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ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

15 juillet 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents – Directive 90/434/CEE – Articles 4 et 11 – Directive 2009/133/CE – Articles 4 et 15 – Fusion dite “inversée” – Régime fiscal aboutissant à ce que, dans le cas d’une fusion dite “inversée”, les frais encourus par la société mère, afférents à un prêt contracté par celle-ci pour l’achat des actions de la filiale l’absorbant, déductibles pour cette société mère, sont considérés comme non déductibles pour cette filiale »

Dans l’affaire C-438/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal], par décision du 14 juin 2018, parvenue à la Cour le 4 juillet 2018, dans la procédure

Galeria Parque Nascente – Exploração de Espaços Comerciais SA

contre

Autoridade Tributária e Aduaneira,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, MM. J. Malenovský et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Galeria Parque Nascente – Exploração de Espaços Comerciais SA, par Mes C. Reis Duarte, R. Camelo Maurício et F. Romão, advogados,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, T. Larsen et A. Almeida Morgado ainsi que par Mme P. Barros da Costa, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par M. R. Kanitz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par M. A. Caeiros et Mme N. Gossement, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, ainsi qu’au transfert du siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un État membre à un autre (JO 1990, L 225, p. 1), telle que modifiée par la directive 2006/98/CE du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO 2006, L 363, p. 129) (ci-après la « directive 90/434 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la filiale de Gala das Conquistas SA, Galeria Parque Nascente – Exploração de Espaços Comerciais SA (ci-après « GPN »), qui a, dans le cadre d’une fusion par absorption, absorbé sa société mère, à l’Autoridade Tributária e Aduaneira (autorité fiscale et douanière, Portugal) (ci-après l’« autorité fiscale »), au sujet de la décision par laquelle cette autorité a considéré que les frais encourus par GPN, afférents à un prêt contracté précédemment par sa société mère pour l’achat des actions de GPN et déductibles fiscalement pour cette société mère, n’étaient pas des frais financiers fiscalement déductibles pour GPN.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 90/434

3        Les considérants 1 à 4 et 6 à 8 de la directive 90/434 énoncent :

« considérant que les fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents peuvent être nécessaires pour créer dans la Communauté des conditions analogues à celles d’un marché intérieur et pour assurer ainsi l’établissement et le bon fonctionnement du marché commun ; que ces opérations ne doivent pas être entravées par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres ; qu’il importe, par conséquent, d’instaurer pour ces opérations des règles fiscales neutres au regard de la concurrence afin de permettre aux entreprises de s’adapter aux exigences du marché commun, d’accroître leur productivité et de renforcer leur position concurrentielle sur le plan international ; 

considérant que des dispositions d’ordre fiscal pénalisent actuellement ces opérations par rapport à celles qui intéressent des sociétés d’un même État membre ; qu’il est nécessaire d’éliminer cette pénalisation ;

considérant qu’il n’est pas possible d’atteindre cet objectif par une extension au plan communautaire des régimes internes en vigueur dans les États membres, les différences entre ces régimes étant susceptibles de provoquer des distorsions ; que seul un régime fiscal commun peut constituer une solution satisfaisante à cet égard ;

considérant que le régime fiscal commun doit éviter une imposition à l’occasion d’une fusion, d’une scission, d’un apport d’actifs ou d’un échange d’actions, tout en sauvegardant les intérêts financiers de l’État de la société apporteuse ou acquise ; 

[...]

considérant que le régime du report, jusqu’à leur réalisation effective, de l’imposition des plus-values afférentes aux biens apportés, appliqué à ceux de ces biens qui sont affectés à cet établissement stable, permet d’éviter l’imposition des plus-values correspondantes, tout en assurant leur imposition ultérieure par l’État de la société apporteuse, au moment de leur réalisation ;

considérant qu’il convient également de définir le régime fiscal à appliquer à certaines provisions, réserves ou pertes de la société apporteuse et de régler les problèmes fiscaux qui se posent lorsqu’une des sociétés détient une participation dans le capital de l’autre ;

considérant que l’attribution aux associés de la société apporteuse de titres de la société bénéficiaire ou acquérante ne doit, par elle-même, donner lieu à aucune imposition dans le chef de ces associés ; 

[...] »

4        L’article 1er, sous a), de cette directive est libellé comme suit :

« Chaque État membre applique la présente directive aux opérations suivantes :

a)       opérations de fusion [...] qui concernent des sociétés de deux ou plusieurs États membres ».

