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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

9 novembre 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 98 – Faculté pour les États membres d’appliquer un taux réduit à certaines livraisons de biens et prestations de services – Annexe III, point 1 – Denrées alimentaires – Pâtisseries et viennoiseries – Date de durabilité minimale ou date limite de consommation – Principe de neutralité fiscale »

Dans l’affaire C-499/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 16 juin 2016, parvenue à la Cour le 16 septembre 2016, dans la procédure

AZ

contre

Minister Finansów,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. C. G. Fernlund (rapporteur), président de chambre, MM. S. Rodin et E. Regan, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour AZ, par Me M. Machciński, adwokat, et Mme M. Kukawska, doradca podatkowy,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. De Bonis, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par Mmes M. Owsiany-Hornung et K. Herrmann, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 98 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), au regard du principe de neutralité fiscale.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AZ au Minister Finansów (ministre des Finances, Pologne) au sujet de deux rescrits fiscaux de ce dernier concernant le taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux livraisons des biens de cette société.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 4 de la directive TVA énonce :

« La réalisation de l’objectif de l’instauration d’un marché intérieur suppose l’application, dans les États membres, de législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne faussant pas les conditions de concurrence et n’entravant pas la libre circulation des marchandises et des services. Il est donc nécessaire de réaliser une harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires au moyen d’un système de [TVA], ayant pour objet l’élimination, dans toute la mesure du possible, des facteurs qui sont susceptibles de fausser les conditions de concurrence, tant sur le plan national que sur le plan communautaire. »

4

Aux termes du considérant 7 de cette directive :

« Le système commun de TVA devrait, même si les taux et les exonérations ne sont pas complètement harmonisés, aboutir à une neutralité concurrentielle, en ce sens que sur le territoire de chaque État membre les biens et les services semblables supportent la même charge fiscale, quelle que soit la longueur du circuit de production et de distribution. »

5

L’article 96 de ladite directive dispose :

« Les États membres appliquent un taux normal de TVA fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services. »

6

L’article 98 de cette même directive prévoit :

« 1.   Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits.

2.   Les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III.

[...]

3.   En appliquant les taux réduits prévus au paragraphe 1 aux catégories qui se réfèrent à des biens, les États membres peuvent recourir à la nomenclature combinée pour délimiter avec précision la catégorie concernée. »

7

Au point 1 de l’annexe III de la directive TVA figurent notamment les « denrées alimentaires [...] destinées à la consommation humaine ».

Le droit polonais

8

Il ressort de l’article 41, paragraphe 1 et de l’article 146a, point 1, de la loi du 11 mars 2004 relative à la taxe sur les biens et les services, dans sa version applicable aux faits au principal (Dz. U. de 2011, no 177, position 1054, ci-après la « loi sur la TVA »), que le taux normal de TVA était de 23 % pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2016.

9

Pour la même période, le taux applicable aux biens et aux services énumérés à l’annexe 3 de cette loi était de 8 %, conformément à l’article 41, paragraphe 2 et à l’article 146a, point 2, de ladite loi.

10

À la position 32 de cette annexe figurent les produits suivants, à savoir « Pâtisseries et viennoiseries fraîches dont la date de durabilité minimale, déterminée conformément à des dispositions distinctes, n’est pas fixée à plus de 45 jours ; de même, si ces produits comportent exclusivement une date limite de consommation déterminée conformément à des dispositions distinctes, elle n’est pas fixée à plus de 45 jours».

Le litige au principal et la question préjudicielle

11

AZ est une société polonaise qui produit des pâtisseries et des viennoiseries, notamment des croissants fourrés et des petits pains fourrés avec différentes garnitures, ayant une date de durabilité minimale fixée à plus de 45 jours.

12

Au cours de l’année 2010, les produits d’AZ ont été classés comme des « Biscottes et biscuits, pâtisseries et viennoiseries de conservation », au sens de la réglementation nationale sur la classification statistique des produits de 2008. Néanmoins, au cours de l’année 2013, ces produits ont été classés, par le directeur de la chambre des douanes de Varsovie (Pologne), sous la position 1905 90 60 de la nomenclature combinée figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1), telle que modifiée par le règlement (UE) no 927/2012 de la Commission, du 9 octobre 2012 (JO L 304, p. 1, ci-après la « NC »), qui correspond à une autre classification de ladite réglementation nationale, à savoir celle de « Pâtisseries et viennoiseries fraîches ».

