre des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré, d’une part, et des sociétés n’appartenant pas à un tel groupe, d’autre part, est compatible avec l’article 49 TFUE. En ce qui concerne les avantages fiscaux autres que le transfert des pertes à l’intérieur du groupe fiscal intégré, il convient, par conséquent, d’examiner séparément la question de savoir si un État membre peut réserver ces avantages aux sociétés faisant partie d’un groupe fiscal intégré et, partant, les exclure dans des situations transfrontalières (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2015, Groupe Steria, C-386/14, EU:C:2015:524, points 27 et 28).
25 Dans chacun des litiges au principal, les sociétés requérantes, qui possèdent des filiales non résidentes, soutiennent qu’elles sont privées de ce fait d’avantages fiscaux, autres que le transfert des pertes à l’intérieur du groupe fiscal intégré, que la loi néerlandaise réserverait, de manière injustifiée, aux entités fiscales uniques. La juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ces différences de traitement.
Sur la question dans l’affaire C-398/16
26 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une société mère établie dans un État membre n’est pas autorisée à déduire les intérêts d’un emprunt contracté auprès d’une société liée en vue de financer un apport de capital dans une filiale établie dans un autre État membre, alors que, si la filiale était établie dans le même État membre, la société mère pourrait bénéficier de cette déduction en formant avec elle une entité fiscalement intégrée.
Sur la différence de traitement
27 En vertu de l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, les intérêts d’emprunts contractés auprès d’une entité liée ne sont pas déductibles du bénéfice imposable, si cet emprunt est lié à un apport en capital, notamment sous la forme d’une acquisition d’actions, dans une entité liée. En application de l’article 10a, paragraphe 3, sous a), de cette loi, il en va toutefois autrement, notamment, si le contribuable rend plausible le fait que la dette et l’opération juridique qui y est liée se fondent, dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques.
28 L’article 15 de ladite loi permet, par ailleurs, à un groupe de sociétés résidentes de constituer une entité fiscale unique. Ainsi qu’il ressort du point 21 du présent arrêt, les sociétés qui optent pour ce régime font l’objet d’une imposition commune dans le chef de la société mère. Au sein de l’entité fiscale unique, les liens de participation mutuels, tels que l’apport en capital d’une société mère dans sa filiale, deviennent, par l’effet de la consolidation, fiscalement inexistants.
29 Puisque, selon la juridiction de renvoi, l’apport en capital n’apparaît pas dans une entité fiscale unique, l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés n’est pas applicable à une société qui emprunte à une entité liée afin d’opérer un apport de capital sous la forme d’une acquisition d’actions de sa filiale avec laquelle elle forme une entité fiscale unique. Dans cette hypothèse, la société a donc la possibilité de déduire les intérêts de son emprunt de son bénéfice fiscal sans avoir à remplir les conditions énumérées au paragraphe 3 du même article.
30 Comme, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, une entité fiscale unique ne peut être constituée qu’entre des contribuables établis aux Pays-Bas, il existe une différence de traitement entre, d’une part, une société mère néerlandaise qui finance sa filiale, également néerlandaise, par un emprunt contracté auprès d’une société liée, et qui ne peut voir limiter la déduction des intérêts de cet emprunt par l’application de l’article 10a de cette loi, et, d’autre part, une société mère néerlandaise qui finance sa filiale étrangère de la même façon, mais peut se voir refuser la déduction des intérêts sur la base des mêmes dispositions.
31 En l’occurrence, X BV a financé l’achat d’actions de sa filiale italienne au moyen d’un prêt que lui a consenti une société suédoise appartenant au même groupe. En application de l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, l’administration fiscale a refusé à X BV la déduction des intérêts de cet emprunt, à défaut pour celle-ci d’avoir rendu plausible l’utilité économique de son recours à l’emprunt. X BV fait valoir qu’elle aurait été traitée plus favorablement si sa filiale avait été une société résidente, puisqu’elle aurait pu former avec elle une entité fiscale unique et, de ce fait déduire ses intérêts d’emprunt de son résultat sans restriction.
