ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
14 février 2019 (*)
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 143, paragraphe 1, sous d) – Exonérations de la TVA à l’importation – Importations suivies d’un transfert intracommunautaire – Livraison intracommunautaire subséquente – Fraude fiscale – Refus de l’exonération – Conditions »
Dans l’affaire C-531/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 29 juin 2017, parvenue à la Cour le 8 septembre 2017, dans la procédure
Vetsch Int. Transporte GmbH
en présence de :
Zollamt Feldkirch Wolfurt,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, MM. E. Juhász et C. Vajda, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. K. Malacek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 juin 2018,
considérant les observations présentées :
– pour Vetsch Int. Transporte GmbH, par Me P. Csoklich, Rechtsanwalt,
– pour le Zollamt Feldkirch Wolfurt, par M. G. Kofler, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement autrichien, par M. F. Koppensteiner ainsi que par Mmes D. Schwab et C. Pesendorfer, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hellénique, par Mmes M. Tassopoulou et G. Papadaki, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et Mme F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 septembre 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 143, sous d), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA ») et de l’article 143, paragraphe 1, sous d), de cette directive, telle que modifiée par la directive 2009/69/CE du Conseil, du 25 juin 2009 (JO 2009, L 175, p. 12) (ci-après la « directive TVA modifiée »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vetsch Int. Transporte GmbH (ci-après « Vetsch ») au Zollamt Feldkirch Wolfurt (bureau de douane de Feldkirch Wolfurt, Autriche) (ci-après le « bureau de douane »), au sujet de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) d’importations, en Autriche, de biens en provenance de Suisse en vue de leur transfert en Bulgarie.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Il ressort de la décision de renvoi que les déclarations de mise en libre pratique en cause au principal ont été présentées au cours de la période comprise entre le 10 décembre 2010 et le 5 juillet 2011. La directive TVA ayant notamment été modifiée par la directive 2009/69, dont le délai de transposition a expiré le 1er janvier 2011, les dispositions de la directive TVA et celles de la directive TVA modifiée sont applicables à l’affaire au principal.
La directive TVA
4 L’article 2, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA prévoit :
« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :
[...]
d) les importations de biens. »
5 L’article 17, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive est libellé comme suit :
« Est assimilé à une livraison de biens effectuée à titre onéreux le transfert par un assujetti d’un bien de son entreprise à destination d’un autre État membre. »
6 Aux termes de l’article 138 de ladite directive :
« 1. Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans [l’Union européenne] par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.
2. Outre les livraisons visées au paragraphe 1, les États membres exonèrent les opérations suivantes :
[...]
c) les livraisons de biens consistant en des transferts à destination d’un autre État membre, qui bénéficieraient des exonérations prévues au paragraphe 1 et aux points a) et b) si elles étaient effectuées pour un autre assujetti. »
7 L’article 143 de la même directive dispose :
« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :
[...]
d) les importations de biens expédiés ou transportés à partir d’un territoire tiers ou d’un pays tiers dans un État membre autre que celui d’arrivée de l’expédition ou du transport, dans le cas où la livraison de ces biens, effectuée par l’importateur désigné ou reconnu comme redevable de la taxe en vertu de l’article 201, est exonérée conformément à l’article 138 ;
[...] »
8 Aux termes de l’article 201 de la directive TVA :
« À l’importation, la TVA est due par la ou les personnes désignée ou reconnues comme redevables par l’État membre d’importation. »
La directive TVA modifiée
9 L’article 2, paragraphe 1, sous d), ainsi que les articles 138 et 201 de la directive TVA modifiée sont rédigés en termes identiques à ceux des articles correspondants de la directive TVA. En revanche, l’article 143 de la directive TVA modifiée énonce :
« 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes :
[...]
d) les importations de biens expédiés ou transportés à partir d’un territoire tiers ou d’un pays tiers dans un État membre autre que celui d’arrivée de l’expédition ou du transport, dans le cas où la livraison de ces biens, effectuée par l’importateur désigné ou reconnu comme redevable de la taxe en vertu de l’article 201, est exonérée conformément à l’article 138 ;
[...]