13

Le 14 novembre 2013, AZ a demandé au ministre des Finances un rescrit fiscal, afin de déterminer si elle pouvait appliquer le taux réduit de TVA de 8 % aux livraisons des produits en cause qui, tout en relevant du code de la NC correspondant à la classification « Pâtisseries et viennoiseries fraîches », ont une date de durabilité minimale ou date limite de consommation fixée à plus de 45 jours. Dans sa demande, cette société a fait valoir que la position 32 de l’annexe 3 de la loi sur la TVA introduit, contrairement au droit de l’Union, un critère d’application du taux réduit de TVA qui ne ressort ni de la directive TVA ni de la NC. En effet, la position 1905 90 60 de la NC ne contiendrait pas de distinction relative au caractère frais des produits, à leur date de durabilité minimale ou à leur date limite de consommation.

14

Dans ses rescrits du 3 décembre 2013 et du 14 janvier 2014, le ministre des Finances n’a pas validé la thèse d’AZ, estimant que le législateur polonais pouvait légitimement adopter un critère d’application du taux réduit de TVA tel que celui en cause.

15

AZ a formé un recours contre lesdits rescrits fiscaux devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne). Ce dernier a rejeté ce recours en soulignant que les additifs entrant dans la composition des pâtisseries et des viennoiseries, tels que les conservateurs, qui prolongent la durée de conservation, influencent la décision du consommateur moyen.

16

Dans la mesure où, selon cette juridiction, le législateur de l’Union et le législateur national ont considéré la date limite de consommation comme un élément essentiel de la protection du consommateur, les produits ayant des dates limites de consommation différentes peuvent valablement être considérés comme n’étant pas semblables.

17

Ladite juridiction a également souligné qu’AZ n’a pas démontré l’existence, sur le marché, d’autres produits spécifiques qui pourraient être considérés comme semblables à ses produits. Tout en reconnaissant que le critère de durée de conservation de 45 jours avait un caractère subjectif, cette même juridiction a estimé, dans son jugement, que la directive TVA ne s’oppose pas à l’application d’un tel critère, dans la mesure où le principe de neutralité fiscale n’est pas enfreint.

18

AZ a formé un pourvoi contre ce jugement devant la juridiction de renvoi.

19

Cette juridiction constate que le seul critère déterminant, selon la législation polonaise, pour l’application du taux réduit de TVA à certaines des pâtisseries et des viennoiseries fraîches est leur date de durabilité minimale ou leur date limite de consommation, à savoir le critère lié à la durée de conservation de 45 jours. Après avoir également constaté qu’un tel critère ne découle pas du droit de l’Union, ladite juridiction se demande s’il est susceptible de distinguer des produits suffisamment différents pour justifier l’application de taux de TVA différents, d’autant que la juridiction de première instance a affirmé que le législateur de l’Union considérait la date limite de consommation d’un produit comme un élément essentiel de la protection des consommateurs, qui suffisait par conséquent pour différencier les produits du point de vue des taux de TVA.

20

C’est dans ces conditions que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La condition applicable aux pâtisseries et aux viennoiseries, aux termes des dispositions combinées de l’article 41, paragraphe 2, et de la position 32 de l’annexe 3 de la [loi sur la TVA], qui subordonne le taux de taxation de ces produits au seul critère de leur “date de durabilité minimale” ou de leur “date limite de consommation”, est-elle contraire au principe de neutralité de la TVA et à l’interdiction de traiter différemment les produits au sens de l’article 98, paragraphes 1 et 2, de la [directive TVA] ? »

Sur la question préjudicielle

21

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 98 de la directive TVA, lu à la lumière du principe de neutralité fiscale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’application du taux réduit de TVA aux pâtisseries et aux viennoiseries fraîches au seul critère de leur « date de durabilité minimale » ou de leur « date limite de consommation ».

22

À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon l’article 96 de la directive TVA, le même taux de TVA, à savoir le taux normal fixé par chaque État membre, est applicable aux livraisons de biens et aux prestations de services. C’est par dérogation à ce principe que la possibilité d’appliquer des taux réduits de TVA est prévue, en vertu de l’article 98 de cette directive. L’annexe III de ladite directive énumère les catégories de livraisons de biens et de prestations de services pouvant faire l’objet des taux réduits visés à cet article 98 (arrêt du 9 mars 2017, Oxycure Belgium, C-573/15, EU:C:2017:189, points 20 et 21).

23

S’agissant de l’application de taux réduits de TVA, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il appartient aux États membres, sous réserve de respecter le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, de déterminer plus précisément parmi les livraisons de biens et les prestations de services incluses dans les catégories de l’annexe III de la directive TVA celles auxquelles le taux réduit s’applique (arrêt du 11 septembre 2014, K, C-219/13, EU:C:2014:2207, point 23).

24

La possibilité de procéder à une telle application sélective du taux réduit de TVA se justifie notamment par la considération que, ce taux étant l’exception, la limitation de son application à des aspects concrets et spécifiques de la catégorie de prestation en cause est cohérente avec le principe selon lequel les exemptions et les dérogations doivent être interprétées restrictivement (arrêt du 6 mai 2010, Commission/France, C-94/09, EU:C:2010:253, point 29).