32 Cette différence de traitement est susceptible de rendre moins attrayant l’exercice par la société mère de sa liberté d’établissement par la création de filiales dans d’autres États membres. Pour qu’elle soit compatible avec les dispositions du traité, il faut, ainsi qu’il ressort du point 20 du présent arrêt, qu’elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.
Sur la comparabilité des situations
33 La comparabilité des situations transfrontalière et interne doit être examinée en tenant compte de l’objet et du contenu des dispositions nationales en cause (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, X, C-87/13, EU:C:2014:2459, point 27).
34 En l’occurrence, la différence de traitement en cause résulte de la combinaison de l’article 10a, paragraphe 2, sous b), et de l’article 15 de la loi relative à l’impôt sur les sociétés. Or, l’objet de ces dispositions est différent. Tandis que l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de cette loi vise à prévenir l’érosion de la base d’imposition néerlandaise par des montages financiers artificiels intragroupe, l’article 15 de ladite loi permet de consolider, au niveau de la société mère, les bénéfices et les pertes des sociétés intégrées dans l’entité fiscale unique et de conserver aux transactions effectuées au sein du groupe un caractère fiscalement neutre. Selon la juridiction de renvoi, l’une des conséquences du régime de l’entité fiscale unique est que le lien entre le prêt et l’apport en capital qui conditionne l’application de l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de cette même loi disparaîtrait du fait de la consolidation.
35 Toutefois, l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ne fait lui-même aucune distinction selon que le groupe est transfrontalier ou non. Par conséquent, c’est seulement au regard de l’objet de l’article 15 de cette loi que la comparabilité des situations doit être appréciée, compte-tenu de la conséquence de la consolidation dont fait état la juridiction de renvoi.
36 Or, la Cour a déjà jugé, au point 24 de l’arrêt du 25 février 2010, X Holding (C-337/08, EU:C:2010:89), à propos du régime fiscal néerlandais de l’entité fiscale unique, que la situation d’une société mère résidente qui souhaite constituer une telle entité avec une filiale résidente et celle d’une société mère résidente souhaitant constituer une entité fiscale unique avec une filiale non-résidente sont, au regard de l’objectif de ce régime fiscal, objectivement comparables.
37 Il en résulte que les situations transfrontalière et interne sont comparables au regard de la combinaison des dispositions nationales en cause dans le litige au principal et qu’il existe, dès lors, une différence de traitement. Celle-ci est, toutefois, susceptible d’être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.
Sur la justification
38 À cet égard, le gouvernement néerlandais et la juridiction de renvoi avancent plusieurs motifs pour justifier la différence de traitement décrite au point 30 du présent arrêt.
39 En premier lieu, il convient d’apprécier si une telle différence de traitement peut être justifiée par la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres. La Cour a jugé, dans l’arrêt du 25 février 2010, X Holding (C-337/08, EU:C:2010:89), ainsi qu’il ressort du point 23 du présent arrêt, que la consolidation au niveau de la société mère des bénéfices et des pertes des sociétés intégrées dans une entité fiscale unique représente un avantage qu’il est justifié de réserver aux sociétés résidentes au regard de la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres.
40 Toutefois, l’avantage que revendique, en l’occurrence, X BV ne peut pas être confondu avec celui que procure la consolidation au sein de l’entité fiscale unique. Le litige au principal concerne la possibilité de déduire une charge d’intérêts et non la compensation générale des charges et des bénéfices propre à l’entité fiscale unique. Loin de réserver cette possibilité de déduction aux entités fiscales uniques, le droit néerlandais la reconnaît à toute société et ne la restreint que dans la configuration particulière et dans les conditions visées par l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés. En échappant à cette restriction, la société mère qui forme avec sa filiale une entité fiscale unique n’obtient donc pas un avantage spécifiquement lié au régime fiscal de l’entité fiscale unique.
41 Il en va d’autant plus ainsi que l’application de l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés paraît ne pas dépendre du lieu d’imposition du revenu que constituent les intérêts versés et donc du point de savoir quel État bénéficie de cette imposition, élément sur lequel le gouvernement néerlandais ne donne d’ailleurs aucune indication.
42 Par conséquent, la différence de traitement en cause ne saurait être justifiée par la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres.
