ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
3 mars 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Libre prestation des services – Article 56 TFUE – Restrictions – Dispositions fiscales – Taxe visant les activités publicitaires et fondée sur le chiffre d’affaires – Obligations relatives à l’enregistrement auprès de l’administration fiscale – Principe de non-discrimination – Amendes – Principe de proportionnalité »
Dans l’affaire C-482/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie), par décision du 13 juillet 2018, parvenue à la Cour le 24 juillet 2018, dans la procédure
Google Ireland Limited
contre
Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vámigazgatósága,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, MM. J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev, E. Regan, S. Rodin, Mme L. S. Rossi (rapporteure) et M. I. Jarukaitis, présidents de chambre, M. E. Juhász, Mme C. Toader, MM. D. Šváby, F. Biltgen et Mme K. Jürimäe, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme R. Şereş, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juin 2019,
considérant les observations présentées :
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pour Google Ireland Limited, par MM. Z. Szür et D. Kelemen, ügyvédek, |
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pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér, en qualité d’agent, |
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pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil et O. Serdula, en qualité d’agents, |
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pour la Commission européenne, par Mme N. Gossement ainsi que par MM. L. Malferrari et A. Sipos, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 12 septembre 2019,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 et 56 TFUE ainsi que des articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Google Ireland Limited, société établie en Irlande, au Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vámigazgatósága (administration fiscale, Hongrie) au sujet de décisions par lesquelles cette administration a infligé une série d’amendes à cette société pour avoir contrevenu à l’obligation de déclaration incombant aux personnes exerçant une activité assujettie à la taxe sur la publicité prévue par la législation hongroise. |
Le cadre juridique
La loi hongroise relative à la taxe sur la publicité
3 |
L’article 2, paragraphe 1, sous e), de la reklámadóról szóló 2014. évi XXII. törvény (loi no XXII de 2014, relative à la taxe sur la publicité), dans sa version en vigueur au 1er janvier 2017 (ci-après la « loi relative à la taxe sur la publicité »), prévoit que la taxe sur la publicité est due sur toute publication ou diffusion de publicités sur Internet en langue principalement hongroise, ou sur un site Internet de langue principalement hongroise. |
4 |
Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de cette loi : « [l]a taxe est due sur toute commande de publication, d’affichage ou de diffusion de publicités, à moins que [...] l’auteur de la commande
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5 |
En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de ladite loi, toute personne diffusant de la publicité sur Internet en langue principalement hongroise, ou sur un site Internet de langue principalement hongroise, est un « assujetti, quel que soit le lieu de sa résidence ». |
6 |
L’article 3, paragraphe 3, de la loi relative à la taxe sur la publicité dispose : « L’assujetti défini au paragraphe 1 est tenu d’effectuer, sur toute facture, pièce comptable ou autre document (en particulier le contrat de publication, d’affichage ou de diffusion de publicités) faisant apparaître le prix payé pour la publication, l’affichage ou la diffusion, une déclaration selon laquelle il est assujetti à la taxe et satisfait à ses obligations de déclaration fiscale et de paiement de la taxe, ou selon laquelle il n’est pas tenu de payer la taxe sur les publicités publiées, affichées ou diffusées pour l’exercice concerné. […] » |
7 |
L’article 7/B de cette loi est libellé comme suit : « 1. Tout assujetti, tel que défini à l’article 3, paragraphe 1, que l’administration fiscale nationale n’a pas enregistré en tant que contribuable au titre d’un impôt quelconque est tenu de se déclarer sur le formulaire prévu à cet effet par l’administration fiscale nationale dans un délai de 15 jours à compter du début de l’activité soumise à la taxe en vertu de l’article 2, paragraphe 1. [...] 2. Lorsque l’assujetti visé au paragraphe 1 n’exécute pas l’obligation de se déclarer, l’administration fiscale nationale, en plus de lui enjoindre de se conformer à cette obligation, prononce une première amende pour manquement d’un montant de 10 millions de forints hongrois [HUF] [environ 31000 euros]. 3. Lors de toute nouvelle constatation de l’inexécution de l’obligation, l’administration fiscale nationale prononce une amende pour manquement dont le montant est égal à trois fois celui de l’amende pour manquement prononcée précédemment. 4. L’administration fiscale nationale constate l’inexécution de l’obligation de se déclarer visée au paragraphe 1 dans une décision adoptée jour après jour, laquelle décision est définitive et exécutoire dès sa notification et est susceptible d’un recours juridictionnel. Dans la procédure de recours juridictionnel, les preuves documentaires sont seules admises et le tribunal statue sans tenir d’audience de plaidoirie au préalable. 5. Si l’assujetti s’acquitte de son obligation de déclaration lorsqu’il y est invité pour la première fois par l’administration fiscale nationale, l’amende prévue aux paragraphes 2 et 3 peut être réduite sans limite. » |