5        L’article 2 de ladite directive prévoit :

« Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par 

a)       fusion : l’opération par laquelle :

–        une ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine, activement et passivement, à une autre société préexistante, moyennant l’attribution à leurs associés de titres représentatifs du capital social de l’autre société [...],

–        deux ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine, activement et passivement, à une société qu’elles constituent, moyennant l’attribution à leurs associés de titres représentatifs du capital social de la société nouvelle et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres,

–        une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres représentatifs de son capital social ;

[...]

e)       société apporteuse : la société qui transfère son patrimoine, activement et passivement, ou qui apporte l’ensemble ou une ou plusieurs branches de son activité ;

f)       société bénéficiaire : la société qui reçoit le patrimoine, activement et passivement, ou l’ensemble ou une ou plusieurs branches d’activité de la société apporteuse ;

g)       société acquise : la société dans laquelle une autre société acquiert une participation, moyennant un échange de titres ;

h)       société acquérante : la société qui acquiert une participation, moyennant un échange de titres ;

[...] »

6        L’article 4, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« 1.       La fusion [...] n’entraîne aucune imposition des plus-values qui sont déterminées par différence entre la valeur réelle des éléments d’actif et de passif transférés et leur valeur fiscale. 

[...] »

7        Aux termes de l’article 5 de la directive 90/434 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les provisions ou réserves régulièrement constituées en franchise partielle ou totale d’impôt par la société apporteuse, sauf celles qui proviennent d’établissements stables étranger, soient reprises, dans les mêmes conditions de franchise d’impôt, par les établissements stables de la société bénéficiaire situés dans l’État de la société apporteuse, la société bénéficiaire se substituant alors aux droits et obligations de la société apporteuse. »

8        L’article 6 de cette directive énonce :

« Dans la mesure où les États membres appliquent, lorsque les opérations visées à l’article 1er, point a), interviennent entre sociétés de l’État de la société apporteuse, des dispositions permettant la reprise, par la société bénéficiaire, des pertes de la société apporteuse non encore amorties du point de vue fiscal, ils étendent le bénéfice de ces dispositions à la reprise, par les établissements stables de la société bénéficiaire situés sur leur territoire, des pertes de la société apporteuse non encore amorties du point de vue fiscal. »

9        L’article 7 de ladite directive dispose :

« 1.       Lorsque la société bénéficiaire détient une participation dans le capital de la société apporteuse, la plus-value obtenue par la société bénéficiaire à l’occasion de l’annulation de sa participation ne donne lieu à aucune imposition.

2.       Les États membres ont la faculté de déroger au paragraphe 1 lorsque la participation détenue par la société bénéficiaire dans le capital de la société apporteuse est inférieure à 20 %.

[...] »

10      L’article 8 de la même directive est libellé comme suit :

« 1.       L’attribution, à l’occasion d’une fusion [...] de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à un associé de la société apporteuse ou acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé.

2.       L’attribution, à l’occasion d’une scission partielle, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire à un associé de la société apporteuse ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé.

[...] »

11      L’article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434 prévoit :

« Un État membre peut refuser d’appliquer tout ou partie des dispositions des titres II, III, IV et IV ter ou en retirer le bénéfice lorsque l’opération de fusion, de scission, de scission partielle, d’apport d’actifs, d’échange d’actions ou de transfert de siège statutaire d’une SE ou d’une SCE :

a)       a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales ; le fait qu’une des opérations visées à l’article 1er n’est pas effectuée pour des motifs économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l’opération, peut constituer une présomption que cette opération a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales ».

 La directive 2009/133/CE

12      Il résulte du considérant 1 de la directive 2009/133/CE du Conseil, du 19 octobre 2009, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, ainsi qu’au transfert du siège statuaire d’une SE ou d’une SCE d’un État membre à un autre (JO 2009, L 310, p. 34), que cette directive a procédé à la codification de la directive 90/434, cette dernière ayant été modifiée à plusieurs reprises et de façon substantielle.