43 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande si cette justification pourrait être tirée de la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal néerlandais. La Cour admet qu’une telle justification constitue une raison impérieuse d’intérêt général, à la condition que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause (arrêt du 2 septembre 2015, Groupe Steria, C-386/14, EU:C:2015:524, point 31 et jurisprudence citée).
44 Toutefois, le gouvernement néerlandais n’allègue même pas l’existence d’un tel lien. Il se borne à faire valoir, de manière générale, que le régime de l’entité fiscale unique constitue un ensemble cohérent d’avantages et de désavantages. En tout état de cause, ce gouvernement ne mentionne aucun élément spécifique permettant de considérer que la cohérence du régime de l’entité fiscale unique serait compromise si la déduction des intérêts d’un emprunt destiné à financer l’achat d’actions d’une filiale non résidente était permise.
45 Dès lors, la différence de traitement visée au point 30 du présent arrêt n’est pas justifiée par la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal néerlandais.
46 En troisième lieu, cette différence de traitement est justifiée, selon le gouvernement néerlandais, par l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale et la fraude et vise à faire obstacle à des comportements consistant à créer des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dans le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national.
47 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour, plus particulièrement du point 26 de l’arrêt du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, EU:C:1998:370) et du point 51 de l’arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C-196/04, EU:C:2006:544), qu’un tel objectif peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général dans le domaine fiscal.
48 Tel est indéniablement le but poursuivi par l’article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés. Comme l’expose la juridiction de renvoi, il s’agit d’empêcher que des fonds propres d’un groupe ne soient présentés, de manière factice, comme des fonds empruntés par une entité néerlandaise de ce groupe et que les intérêts de cet emprunt puissent venir en déduction du résultat imposable aux Pays–Bas. La finalité de l’interdiction de la déduction des intérêts d’emprunts intra-groupe se trouve explicitement confirmée par la règle selon laquelle les intérêts d’emprunt peuvent être déduits, en vertu du paragraphe 3, sous a), du même article, si l’opération intra-groupe est économiquement justifiée.
49 Toutefois, pour qu’une restriction à la liberté d’établissement soit justifiée par la prévention des pratiques abusives, encore faut-il que le but spécifique de cette restriction soit d’y faire obstacle (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, EU:C:2006:544, point 55). Or, le gouvernement néerlandais ne tente même pas de démontrer que la différence de traitement visée au point 30 du présent arrêt procède d’une telle intention. Tel ne saurait d’ailleurs être le cas, puisque la différence de traitement ne résulte pas du seul article 10a, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, mais de sa combinaison avec l’article 15 de cette loi, relatif à l’entité fiscale unique, dont la finalité est autre, ainsi qu’il ressort du point 34 du présent arrêt.
50 En outre, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 82 de ses conclusions, cette différence de traitement n’est pas objectivement justifiable par la prévention des pratiques abusives. En effet, lorsqu’une société mère finance l’achat d’actions d’une filiale par un emprunt contracté auprès d’une autre société liée, le risque que cet emprunt ne corresponde à aucune opération économique réelle et ne vise qu’à créer artificiellement une charge déductible n’est pas moindre si la société mère et la filiale sont toutes deux résidentes du même État membre et forment ensemble une entité fiscale unique que si la filiale est établie dans un autre État membre et qu’il ne lui est pas, en conséquence, permis de former une entité fiscale unique avec la société mère.
51 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de répondre à la question posée dans l’affaire C-398/16 que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une société mère établie dans un État membre n’est pas autorisée à déduire les intérêts d’un emprunt contracté auprès d’une société liée en vue de financer un apport de capital dans une filiale établie dans un autre État membre, alors que, si la filiale était établie dans le même État membre, la société mère pourrait bénéficier de cette déduction en formant avec elle une entité fiscalement intégrée.
Sur les questions dans l’affaire C-399/16
Sur la première question
52 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une société mère établie dans un État membre n’est pas autorisée à déduire de ses bénéfices les moins–values découlant des variations du taux de change relatives au montant de ses participations dans une filiale établie dans un autre État membre, lorsque cette même réglementation ne soumet pas à l’impôt, de manière symétrique, les plus-values découlant de ces variations.