2. L’exonération prévue au paragraphe 1, point d), ne s’applique, dans les cas où les importations de biens sont suivies de livraisons de biens exonérées en vertu de l’article 138, paragraphe 1, et paragraphe 2, point c), que si, au moment de l’importation, l’importateur a fourni aux autorités compétentes de l’État membre d’importation au moins les informations suivantes :
a) le numéro d’identification TVA qui lui a été attribué dans l’État membre d’importation ou le numéro d’identification TVA qui a été attribué à son représentant fiscal dans l’État membre d’importation, lequel est redevable du paiement de la TVA ;
b) le numéro d’identification TVA attribué dans un autre État membre au client auquel les biens sont livrés conformément à l’article 138, paragraphe 1, ou son propre numéro d’identification TVA attribué dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport des biens lorsque ces derniers font l’objet d’un transfert, conformément à l’article 138, paragraphe 2, point c) ;
c) la preuve que les biens importés sont destinés à être transportés ou expédiés à partir de l’État membre d’importation vers un autre État membre.
Toutefois, les États membres peuvent prévoir que la preuve visée au point c) ne doit être fournie qu’à la demande des autorités compétentes. »
Le droit autrichien
10 Aux termes de de l’article 6, paragraphe 3, premier alinéa, de l’annexe contenant des dispositions relatives au marché intérieur de l’Umsatzsteuergesetz 1994 (loi de 1994 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’« UStG 1994 »), l’importation des biens que le déclarant utilise ensuite directement aux fins de la réalisation de livraisons intracommunautaires est exonérée ; le déclarant doit démontrer, par des documents comptables, que les conditions prévues à l’article 7 de cette annexe de l’UStG 1994 sont remplies. L’exonération n’est applicable que si celui pour l’entreprise duquel le bien a été importé effectue la livraison intracommunautaire subséquente.
11 Conformément à l’article 26, paragraphe 1, de l’UStG 1994, les dispositions relatives aux droits de douane s’appliquent par analogie à la TVA à l’importation.
12 En vertu de l’article 71a du Zollrechts-Durchführungsgesetz (loi de mise en œuvre du droit douanier), dans les cas d’exonération de la TVA à l’importation au titre de l’article 6, paragraphe 3, de l’annexe contenant des dispositions relatives au marché intérieur de l’UStG 1994, le déclarant est également redevable de la dette de TVA à l’importation qui a pris naissance en vertu de l’article 204, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 1, ci-après le « code des douanes »), s’il n’est pas déjà considéré comme débiteur en vertu de l’article 204, paragraphe 3, du code des douanes.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 Vetsch est une société autrichienne à responsabilité limitée exerçant une activité de transport.
14 Au cours de la période comprise entre le 10 décembre 2010 et le 5 juillet 2011, cette société a présenté au bureau de douane, en tant que représentante indirecte de deux sociétés établies en Bulgarie, K et B, des déclarations de mise en libre pratique de marchandises importées depuis la Suisse. Dans le cadre de ces déclarations, Vetsch a demandé le bénéficie de l’exonération visée à l’article 6, paragraphe 3, de l’annexe contenant des dispositions relatives au marché intérieur de l’UStG 1994, en indiquant à cet effet le code du « régime douanier 42 ». Les marchandises concernées ont, par conséquent, été mises en libre pratique en exonération de la TVA à l’importation.
15 Par décision du 6 septembre 2011, le bureau de douane a cependant demandé à Vetsch de s’acquitter de la TVA à l’importation sur les marchandises concernées, conformément à l’article 204, paragraphe 1, du code des douanes, au motif que les conditions de l’exonération demandée dans lesdites déclarations n’étaient pas remplies. Vetsch est devenue, par conséquent, redevable de la TVA. Le 31 janvier 2012, le bureau de douane a rejeté la réclamation introduite par Vetsch contre cette décision.
16 Vetsch a formé un recours contre la décision de rejet du bureau de douane devant le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche), qui a été rejeté, par décision du 30 mars 2016, comme étant non fondé.
17 Il ressort de la décision de renvoi que cette juridiction a considéré comme établi que le vendeur des marchandises en cause au principal avait transféré aux destinataires bulgares le droit de disposer de ces marchandises lorsqu’elles se trouvaient en Suisse, c’est-à-dire avant leur dédouanement en Autriche. Il ne serait pas établi que ces destinataires aient perdu ce droit en Bulgarie. Lesdits destinataires auraient déclaré les acquisitions intracommunautaires desdites marchandises, mais se seraient rendus responsables d’une fraude fiscale dans cet État membre en déclarant indûment avoir effectué une livraison intracommunautaire exonérée des marchandises en cause au bénéfice de Vetsch.