13      Les considérants 2 à 7 ainsi que 9 et 10 de la directive 2009/133 correspondent en substance, respectivement, aux premier à quatrième et aux sixième à huitième considérants de la directive 90/434.

14      En outre, il ressort du tableau de correspondance figurant à l’annexe III de la directive 2009/133 que les articles 1er et 2, 4 à 8 ainsi que 15 de cette directive correspondent, respectivement, aux articles 1er et 2, 4 à 8 ainsi que 11 de la directive 90/434.

 Le droit portugais

15      Le Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Coletivas (code de l’impôt sur le revenu des personnes morales, ci-après le « CIR »), dans sa version applicable à l’exercice fiscal 2013, prévoit, à son article 23 :

« 1. Sont considérés comme des frais, ceux qui sont prouvés être indispensables à l’obtention des revenus soumis à l’impôt ou au maintien de la source de production, à savoir :

[...]

c)       de nature financière, tels que les intérêts de capitaux tiers appliqués dans le cadre de l’exploitation [...] »

16      L’article 23 du CIR, dans sa version applicable à l’exercice fiscal 2014, dispose :

« 1.       Pour déterminer le bénéfice imposable, peuvent être déduits tous les frais et les pertes encourus ou supportés par l’assujetti en vue d’obtenir ou de garantir les revenus soumis à l’impôt sur le revenu des personnes morales.

2.       Sont considérés comme étant couverts par le paragraphe précédent, en particulier les frais et les pertes suivants :

[...]

c)       de nature financière, tels que les intérêts de capitaux tiers appliqués dans le cadre de l’exploitation [...] »

17      L’article 73 et l’article 74 du CIR, dans leurs versions applicables aux exercices fiscaux 2013 et 2014, qui transposent dans le droit interne la directive 90/434, remplacée par la directive 2009/133, portent sur le régime spécial applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions.

18      Ledit article 73, intitulé « Définitions et champ d’application », énonce :

« 1.       Est considérée comme une fusion, l’opération par laquelle :

a)       le transfert de l’ensemble du patrimoine d’une ou plusieurs sociétés (sociétés fusionnées) à une autre société préexistante (société bénéficiaire), moyennant l’attribution à leurs associés de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire [...] ; 

[...]

e)       le transfert de l’ensemble du patrimoine d’une société (société fusionnée) à une autre société (société bénéficiaire) lorsque la totalité des titres représentatifs du capital social de cette dernière est détenue par la société fusionnée ;

[...]

7.       Le régime spécial établi dans la présente sous-section s’applique aux opérations de fusion [...] de sociétés [...], tels qu’elles sont définies aux paragraphes 1, [...] dans lesquelles interviennent :

a)       des sociétés ayant leur siège ou leur direction effective sur le territoire portugais, soumises à l’impôt sur le revenu des personnes morales et non exonérées de celui-ci ;

b)       une société ou des sociétés d’autres États membres de l’Union européenne dès lors que toutes les sociétés répondent aux conditions fixées à l’article 3 de la directive [2009/133] [...]

[...]

10.       Tout ou partie du régime spécial établi dans la présente sous-section ne s’applique pas lorsqu’il est conclu que l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux des opérations visées dans celle-ci est l’évasion fiscale, ce qui peut être considéré comme établi, en particulier lorsque les revenus des sociétés intervenantes ne sont pas tous soumis au même régime d’imposition à l’impôt sur le revenu des personnes morales ou lorsque les opérations n’ont pas été réalisées pour des raisons économiques valables, telles que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés qui y prennent part, auquel cas il est procédé, le cas échéant, à des liquidations supplémentaires d’impôt. »

19      Ledit article 74, intitulé « Régime spécial applicable aux fusions, scissions et apports d’actifs », prévoit :

« 1.       Pour déterminer le bénéfice imposable des sociétés fusionnées [...], il n’est tenu compte d’aucun résultat tiré du transfert des éléments patrimoniaux à la suite de la fusion [...] ni ne sont prises en considération comme revenus [...] les rectifications d’écarts d’inventaire et les pertes de valeur et autres corrections de valeur qui concernent des créances, l’inventaire de même que [...] les provisions relatives à des obligations et des charges objet du transfert acceptées aux fins fiscales, à l’exception de celles qui concernent les établissements stables situés hors du territoire portugais lorsque ceux-ci sont l’objet d’un transfert à des entités non résidentes, dès lors qu’il s’agit d’un :

a)       transfert réalisé par une société résidente sur le territoire portugais et que la société bénéficiaire est aussi résidente sur ce territoire ou, si elle est résidente d’un État membre de l’Union européenne, que ces éléments sont effectivement affectés à un établissement stable situé sur le territoire portugais de cette même société et concourent à la détermination des profits imposables imputables à cet établissement stable ;

[...]