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L’article 7/D de ladite loi énonce : « Les amendes pour manquement prononcées par l’administration fiscale nationale contre un même assujetti en application des articles 7/B et 7/C ne peuvent, au total, dépasser 1 milliard de HUF [environ 3, 1 millions d’euros]. » |
La loi hongroise sur les règles d’imposition
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Il ressort de l’article 17, paragraphe 1, sous b), de l’adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény (loi no XCII de 2003, sur les règles d’imposition, ci-après la « loi sur les règles d’imposition »), qu’un assujetti résident satisfait automatiquement à l’obligation de se déclarer auprès de l’administration fiscale nationale lorsqu’il adresse une demande d’enregistrement au registre du commerce et demande l’attribution d’un numéro d’identification fiscale. |
10 |
L’inexécution des obligations de déclaration, qu’elles portent sur l’obligation de se déclarer ou de déclarer tout changement de situation, des obligations de communication de données ou d’ouverture de compte bancaire et de l’obligation d’effectuer une déclaration fiscale est passible, ainsi que cela résulte de l’article 172 de ladite loi, d’une amende de 500000 HUF (environ 1550 euros) ou de 1000000 HUF (environ 3100 euros), selon le cas. L’administration fiscale est également tenue, lorsqu’elle prononce une amende sur ce fondement, d’enjoindre au contribuable d’exécuter l’obligation qu’il a méconnue, en fixant un délai à cet effet. Le montant de l’amende est doublé en cas de non-respect par l’assujetti du délai d’exécution imparti. En cas d’exécution de l’obligation, l’amende prononcée peut être réduite sans limite. |
Le litige au principal et les questions préjudicielles
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Par décision du 16 janvier 2017, l’administration fiscale a constaté, d’une part, que Google Ireland exerçait une activité qui relevait du champ d’application de la loi relative à la taxe sur la publicité et, d’autre part, qu’elle ne s’était pas déclarée à l’administration fiscale dans le délai de 15 jours à compter du début de son activité, en méconnaissance des prescriptions de l’article 7/B, paragraphe 1, de cette loi. En conséquence, l’administration fiscale lui a infligé une amende d’un montant de dix millions de HUF (environ 31000 euros), en application de l’article 7/B, paragraphe 2, de ladite loi. |
12 |
Par des décisions adoptées les quatre jours suivants, l’administration fiscale a infligé à Google Ireland quatre nouvelles amendes, dont le montant de chacune était égal à trois fois celui de l’amende prononcée précédemment, conformément à l’article 7/B, paragraphe 3, de la loi relative à la taxe sur la publicité. Par l’effet de la décision du 20 janvier 2017, Google Ireland s’est vu infliger, au total, le montant maximal légal de 1 milliard de HUF (environ 3,1 millions d’euros), prescrit à l’article 7/D de cette loi. |
13 |
Google Ireland a introduit un recours tendant à l’annulation de ces décisions devant la juridiction de renvoi. |
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À l’appui de son recours, Google Ireland soutient, tout d’abord, que le prononcé d’amendes au motif d’un manquement à l’obligation de se déclarer prévue à l’article 7/B de la loi relative à la taxe sur la publicité est contraire aux articles 18 et 56 TFUE. Elle fait valoir, ensuite, que les sociétés établies sur le territoire hongrois peuvent satisfaire plus aisément aux obligations fixées par cette loi que celles établies en dehors de ce territoire. Enfin, elle considère que les amendes qui sont infligées à ces dernières sociétés, au motif qu’elles ont manqué à leur obligation de déclaration, sont différentes de celles applicables aux sociétés établies en Hongrie qui auraient méconnu une obligation similaire et sont disproportionnées par rapport à la gravité de l’infraction commise, constituant ainsi une restriction à la libre prestation des services dans l’Union européenne. |
15 |