53 En vertu de l’article 13, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, ne sont pas pris en compte, pour la détermination du bénéfice, les avantages tirés d’une participation, de même que les frais supportés à l’occasion de l’acquisition ou de la cession de cette participation.
54 Cette règle – dite de « l’exonération de participation » – a notamment pour conséquence que tant les augmentations que les diminutions de valeur d’une participation résultant de l’évolution du cours d’une devise étrangère dans laquelle la valeur de cette participation est exprimée ne sont pas prises en considération aux fins de la détermination du bénéfice.
55 C’est la raison pour laquelle X NV ne peut pas déduire de son bénéfice imposable la perte de change qu’elle a subie sur le montant de son investissement, en tant qu’actionnaire, dans sa filiale établie au Royaume-Uni. En revanche, elle le pourrait, selon les explications de la juridiction de renvoi, par l’effet de la consolidation, dans le cadre d’une entité fiscale unique, si sa filiale avait été établie aux Pays-Bas. X NV soutient qu’elle subit en conséquence une discrimination constitutive d’une entrave à la liberté d’établissement.
56 De telles situations ne sont toutefois pas objectivement comparables. Une société néerlandaise ne peut, en effet, subir de pertes de change sur sa participation dans une filiale résidente, sauf dans le cas, très particulier, où cette participation serait libellée dans une autre devise que celle dans lequel le résultat de la société est exprimé.
57 Même dans cette hypothèse, l’existence d’une différence de traitement est contestable. En effet, au sein de l’entité fiscale unique, ainsi qu’il ressort du point 21 du présent arrêt, les liens de participation mutuels sont fiscalement neutres. Par conséquent, la dépréciation de la participation de la société mère dans sa filiale résidente avec laquelle elle forme une entité fiscale unique ne peut pas venir en déduction du résultat de l’entité, que cette dépréciation découle d’une variation du taux de change ou d’une autre cause.
58 Enfin et en tout état de cause, la Cour a jugé qu’il ne saurait être inféré des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement qu’un État membre serait tenu d’exercer, de façon asymétrique, sa compétence fiscale afin de permettre la déductibilité des pertes occasionnées par des opérations dont les résultats, s’ils étaient positifs, ne seraient en tout état de cause pas imposés (arrêt du 10 juin 2015, X, C-686/13, EU:C:2015:375, points 40 et 41).
59 Or, l’inconvénient que représente pour une société néerlandaise l’impossibilité de déduire la perte de change qu’elle subit, le cas échéant, sur sa participation dans une filiale non résidente n’est pas séparable de l’avantage symétrique lié à l’absence d’imposition des gains de change. Ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, l’ « exonération de participation » n’est a priori ni avantageuse ni désavantageuse. Elle ne peut donc être à l’origine d’une différence de traitement défavorable aux sociétés néerlandaises qui possèdent une filiale dans un autre État membre ni, dès lors, constituer une restriction à la liberté d’établissement.
60 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question dans l’affaire C-399/16 que les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une société mère établie dans un État membre n’est pas autorisée à déduire de ses bénéfices les moins-values découlant des variations du taux de change relatives au montant de ses participations dans une filiale établie dans un autre État membre, lorsque cette même réglementation ne soumet pas à l’impôt, de manière symétrique, les plus-values découlant de ces variations.
Sur les deuxième et troisième questions
61 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions dans l’affaire C-399/16.
Sur les dépens
62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une société mère établie dans un État membre n’est pas autorisée à déduire les intérêts d’un emprunt contracté auprès d’une société liée en vue de financer un apport de capital dans une filiale établie dans un autre État membre, alors que, si la filiale était établie dans le même État membre, la société mère pourrait bénéficier de cette déduction en formant avec elle une entité fiscalement intégrée.
2) Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une société mère établie dans un État membre n’est pas autorisée à déduire de ses bénéfices les moins-values découlant des variations du taux de change relatives au montant de ses participations dans une filiale établie dans un autre État membre, lorsque cette même réglementation ne soumet pas à l’impôt, de manière symétrique, les plus-values découlant de ces variations.
Signatures
* Langue de procédure : le néerlandais.