2.       Dès lors que, en raison d’une fusion [...], un établissement stable situé hors du territoire portugais d’une société y résidant est transféré vers une société résidente d’un autre État membre, le régime spécial prévu au présent article ne s’applique pas à cet établissement stable, mais la société résidente peut déduire l’impôt qui, faute de dispositions de la directive 2009/133/CE [...], serait applicable dans l’État où est situé cet établissement stable, cette déduction étant faite de la même manière et pour le même montant que si cet impôt avait été effectivement liquidé et payé.

3.       L’application du régime spécial fait que la société bénéficiaire conserve, aux fins fiscales, les éléments patrimoniaux objet du transfert aux mêmes valeurs qu’ils avaient dans les sociétés fusionnées, scindées ou dans la société apporteuse avant la réalisation des opérations, ces valeurs étant considérées comme celles qui résultent de l’application des dispositions du présent code ou de réévaluations réalisées en vertu de la législation fiscale.

4.       Pour la détermination du bénéfice imposable de la société bénéficiaire, il convient de prendre en compte ce qui suit :

a)       la consolidation des résultats concernant les éléments patrimoniaux transférés est réalisée comme s’il n’y avait pas eu de fusion, scission ou apport d’actifs ;

b)       les dépréciations ou amortissements sur les éléments d’immobilisations corporelles, d’immobilisations incorporelles et des immeubles de placement comptabilisés au coût historique transférés sont réalisés conformément au régime qu’ils suivaient dans les sociétés fusionnées, scindées ou dans la société apporteuse ;

c)       les rectifications d’écarts d’inventaire, les pertes de valeur et les provisions qui ont été transférées ont, aux fins fiscales, le régime qui leur était applicable dans les sociétés fusionnées, scindées ou dans la société apporteuse.

5.       Aux fins de la détermination du bénéfice imposable de la société apporteuse, les plus-values ou les moins-values réalisées concernant les parts de capital social reçues en contrepartie de l’apport d’actifs sont calculées en considérant comme valeur d’achat de ces parts de capital la valeur nette comptable acceptée aux fins fiscales que les éléments d’actif et de passif transférés avaient dans cette société avant la réalisation de l’opération.

[...]

7.       Lorsque la société fusionnée détient des titres représentant le capital social de la société bénéficiaire, la plus-value ou la moins-value éventuellement résultant de l’annulation des parts de capital détenues dans cette société à la suite de la fusion ou de l’attribution aux associés de la société fusionnée des titres représentant le capital social de la société bénéficiaire ne concourt pas à la formation du bénéfice imposable. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

20      GPN est une société commerciale établie au Portugal, qui a pour activité l’exploitation, l’administration et la gestion de centres commerciaux et de boutiques. 

21      Au mois de juillet 2009, Gala das Conquistas, société également établie au Portugal, qui avait été créée au mois d’avril de la même année, a contracté un prêt afin d’acquérir 100 % du capital social de GPN. Les intérêts afférents à ce prêt ont été considérés, du point de vue fiscal, comme des frais de cette première société et, partant, comme étant, à ce titre, fiscalement déductibles du résultat de celle-ci.

22      Au mois de novembre 2009, dans le cadre d’une fusion dite “inversée”, GPN a absorbé Gala das Conquistas, sa société mère. À la suite de cette fusion ayant pris effet rétroactivement au 22 avril de la même année, le prêt contracté par cette société mère pour l’acquisition du capital social de sa filiale a été transféré à cette dernière, qui est ainsi devenue la débitrice de ce prêt et des intérêts y afférents. En revanche, aucun actif n’a été transféré de ladite société mère à cette filiale, le seul actif de la même société mère étant constitué par les actions représentant le capital social de sa filiale. 