Selon Google Ireland, les assujettis établis à l’étranger se trouvent également dans une situation moins favorable que les sociétés établies en Hongrie s’agissant de l’exercice du droit à un recours effectif. En effet, s’ils disposent du droit de former un recours juridictionnel contre une décision leur infligeant une amende, laquelle est, en application des dispositions des articles 7/B et 7/D de la loi relative à la taxe sur la publicité, définitive et exécutoire par sa seule notification, les modalités d’exercice de ce recours restreindraient toutefois la portée de leur droit. En particulier, dans le cadre de la procédure de recours visée à l’article 7/B, paragraphe 4, de la loi relative à la taxe sur la publicité, le tribunal saisi ne pourrait admettre que des preuves documentaires et statuerait sans tenir d’audience de plaidoiries, alors que la procédure de contestation applicable aux contribuables nationaux en vertu de la loi sur les règles d’imposition ne serait pas soumise à de telles limitations, ces contribuables disposant notamment du droit de former un recours administratif. Les dispositions de la loi relative à la taxe sur la publicité ne garantiraient donc pas à la personne se voyant infliger une telle amende le droit à un recours effectif et à un procès équitable, tel que prévu à l’article 47 de la Charte. |
16 |
Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité des articles 7/B et 7/D de la loi relative à la taxe sur la publicité avec l’article 56 TFUE et le principe de non-discrimination. Selon cette juridiction, l’obligation de se déclarer ainsi que les amendes infligées en cas de manquement à cette obligation – amendes relevant d’un régime de sanction de nature très répressive et présentant un caractère punitif – sont fortement préjudiciables aux sociétés établies en dehors du territoire hongrois et sont effectivement de nature à restreindre la liberté de prestation des services dans l’Union. Elle estime en particulier, s’agissant des amendes pour manquement à l’obligation de se déclarer dont sont passibles ces sociétés, que le principe de proportionnalité n’a vraisemblablement pas été respecté en l’espèce. À cet égard, elle indique, d’une part, qu’une série d’amendes peut être infligée à ces assujettis en cinq jours, l’administration fiscale pouvant tripler chaque jour le montant de l’amende précédente. Or, ces sanctions s’appliqueraient avant même que les assujettis ne puissent prendre connaissance du triplement quotidien du montant de l’amende précédente et ne puissent remédier au manquement, les plaçant ainsi dans l’impossibilité d’empêcher que l’amende définitivement due atteigne le plafond de 1 milliard de HUF (3,1 millions d’euros). Cette circonstance pourrait également, de l’avis de la juridiction de renvoi, soulever la question de la compatibilité de cette procédure administrative avec l’article 41 de la Charte. D’autre part, la juridiction de renvoi relève que le montant de l’amende infligée au titre de l’article 7/D de la loi relative à la taxe sur la publicité est, au total, jusqu’à 2000 fois plus élevé que celui de l’amende pouvant être infligée à une société établie en Hongrie qui ne satisferait pas à l’obligation d’enregistrement fiscal prévue à l’article 172 de la loi sur les règles d’imposition. |
17 |
Enfin, ladite juridiction se pose la question du respect de l’article 47 de la Charte dans la mesure où, dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel prévue à l’article 7/B, paragraphe 4, de la loi relative à la taxe sur la publicité, à la différence de la procédure ordinaire de recours administratif, seules les preuves documentaires sont admises, le juge saisi ne pouvant pas organiser d’audience de plaidoiries. |
18 |
Estimant que la jurisprudence de la Cour ne lui permet pas de répondre à ces interrogations, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
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Sur les questions préjudicielles
19 |
Par ses sept questions, la juridiction de renvoi soulève, en substance, les trois catégories de questions suivantes. |
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Premièrement, par sa troisième question, elle demande si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui soumet les prestataires de services publicitaires établis dans un autre État membre à une obligation de déclaration, aux fins de leur assujettissement à une taxe sur la publicité, alors que les prestataires de tels services établis dans l’État membre d’imposition en sont dispensés au motif qu’ils sont soumis à des obligations de déclaration ou d’enregistrement au titre de leur assujettissement à toute autre taxe applicable sur le territoire dudit État membre. |
21 |