18 Vetsch a formé un recours en Revision devant la juridiction de renvoi contre la décision du Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances).
19 La juridiction de renvoi précise que, en droit autrichien, la TVA à l’importation est due si la condition de l’exonération liée au transfert faisant suite à l’importation en Autriche visée à l’article 138, paragraphe 2, sous c), de la directive TVA n’est pas remplie. Dans cette hypothèse, le droit interne prévoit que le débiteur de cette taxe est la personne devant respecter cette condition, à savoir, en l’occurrence, les destinataires bulgares concernés, dont Vetsch est la représentante indirecte. Dans l’affaire au principal, Vetsch est néanmoins considérée comme étant solidairement débitrice de ladite taxe.
20 Selon cette juridiction, l’exonération de la TVA à l’importation, au titre de l’article 143, sous d), de la directive TVA et de l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée dépend de la question de savoir si le transfert intracommunautaire est exonéré en vertu de l’article 138, paragraphe 2, sous c), de la directive TVA.
21 Elle relève, à cet égard, que le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances) a considéré que les conditions permettant de bénéficier d’une telle exonération n’étaient pas remplies en se fondant sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle le bénéfice de l’exonération de la TVA, au titre de l’article 138, paragraphe 1, de la directive TVA, doit être refusé à un assujetti lorsque celui-ci a commis une fraude fiscale ou lorsqu’il savait ou aurait dû savoir que l’opération qu’il a effectuée était impliquée dans une fraude commise par l’acquéreur et qu’il n’a pas pris toutes les mesures raisonnables en son pouvoir pour éviter cette fraude. La Cour aurait, à cet égard, assimilé le transfert intracommunautaire à la livraison intracommunautaire.
22 De l’avis de la juridiction de renvoi, la jurisprudence de la Cour portait sur des situations dans lesquelles la fraude concernait l’opération faisant l’objet de la déduction, de l’exonération ou du remboursement de la TVA ou encore de l’opération effectuée en amont ou en aval de celle-ci. Toutefois, les circonstances de l’affaire au principal se distingueraient de celles ayant donné lieu à ces précédents.
23 Elle indique que le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances) a constaté que les deux entreprises bulgares, dont le transfert intracommunautaire est en cause, ont présenté des déclarations fiscales sur lesquelles elles ont mentionné l’acquisition intracommunautaire en Bulgarie. La fraude fiscale n’aurait eu lieu qu’à un stade ultérieur de l’opération, à savoir dans le cadre de la déclaration d’une nouvelle livraison intracommunautaire des marchandises en cause effectuée par ces entreprises ayant pour objet leur revente à Vetsch. Lesdites entreprises auraient indûment exonéré cette livraison intracommunautaire. Le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances) a fondé sa décision sur la prémisse que ladite livraison n’avait pas eu lieu. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances) a considéré qu’il n’avait toutefois pas été établi que, à la date du transfert intracommunautaire desdites marchandises vers la Bulgarie, les mêmes entreprises avaient déjà l’intention de commettre une fraude concernant une opération ultérieure portant sur ces marchandises.
24 Selon la juridiction de renvoi, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le bénéfice du droit à la déduction ou à l’exonération de la TVA au titre d’une livraison intracommunautaire doit être refusé lorsqu’une fraude fiscale est commise par l’assujetti lui-même.
25 À cet égard, elle relève que cette jurisprudence vise non seulement l’assujetti ayant commis une fraude fiscale, mais également l’assujetti qui savait ou aurait dû savoir que l’opération qu’il a effectuée était impliquée dans une fraude fiscale commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la chaîne de livraisons.
26 Elle s’interroge ainsi sur la pertinence de cette jurisprudence dans une situation telle que celle en cause au principal, dans la mesure où la fraude en cause n’a eu lieu qu’à un stade ultérieur de la chaîne de livraisons ayant suivi le transfert intracommunautaire en cause et l’acquisition intracommunautaire consécutive à ce transfert.
27 Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le bénéfice de l’exonération visée à l’article 138 de la directive [TVA] doit-il être refusé pour un transfert intracommunautaire effectué à partir d’un État membre lorsque l’assujetti effectuant ce transfert à destination d’un autre État membre déclare certes, dans l’autre État membre, l’acquisition intracommunautaire correspondant au transfert intracommunautaire, mais commet, dans l’autre État membre, une fraude fiscale lors d’une opération ultérieure assujettie portant sur les biens concernés en déclarant à tort une livraison intracommunautaire exonérée à partir de cet autre État membre ?