23      En vertu du régime fiscal prévu par la réglementation nationale, transposant la directive 90/434, remplacée par la directive 2009/133, l’imposition des plus-values constatées dans le cadre de cette fusion a été reportée. 

24      Étant devenue la débitrice du prêt contracté par sa société mère absorbée et des intérêts afférents à celui-ci, GPN a considéré que ces intérêts constituaient des frais fiscalement déductibles. 

25      Au mois de mai 2017, à l’issue d’une procédure de contrôle externe portant sur les exercices fiscaux 2013 et 2014, l’autorité fiscale, en application de l’article 23 du CIR dans ses versions applicables à ces exercices fiscaux (ci-après l’« article 23 du CIR »), a considéré que les frais concernés n’étaient pas liés à l’activité de GPN, dès lors qu’ ils n’étaient pas indispensables à l’obtention des revenus de cette société soumis à l’impôt, l’activité de celle-ci ne comprenant pas sa propre acquisition. 

26      Selon cette autorité, le fait que, au titre d’un exercice fiscal, des frais ont été considérés comme indispensables pour l’obtention de revenus imposables ne signifie pas que de tels frais seront indispensables dans tous les cas et au titre des exercices fiscaux futurs. Le caractère indispensable de frais devrait être apprécié en ce qui concerne la société dont les frais sont analysés et par rapport à chaque exercice fiscal. 

27      Le régime de neutralité fiscale des opérations de fusion ne s’opposerait pas à une appréciation de la déductibilité de frais qui, par suite d’une fusion, sont imputables à la société absorbante. 

28      Étant en désaccord avec la décision de l’autorité fiscale, GPN a saisi le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal]. 

29      GPN, qui estime que l’appréciation du caractère indispensable des frais concernés doit être effectuée au regard de l’entité à laquelle le prêt a été initialement octroyé et à la date à laquelle cette entité a contracté ce prêt, soutient que la position selon laquelle les frais afférents aux intérêts concernés cesseraient d’être fiscalement déductibles du seul fait de la fusion réalisée n’est aucunement fondée.

30      Selon GPN, l’article 23 du CIR, tel qu’interprété par l’autorité fiscale, porterait atteinte à la réalisation de l’objectif visé par la directive 90/434 et par la directive 2009/133 qui l’a remplacée, selon lequel les fusions de sociétés d’États membres différents peuvent être nécessaires pour créer, dans l’Union, des conditions analogues à celles d’un marché intérieur et pour assurer, ainsi, le bon fonctionnement de ce marché. Par conséquent, des opérations telles que les fusions ne devraient pas être entravées par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers résultant des dispositions fiscales des États membres.

31      La juridiction de renvoi précise que, en l’occurrence, en l’absence de fusion, les intérêts en cause au principal auraient été fiscalement déductibles par la société mère qui avait initialement contracté le prêt. Ces intérêts ne seraient plus déductibles étant donné que, à la suite de la fusion réalisée, l’autorité fiscale considère que les conditions fixées par l’article 23 du CIR n’étaient plus remplies. En outre, cette juridiction indique que le refus de déduction résulte uniquement de l’interprétation de cet article 23 faite par cette autorité, et non pas de la disposition destinée à éviter les abus, figurant à l’article 15 de la directive 2009/133. 

32      Ladite juridiction considère que le traitement fiscal prévu par la directive 90/434 et par la directive 2009/133 qui l’a remplacée ayant été étendu par le droit national aux opérations de fusion purement internes, afin d’éviter à l’avenir des divergences d’interprétation du droit de l’Union et pour harmoniser la jurisprudence, la Cour est compétente pour se prononcer sur l’interprétation de ces directives. 

33      C’est dans ces conditions que le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 23, paragraphe 1, sous c), du [CIR], dans sa rédaction en vigueur en 2013, et l’article 23, paragraphes 1 et 2, sous c), du [CIR], dans sa rédaction en vigueur en 2014, interprétés en ce sens que, après [une] fusion inversée, les intérêts des prêts contractés auprès de tiers (qui seraient déductibles par la société absorbée s’il n’y avait pas eu fusion) pour acquérir le capital de la filiale absorbante, transférés en vertu de la fusion, ne sont plus fiscalement déductibles des bénéfices de la société absorbante, sont-ils compatibles avec le droit de l’Union, en particulier eu égard au fait que cette non-déductibilité des intérêts peut constituer une entrave ou une restriction aux opérations de concentration couvertes par la directive [2009/133], en violation de ses principes et objectifs ainsi que de son article 4 ?