Deuxièmement, par ses première, deuxième, quatrième et sixième questions, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre par laquelle les prestataires de services établis dans un autre État membre, ne s’étant pas conformés à une obligation de déclaration aux fins de leur assujettissement à une taxe sur la publicité, se voient infliger, en quelques jours, une série d’amendes, dont le montant, à partir de la deuxième, est triplé par rapport au montant de l’amende précédente lors de toute nouvelle constatation de l’inexécution de cette obligation et aboutissant à un montant cumulé de plusieurs millions d’euros, sans que ces prestataires aient été en mesure de s’acquitter d’une telle obligation de déclaration avant la réception de la décision fixant, de manière définitive, le montant cumulé de ces amendes, alors que le montant de l’amende qui serait infligée à un prestataire établi dans l’État membre d’imposition ayant omis de s’acquitter d’une obligation de déclaration ou d’enregistrement similaire en méconnaissance des dispositions générales de la législation fiscale nationale est significativement moins élevé et ne se voit augmenté, en cas de non-respect continu d’une telle obligation, ni dans les mêmes proportions ni nécessairement dans des délais aussi brefs. |
22 |
Troisièmement, par ses cinquième et septième questions, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 56 TFUE, lu à la lumière des articles 41 et 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit que les décisions de sanction de l’administration fiscale prises à l’égard d’un prestataire de services établi dans autre État membre, qui ne s’est pas conformé à l’obligation de déclaration qu’elle édicte, sont soumises à un recours juridictionnel dans le cadre duquel, à la différence de la procédure ordinaire de recours administratif en matière fiscale, la juridiction nationale saisie statue uniquement sur pièces sans disposer de la faculté d’organiser une audience de plaidoiries. |
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Il convient d’examiner ces questions dans l’ordre qui vient d’être exposé. |
Sur la troisième question
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À titre liminaire, il importe de relever que la juridiction de renvoi interroge la Cour sur une éventuelle restriction à la libre prestation des services, visée à l’article 56 TFUE, que comporterait non pas l’assujettissement des prestataires de services publicitaires à une taxe sur la publicité diffusée sur Internet, telle que celle applicable en Hongrie, mais uniquement l’obligation de déclaration imposée dans cet État membre auxdits prestataires, au titre de leur assujettissement à ladite taxe. |
25 |
À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 56 TFUE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre les États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêt du 18 juin 2019, Autriche/Allemagne, C-591/17, EU:C:2019:504, point 135 et jurisprudence citée). En effet, l’article 56 TFUE exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services imposée au motif que le prestataire est établi dans un État membre différent de celui dans lequel la prestation est fournie (voir, notamment, arrêt du 22 novembre 2018, Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank, C-625/17, EU:C:2018:939, point 28 et jurisprudence citée). |
26 |
Constituent de telles restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté. En revanche, ne sont pas visées par l’interdiction prévue à l’article 56 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre États membres et celle interne à un État membre (voir, notamment, arrêt du 18 juin 2019, Autriche/Allemagne, C-591/17, EU:C:2019:504, points 136 et 137 ainsi que jurisprudence citée). |
27 |
En l’occurrence, il convient de préciser que, en vertu de l’article 7/B, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la publicité, tout assujetti à ladite taxe que l’administration fiscale n’a pas enregistré en tant que contribuable au titre d’un impôt quelconque est tenu de se déclarer, par voie de formulaire, auprès de ladite administration, dans un délai de quinze jours à compter du début de l’activité imposable. |
28 |
Il s’ensuit que, d’une part, l’obligation de déclaration, prévue à l’article 7/B, paragraphe 1, de cette loi, ne conditionne pas l’exercice de l’activité de diffusion publicitaire sur le territoire hongrois et que, d’autre part, sont soumis à cette obligation les prestataires de services publicitaires qui, avant le début de leur activité publicitaire imposable, ne sont pas enregistrés fiscalement en Hongrie, tandis que sont dispensés de cette obligation les prestataires de services publicitaires qui sont déjà enregistrés fiscalement dans cet État membre au titre d’un impôt quelconque, et ce indépendamment du lieu d’établissement de l’ensemble de ces prestataires. |
29 |
Cette obligation de déclaration, qui est une formalité administrative, ne constitue pas, en tant que telle, un obstacle à la libre prestation des services. |
30 |
En effet, il n’apparaît aucunement que l’obligation de déclaration, prévue à l’article 7/B, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la publicité, implique, pour les prestataires de services publicitaires qui ne sont pas établis sur le territoire hongrois, une charge administrative supplémentaire par rapport à celle à laquelle sont soumis les prestataires de services publicitaires établis sur ce territoire. |
31 |
Certes, les prestataires de services publicitaires établis en Hongrie sont dispensés de cette obligation. En effet, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, ces derniers sont considérés, en vertu du droit fiscal national, comme satisfaisant automatiquement à ladite obligation. |