2) La réponse à la première question dépend-elle du point de savoir si, au moment du transfert intercommunautaire, l’assujetti avait déjà l’intention de commettre une fraude fiscale concernant une opération ultérieure portant sur ces biens ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
28 À titre liminaire, il y a lieu de constater que la première question porte sur l’exonération de la TVA visée à l’article 138 de la directive TVA. Il ressort toutefois des indications contenues dans la décision de renvoi que la juridiction de renvoi cherche à savoir s’il y a lieu, dans une situation telle que celle en cause au principal, de refuser l’exonération de la TVA dont bénéficient les importations de biens à partir d’un pays tiers dans un État membre, qui remplissent les conditions prévues à l’article 143, sous d), de la directive TVA et à l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée, lorsque ces biens ont ensuite été transférés dans un autre État membre à une personne qui a commis une fraude à la suite de ce transfert au moyen desdits biens.
29 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 143, sous d), de la directive TVA et l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée doivent être interprétés en ce sens que le bénéfice de l’exonération de la TVA à l’importation, visée à ces dispositions, doit être refusé à l’importateur désigné ou reconnu comme étant redevable de cette taxe, au sens de l’article 201 de cette directive, lorsque le destinataire du transfert intracommunautaire consécutif à cette importation, commet une fraude sur une opération postérieure à ce transfert et qui n’est pas liée audit transfert.
30 Aux termes de l’article 143, sous d), de la directive TVA et de l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée, les États membres exonèrent les importations de biens expédiés ou transportés à partir d’un territoire tiers ou d’un pays tiers dans un État membre autre que celui d’arrivée de l’expédition ou du transport, dans le cas où la livraison de ces biens, effectuée par l’importateur désigné ou reconnu comme redevable de la taxe en vertu de l’article 201 de cette directive, est exonérée conformément à l’article 138 de ladite directive.
31 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’exonération de la TVA à l’importation est dès lors subordonnée à la réalisation subséquente, par l’importateur, d’une livraison intracommunautaire elle-même exonérée au titre de l’article 138 de la directive TVA et dépend, partant, du respect des conditions matérielles fixées à cet article (arrêt du 20 juin 2018, Enteco Baltic, C-108/17, EU:C:2018:473, point 47). Il en est de même lorsque, comme en l’occurrence, la livraison de biens consiste en un transfert de ceux-ci à destination d’un autre État membre.
32 L’article 138, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leurs territoires respectifs, mais dans l’Union par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tels dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens. Conformément à l’article 138, paragraphe 2, sous c), de ladite directive, outre les livraisons visées au paragraphe 1 de la même directive, les États membres exonèrent les livraisons de biens consistant en des transferts à destination d’un autre État membre qui bénéficieraient des exonérations prévues notamment audit paragraphe 1 si elles étaient effectuées pour un assujetti.
33 Aux fins de l’exonération de la TVA, un transfert intracommunautaire, défini à l’article 17, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA, comme le transfert par un assujetti d’un bien de son entreprise à destination d’un autre État membre, est assimilé, notamment, à une livraison intracommunautaire dont l’exonération de la TVA est prévue à l’article 138 de cette directive [voir, s’agissant des dispositions correspondantes de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), arrêt du 20 octobre 2016, Plöckl, C-24/15, EU:C:2016:791 , point 29].
34 Or, en l’occurrence, au regard des indications fournies par la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer, sous réserve des vérifications de cette juridiction, que le transfert intracommunautaire en cause au principal remplit les conditions énoncées à l’article 138 de la directive TVA, auquel renvoient l’article 143, sous d), de cette directive et l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée.
35 En outre, aucun élément permettant de considérer que les importations de marchandises en cause au principal ne remplissaient pas les autres conditions d’exonération de la TVA à l’importation prévues aux deux dernières dispositions visées au point précédent du présent arrêt ne ressort de la décision de renvoi.
36 Il convient, dès lors, de partir de la prémisse que les importations de marchandises en cause au principal remplissent les conditions d’exonération de la TVA à l’importation prévues à l’article 143, sous d), de la directive TVA et à l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée.