2)       Au cas où il serait répondu à la première question en ce sens que cette non-déduction fiscale des intérêts est compatible avec la directive, la réponse serait-elle la même dans le cas où la rectification en cause n’aurait pas été opérée sur la base de la disposition anti-abus de la directive (article 15) ou de la loi nationale qui la transpose (article 73, paragraphe 10, du [CIR]), mais d’une autre disposition de la loi nationale (article 23 du [CIR]) ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

34      Les gouvernements allemand et italien ainsi que la Commission européenne considèrent que les questions préjudicielles sont irrecevables. À cet égard, ils font, en substance, valoir, d’une part, que les faits en cause au principal ne relèvent pas de la directive 2009/133, cette directive étant uniquement applicable aux opérations de restructuration transfrontalières de sociétés. Or, en l’espèce, les faits à l’origine du litige au principal porteraient sur une opération de fusion impliquant deux sociétés établies dans un seul et même État membre, en l’occurrence la République portugaise. Il s’ensuivrait que l’élément transfrontalier ferait défaut. D’autre part, la disposition nationale en cause au principal, à savoir l’article 23 du CIR, ne transposerait aucune disposition du droit de l’Union dans le droit national.

35      Selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales. Il en découle qu’il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour (arrêt du 28 mars 2019, Verlezza e.a., C-487/17 à C-489/17, EU:C:2019:270, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

36      En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 28 mars 2019, Verlezza e.a., C-487/17 à C-489/17, EU:C:2019:270, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

37      Le rejet d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît que la procédure prévue à l’article 267 TFUE a été détournée de son objet et tend, en réalité, à amener la Cour à statuer au moyen d’un litige construit ou s’il est manifeste que le droit de l’Union ne saurait trouver à s’appliquer, ni directement ni indirectement, aux circonstances de l’espèce (arrêt du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C-328/17, EU:C:2018:958, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

38      Dans ce contexte, il y a lieu de préciser que la Cour a déclaré recevables des demandes de décision préjudicielle dans des cas où, même si les faits en cause au principal ne relevaient pas directement du champ d’application du droit de l’Union, les dispositions de ce droit avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’était conformée, pour les solutions apportées à des situations dont tous les éléments se cantonnaient à l’intérieur d’un seul État membre, à celles retenues par le droit de l’Union (arrêt du 22 mars 2018, Jacob et Lassus, C-327/16 et C-421/16, EU:C:2018:210, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

39      En effet, dans de tels cas, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer (arrêt du 22 mars 2018, Jacob et Lassus, C-327/16 et C-421/16, EU:C:2018:210, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

40      En l’occurrence, en premier lieu, ainsi qu’il ressort des points 31 et 32 de la présente ordonnance, la juridiction de renvoi a précisé, d’une part, la raison pour laquelle elle estime que l’interprétation du droit de l’Union est nécessaire à la solution du litige qui lui est soumis et, d’autre part, que l’application du droit de l’Union relatif au régime fiscal commun applicable aux fusions de sociétés d’États membres différents a été étendue aux fusions internes.

41      En second lieu, même si l’article 23 du CIR ne transpose aucune disposition du droit de l’Union concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions de sociétés, il n’en demeure pas moins que les questions posées portent non pas sur l’interprétation de cet article 23 du CIR, mais sur celle du droit de l’Union et, plus particulièrement, sur la question de savoir si ce droit s’oppose au résultat auquel aboutit, à la suite d’une fusion, l’application dudit article 23.

42      Partant, les questions préjudicielles posées par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif)] sont recevables.