32 |
Toutefois, la circonstance que ces prestataires soient dispensés de cette obligation de déclaration n’est pas constitutive, à l’égard des prestataires de services publicitaires établis dans d’autres États membres, d’une différence de traitement susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services. |
33 |
En effet, tout d’abord, il est constant que ces derniers prestataires sont également dispensés de l’obligation de déclaration en application de l’article 7/B, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la publicité, s’ils se sont déjà déclarés ou enregistrés auprès de l’administration fiscale au titre d’une quelconque autre imposition directe ou indirecte prélevée en Hongrie. |
34 |
Ensuite, la dispense de cette obligation de déclaration, si elle bénéficie majoritairement à des prestataires de services établis sur le territoire hongrois, a pour effet non pas de dissuader la prestation transfrontalière de services publicitaires, mais d’éviter aux prestataires déjà enregistrés auprès de l’administration fiscale l’accomplissement d’une formalité administrative inutile, dès lors que ladite obligation de déclaration a précisément pour objet de permettre à cette administration d’identifier les assujettis à la taxe sur la publicité. En particulier, il ressort des éléments dont dispose la Cour qu’un prestataire de services établi en Hongrie est tenu d’adresser une demande d’inscription au registre du commerce et d’attribution d’un numéro fiscal. |
35 |
Enfin, aucun élément porté à la connaissance de la Cour dans le cadre de la présente procédure ne suggère que les démarches à effectuer pour satisfaire à l’obligation de déclaration en cause seraient plus lourdes que celles qui doivent être accomplies tant pour s’enregistrer auprès de l’administration fiscale au titre d’un autre impôt que pour s’inscrire au registre national du commerce. |
36 |
Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui soumet les prestataires de services publicitaires établis dans un autre État membre à une obligation de déclaration, aux fins de leur assujettissement à une taxe sur la publicité, alors que les prestataires de tels services établis dans l’État membre d’imposition en sont dispensés au motif qu’ils sont soumis à des obligations de déclaration ou d’enregistrement au titre de leur assujettissement à toute autre taxe applicable sur le territoire dudit État membre. |
Sur les première, deuxième, quatrième et sixième questions
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Il importe de rappeler que, si les régimes de sanctions en matière fiscale relèvent, en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union, de la compétence des États membres, de tels régimes ne sauraient avoir pour effet de compromettre les libertés prévues par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 1988, Drexl, 299/86, EU:C:1988:103, point 17). |
38 |
Dès lors, comme Mme l’avocate générale l’a fait observer, en substance, au point 63 de ses conclusions, il convient d’examiner si les sanctions dont est assortie l’omission de procéder à la déclaration prévue à l’article 7/B, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la publicité sont contraires à la libre prestation des services visée à l’article 56 TFUE. |
39 |
Il ressort des éléments soumis à la Cour que, selon l’article 7/B, paragraphes 2 et 3, de cette loi, tout assujetti à la taxe sur la publicité non encore enregistré auprès de l’administration fiscale nationale en tant que contribuable au titre d’une autre imposition, qui ne se conforme pas à l’obligation de déclaration à laquelle il est tenu, s’expose au paiement d’une série d’amendes, dont le montant de la première, fixé à 10 millions de HUF (environ 31000 euros), est triplé chaque jour lors de toute nouvelle constatation de l’inexécution de cette obligation, jusqu’à atteindre en quelques jours, en application de l’article 7/D de ladite loi, la somme maximale cumulée de 1 milliard de HUF (environ 3,1 millions d’euros). |
40 |
D’un point de vue formel, ce régime de sanctions est indistinctement applicable à tous les assujettis qui ne se conforment pas à leur obligation de déclaration au titre de la loi relative à la taxe sur la publicité, indépendamment de l’État membre sur le territoire duquel ils sont établis. |
41 |
Toutefois, ainsi que Mme l’avocate générale l’a, en substance, relevé au point 77 de ses conclusions, seules les personnes fiscalement non résidentes en Hongrie courent réellement le risque de se voir infliger les sanctions prévues à l’article 7/B, paragraphes 2 et 3, et à l’article 7/D de la loi relative à la taxe sur la publicité, dès lors que, eu égard au champ d’application personnel de l’article 7/B, paragraphe 1, de ladite loi, sont dispensés de l’obligation de déclaration les prestataires que l’administration fiscale nationale a enregistrés en tant que contribuables au titre d’un impôt quelconque en Hongrie. |