25

À cet égard, il convient de noter que, selon l’article 98, paragraphe 3, de la directive TVA, les États membres peuvent recourir à la NC lorsqu’ils appliquent les taux réduits aux catégories qui se réfèrent à des biens, afin de délimiter avec précision la catégorie concernée. Cependant, il convient de constater que le recours à la NC n’est qu’une manière parmi d’autres de délimiter avec précision la catégorie concernée.

26

En l’occurrence, le législateur polonais a choisi d’appliquer un taux réduit de TVA aux pâtisseries et aux viennoiseries fraîches avec une date de péremption fixée de telle manière que la durée de conservation n’excède pas 45 jours.

27

Il est constant que ces pâtisseries et ces viennoiseries constituent une catégorie restreinte des denrées alimentaires destinées à la consommation humaine visées au point 1 de l’annexe III de la directive TVA.

28

Ainsi, dans la mesure où le critère lié à un certain nombre de jours de conservation délimite avec précision la catégorie concernée, il y a lieu de constater que cette application sélective du taux réduit de TVA à un aspect concret et spécifique des biens inclus dans l’une des catégories de ladite annexe III est, en principe, compatible avec l’article 98 de la directive TVA.

29

Toutefois, afin de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient de vérifier si une législation nationale, telle que celle en cause au principal, porte atteinte au principe de neutralité fiscale.

30

Il découle d’une jurisprudence constante que ce principe s’oppose à ce que des biens ou des prestations de services semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traités de manière différente du point de vue de la TVA (arrêt du 11 septembre 2014, K, C-219/13, EU:C:2014:2207, point 24 et jurisprudence citée).

31

Pour ce qui est de l’appréciation du caractère semblable des biens ou des prestations de services concernés, qui appartient en définitive au juge national, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il convient de tenir principalement compte du point de vue du consommateur moyen. Des biens ou des prestations de services sont semblables lorsqu’ils présentent des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins auprès du consommateur, en fonction d’un critère de comparabilité dans l’utilisation, et lorsque les différences existantes n’influent pas de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’un ou à l’autre desdits biens ou prestations de services (arrêt du 11 septembre 2014, K, C-219/13, EU:C:2014:2207, point 25).

32

Il incombe dès lors à la juridiction de renvoi d’entamer un examen concret afin d’établir si le fait que la date de péremption est fixée de telle manière que la durée de conservation n’excède pas 45 jours est déterminant du point de vue du consommateur moyen polonais lorsqu’il fait son choix d’achat de pâtisseries et de viennoiseries (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, K, C-219/13, EU:C:2014:2207, point 33).

33

Ainsi, il lui incombe d’examiner s’il existe, sur le marché polonais, des pâtisseries ou des viennoiseries dont la durée de conservation n’est pas supérieure à 45 jours, mais qui sont néanmoins semblables, aux yeux de ce consommateur, aux pâtisseries et aux viennoiseries ayant une date de durabilité minimale fixée à plus de 45 jours, telles que celles produites par AZ, et qui se trouvent dans un rapport de substitution avec ces dernières.

34

Si l’existence de tels biens peut être constatée, la durée de conservation de moins de 45 jours ne s’avérerait pas déterminante pour le consommateur moyen polonais et le choix de ce consommateur pourrait être affecté par l’application de taux de TVA différents. Dans une telle hypothèse, le principe de neutralité fiscale s’opposerait aux dispositions nationales en cause au principal.

35

En revanche, si la juridiction de renvoi, dans le cadre de l’examen concret qui lui incombe, constate que le taux réduit de TVA pour les pâtisseries et les viennoiseries ayant une date de péremption fixée de telle manière que la durée de conservation n’excède pas 45 jours n’a pas pour effet de favoriser la vente de celles-ci par rapport à celle des pâtisseries et des viennoiseries ayant une date de péremption fixée de telle manière que la durée de conservation excède 45 jours, il en découlerait que ces deux catégories de pâtisseries et de viennoiseries ne sont pas des biens semblables se trouvant dans une relation de concurrence entre eux (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2001, Commission/France, C-481/98, EU:C:2001:237, point 27). Dans ce cas, le principe de neutralité fiscale ne s’opposerait pas aux dispositions nationales en cause au principal.

36

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 98 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas – pour autant que le principe de neutralité fiscale est respecté, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier – à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’application du taux réduit de TVA aux pâtisseries et aux viennoiseries fraîches au seul critère de leur « date de durabilité minimale » ou de leur « date limite de consommation ».

Sur les dépens

37

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 98 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas – pour autant que le principe de neutralité fiscale est respecté, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier – à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux pâtisseries et aux viennoiseries fraîches au seul critère de leur « date de durabilité minimale » ou de leur « date limite de consommation ».

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.