 Sur la directive applicable

43      À titre liminaire, il y a lieu d’indiquer que les questions posées portent sur la directive 2009/133, qui a remplacé la directive 90/434. Toutefois, la fusion en cause au principal ayant eu lieu avant l’entrée en vigueur de la première de ces deux directives, il y a lieu d’interpréter la demande de décision préjudicielle comme tendant à l’interprétation de la seconde de celles-ci. Au demeurant, étant donné que, ainsi qu’il découle des points 12 à 14 de la présente ordonnance, ces deux directives poursuivent le même objectif et que les dispositions pertinentes de la directive 2009/133 correspondent, en substance, à celles de la directive 90/434, l’interprétation qu’il convient de donner des dispositions de cette dernière directive vaut également pour la directive 2009/133.

 Sur le fond

44      Par ces deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 90/434 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui aboutit à ce que ne sont pas considérés, pour la société absorbante, comme étant fiscalement déductibles, des frais qui l’ont été, pour la société absorbée, avant la fusion de ces sociétés, et qui l’auraient été si cette fusion n’avait pas eu lieu.

45      En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une réponse à la question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voir d’ordonnance motivée.

46      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire.

47      En vue de répondre aux questions posées, il convient d’indiquer qu’il ressort des points 47 à 50 de l’arrêt du 20 mai 2010, Modehuis A. Zwijnenburg (C-352/08, EU:C:2010:282), que, si la directive 90/434 tend à instaurer un régime fiscal commun comprenant différents avantages fiscaux, elle se borne à remédier à certains inconvénients fiscaux liés à la restructuration transfrontalière des sociétés, générés lors d’une telle restructuration. Ainsi, l’application de ladite directive est circonscrite uniquement aux impôts explicitement visés par celle-ci.

48      Plus précisément, la directive 90/434 définit le régime fiscal des plus-values afférentes au patrimoine transféré, constitué d’actifs et de passifs, à l’annulation de la participation de la société bénéficiaire dans le capital de la société apporteuse et à l’attribution de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à l’associé de la société apporteuse ou acquise en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société (articles 4, 7 et 8 ainsi que considérants 4, 6 et 8 de cette directive), ainsi que celui des provisions ou réserves régulièrement constituées en franchise partielle ou totale d’impôts par la société apporteuse non encore amorties du point de vue fiscal (article 5 et considérant 7 de ladite directive). En outre, la directive 90/434 règle la question de la reprise, par la société bénéficiaire, des pertes de la société apporteuse non encore amorties du point de vue fiscal (article 6 et considérant 7 de cette directive).

49      En l’occurrence, il y a lieu de relever qu’une législation nationale, telle que l’article 23 du CIR, qui, dans le cadre du régime fiscal général, énonce, pour la détermination du bénéfice imposable, tous les frais et pertes encourus ou supportés par l’assujetti en vue d’obtenir ou de garantir les revenus soumis à l’impôt sur le revenu des personnes morales qui peuvent être déduits, ne relève d’aucun des cas de figure prévus par la directive 90/434 et rappelés au point précédent.

50      Dès lors, en vertu du principe de l’autonomie fiscale des États membres, il appartient à ces derniers de déterminer, dans le respect du droit de l’Union, si et, le cas échéant, dans quelles conditions des frais encourus par une société pourraient être déductibles de son revenu imposable (voir, en ce sens, arrêts du 9 octobre 2014, van Caster, C-326/12, EU:C:2014:2269, point 47, ainsi que du 14 mars 2019, Jacob et Lennertz, C-174/18, EU:C:2019:205, point 30 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que la directive 90/434 ne s’oppose pas à une législation fiscale telle que celle en cause au principal.

51      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la directive 90/434 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui aboutit à ce que ne sont pas considérés, pour la société absorbante, comme étant fiscalement déductibles, des frais qui l’ont été, pour la société absorbée, avant la fusion de ces sociétés, et qui l’auraient été si cette fusion n’avait pas eu lieu.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

La directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États différents, ainsi qu’au transfert du siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un État membre à un autre, telle que modifiée par la directive 2006/98/CE du Conseil, du 20 novembre 2006, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui aboutit à ce que ne sont pas considérés, pour la société absorbante, comme étant fiscalement déductibles, des frais qui l’ont été, pour la société absorbée, avant la fusion de ces sociétés, et qui l’auraient été si cette fusion n’avait pas eu lieu.

Signatures


*      Langue de procédure : le portugais.