42 |
Certes, les prestataires de services publicitaires établis en Hongrie sont susceptibles d’être sanctionnés pour l’inexécution des obligations similaires de déclaration et d’enregistrement qui leur sont imposées au titre des dispositions générales de la législation fiscale nationale. |
43 |
Toutefois, le régime de sanctions, prévu aux articles 7/B et 7/D de la loi relative à la taxe sur la publicité, permet de prononcer des amendes d’un montant significativement plus élevé que celles résultant de l’application de l’article 172 de la loi sur les règles d’imposition en cas de méconnaissance, par un prestataire de services publicitaires établi en Hongrie, de son obligation d’enregistrement prévue à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de ladite loi. Par ailleurs, le montant des amendes imposées au titre de ce dernier régime ne se voit majoré, en cas de non-respect continu de l’obligation d’enregistrement concernée, ni dans des proportions aussi importantes ni nécessairement dans des délais aussi brefs que ceux applicables dans le cadre du régime de sanctions prévu par la loi relative à la taxe sur la publicité. |
44 |
Compte tenu de la différence de traitement qu’il instaure entre prestataires de services publicitaires selon qu’ils sont ou non déjà enregistrés fiscalement en Hongrie, le régime de sanctions en cause au principal constitue une restriction à la libre prestation des services, en principe proscrite par l’article 56 TFUE. |
45 |
Une telle restriction peut néanmoins être admise si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général et pour autant que, en pareil cas, son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et n’excède pas ce qui est nécessaire pour l’atteindre [voir notamment, en ce sens, arrêts du 26 mai 2016, NN (L) International, C-48/15, EU:C:2016:356, point 58, et du 25 juillet 2018, TTL, C-553/16, EU:C:2018:604, point 52]. |
46 |
En l’occurrence, afin de justifier cette restriction, le gouvernement hongrois invoque formellement la nécessité de préserver la cohérence de son système fiscal, mais fait essentiellement valoir des motifs tenant à la garantie de l’efficacité des contrôles fiscaux et du recouvrement de l’impôt. |
47 |
À cet égard, la Cour a déjà admis que la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux ainsi que d’assurer le recouvrement de l’impôt peuvent constituer des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services. Elle a également jugé que l’imposition de sanctions, y compris de nature pénale, peut être considérée comme nécessaire afin de garantir le respect effectif d’une réglementation nationale, à condition toutefois que la nature et le montant de la sanction imposée soient dans chaque cas d’espèce proportionnés à la gravité de l’infraction qu’elle vise à sanctionner [voir, en ce sens, arrêts du 26 mai 2016, NN (L) International, C-48/15, EU:C:2016:356, point 59, et du 25 juillet 2018, TTL, C-553/16, EU:C:2018:604, point 57]. |
48 |
En ce qui concerne, en premier lieu, le caractère approprié du régime de sanctions institué par les articles 7/B et 7/D de la loi relative à la taxe sur la publicité au regard des objectifs invoqués par le gouvernement hongrois, il convient de relever que le prononcé d’amendes d’un montant suffisamment élevé pour sanctionner l’inexécution de l’obligation de déclaration, prévue à l’article 7/B, paragraphe 1, de cette loi, est de nature à dissuader les prestataires de services publicitaires soumis à une telle obligation de méconnaître celle-ci et, ainsi, à éviter que l’État membre d’imposition ne soit privé de la possibilité de contrôler efficacement les conditions d’application et d’exonération de la taxe concernée. |
49 |
S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si la réglementation nationale en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs allégués par la Hongrie, en ce qui concerne le montant des amendes encourues en cas de méconnaissance de l’obligation de déclaration, il y a lieu de constater que cette réglementation institue un régime de sanctions dans le cadre duquel le prestataire qui ne s’est pas conformé à cette formalité administrative peut se voir infliger en quelques jours, avec des intervalles d’une seule journée, des amendes dont le montant, à partir de la deuxième, est triplé par rapport au montant de l’amende précédente lors de toute nouvelle constatation de l’inexécution de cette obligation, aboutissant à un montant cumulé atteignant 1 milliard de HUF (environ 3,1 millions d’euros), sans que l’autorité compétente accorde à ce prestataire le temps nécessaire pour s’acquitter de ses obligations, lui donne l’occasion de présenter ses observations et examine elle-même la gravité de l’infraction. Dans ces conditions, cette réglementation revêt un caractère disproportionné. |
50 |