37 La juridiction s’interroge néanmoins sur l’incidence d’une opération frauduleuse, réalisée dans le cadre d’une livraison intracommunautaire postérieure à cette importation suivie d’un transfert, sur le droit de bénéficier des exonérations de TVA en cause. Cette juridiction n’émet toutefois aucun doute quant à la légalité de l’importation et du transfert qui ont précédé la livraison intracommunautaire concernée par la fraude fiscale.
38 Or, ainsi que la Commission l’a fait valoir dans ses observations soumises à la Cour, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’importation suivie du transfert intracommunautaire, d’une part, et la livraison intracommunautaire sur laquelle a porté la fraude, d’autre part, doivent être considérées comme étant des opérations indépendantes l’une de l’autre.
39 En effet, il y a lieu de constater que l’article 143, sous d), de la directive TVA et l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée impliquent, en réalité, une double exonération, à savoir une première exonération de la TVA qui, conformément à l’article 201 de la directive TVA, est normalement due à l’importation et une seconde exonération, au titre de la livraison ou du transfert intracommunautaire qui a suivi cette importation.
40 Ainsi, lorsque les conditions prévues à l’article 143, sous d), de la directive TVA et à l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée sont réunies, la TVA sur des biens expédiés ou transportés depuis un pays tiers dans l’Union est due, en principe, pour la première fois, non pas dans l’État membre sur le territoire duquel ils ont été d’abord importés, mais dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport. Comme Mme l’avocate générale l’a souligné au point 53 de ses conclusions, ces dispositions poursuivent un objectif de simplification visant à faciliter les échanges transfrontaliers en faisant l’économie, grâce à l’exonération de l’importation, du droit à déduction de la TVA à l’importation alors exigible qui, à défaut, serait accordé.
41 Dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la fraude en cause a été commise en Bulgarie, dans le cadre d’une livraison intracommunautaire au départ de cet État membre, c’est aux autorités bulgares qu’il appartient de refuser le bénéfice de l’exonération de la TVA relative à cette livraison.
42 Dès lors qu’il est établi que cette fraude ne porte pas sur le transfert dont dépend l’octroi de l’exonération de la TVA à l’importation visée à l’article 143, sous d), de la directive TVA et à l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive modifiée, cette exonération ne peut être refusée à l’importateur désigné ou reconnu comme étant redevable au sens de l’article 201 de cette directive, dans une situation où, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, aucun élément ne permet de considérer que l’importateur savait ou aurait dû savoir que cette livraison subséquente à l’importation était impliquée dans une fraude commise par les destinataires bulgares.
43 Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 143, sous d), de la directive TVA et l’article 143, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA modifiée doivent être interprétés en ce sens que le bénéfice de l’exonération de la TVA à l’importation, visée à ces dispositions, ne doit pas être refusé à l’importateur désigné ou reconnu comme étant redevable de cette taxe, au sens de l’article 201 de la directive TVA dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle, d’une part, le destinataire du transfert intracommunautaire consécutif à cette importation commet une fraude sur une opération postérieure à ce transfert et qui n’est pas liée audit transfert et, d’autre part, aucun élément ne permet de considérer que l’importateur savait ou aurait dû savoir que cette opération postérieure était impliquée dans une fraude commise par le destinataire.
Sur la seconde question
44 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande quelle pourrait être l’incidence, à l’égard de la réponse à apporter à sa première question, de la circonstance que le destinataire des marchandises transférées avait déjà, au moment du transfert intracommunautaire de celles-ci, l’intention de commettre une fraude fiscale sur une opération ultérieure les concernant.
45 Il ressort expressément de la décision de renvoi que, en l’occurrence, une telle intention n’a pas été établie. Dans ces conditions, cette question, qui présente un caractère hypothétique, est irrecevable.
Sur les dépens
46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
L’article 143, sous d), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et l’article 143, paragraphe 1, sous d), de cette directive, telle que modifiée par la directive 2009/69/CE du Conseil, du 25 juin 2009, doivent être interprétés en ce sens que le bénéfice de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée à l’importation, visée à ces dispositions, ne doit pas être refusé à l’importateur désigné ou reconnu comme étant redevable de cette taxe, au sens de l’article 201 de la directive 2006/112, dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle, d’une part, le destinataire du transfert intracommunautaire consécutif à cette importation commet une fraude sur une opération postérieure à ce transfert et qui n’est pas liée audit transfert et, d’autre part, aucun élément ne permet de considérer que l’importateur savait ou aurait dû savoir que cette opération postérieure était impliquée dans une fraude commise par le destinataire.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.