En effet, d’une part, il n’existe aucune corrélation entre l’augmentation exponentielle, dans des délais particulièrement brefs, du montant cumulé des amendes, qui peut atteindre plusieurs millions d’euros, et la gravité du défaut d’accomplissement, dans de tels délais, de la formalité administrative que constitue l’obligation de déclaration prévue à l’article 7/B, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la publicité. Ainsi, il apparaît que le montant des amendes infligées est fixé sans tenir compte du chiffre d’affaires qui constitue l’assiette de la taxe censée être recouvrée. Dans ces conditions, il est tout à fait possible que le montant cumulé des sanctions infligées en vertu de l’article 7/B, paragraphes 2 et 3, de la loi relative à la taxe sur la publicité dépasse le chiffre d’affaires réalisé par l’assujetti. |
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D’autre part, dès lors que la réglementation en cause prévoit l’adoption automatique et « jour après jour », par l’administration fiscale, de décisions de sanction telles que celles qui ont été prises dans l’affaire au principal, seuls quelques jours séparent l’adoption et la notification de la première décision de sanction infligeant à l’assujetti une amende d’un montant de 10 millions de HUF (environ 31000 euros) de la notification de la dernière décision de sanction dont il découle que le montant cumulé des amendes atteint le plafond légal de 1 milliard de HUF (environ 3,1 millions d’euros). Aussi, même si cet assujetti agissait en toute diligence, il serait, en tout état de cause, dans l’impossibilité matérielle de s’acquitter de son obligation de déclaration dans l’État membre d’imposition préalablement à la réception de cette dernière décision dans son État membre d’établissement et ne pourrait donc pas éviter les majorations significatives du montant des amendes précédentes. Ceci démontre également que la méthode de calcul des amendes prévue par la réglementation nationale en cause au principal ne tient pas compte de la gravité du comportement des prestataires de services publicitaires ayant méconnu leur obligation de déclaration. |
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Certes, comme le gouvernement hongrois l’a fait valoir dans ses observations écrites, en vertu de l’article 7/B, paragraphe 5, de la loi relative à la taxe sur la publicité, l’administration fiscale peut réduire « sans limites » le montant des amendes prévues à l’article 7/B, paragraphes 2 et 3, de cette loi si l’assujetti s’acquitte de son obligation de déclaration lorsqu’il y est invité pour la première fois par cette administration. |
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Toutefois, il résulte du libellé même de cette disposition, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que l’administration fiscale dispose à cet égard d’une simple faculté. Or, une amende ne perd pas son caractère disproportionné du seul fait que les autorités d’un État membre sont susceptibles, à leur seule discrétion, d’en diminuer le montant. |
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Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première, deuxième, quatrième et sixième questions que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre par laquelle les prestataires de services établis dans un autre État membre, ne s’étant pas conformés à une obligation de déclaration aux fins de leur assujettissement à une taxe sur la publicité, se voient infliger, en quelques jours, une série d’amendes, dont le montant, à partir de la deuxième, est triplé par rapport au montant de l’amende précédente lors de toute nouvelle constatation de l’inexécution de cette obligation, et aboutissant à un montant cumulé de plusieurs millions d’euros, sans que l’autorité compétente, avant l’adoption de la décision fixant, de manière définitive, le montant cumulé de ces amendes, accorde à ces prestataires de services le temps nécessaire pour s’acquitter de leurs obligations, leur donne l’occasion de présenter leurs observations et examine elle-même la gravité de l’infraction, alors que le montant de l’amende qui serait infligée à un prestataire établi dans l’État membre d’imposition ayant omis de s’acquitter d’une obligation de déclaration ou d’enregistrement similaire en méconnaissance des dispositions générales de la législation fiscale nationale est significativement moins élevé et ne se voit augmenté, en cas de non-respect continu d’une telle obligation, ni dans les mêmes proportions ni nécessairement dans des délais aussi brefs. |
Sur les cinquième et septième questions
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Il ressort de la réponse fournie aux première, deuxième, quatrième et sixième questions qu’une réglementation nationale prévoyant un régime d’amendes tel que celui applicable en cas de non-respect de l’obligation de déclaration en cause au principal, est incompatible avec l’article 56 TFUE. Par conséquent, il n’y a pas lieu de répondre aux cinquième et septième questions. |
Sur les dépens
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La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit : |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.