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ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

17 octobre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 146 – Exonérations à l’exportation – Notion de “livraison de biens” – Article 131 – Conditions fixées par les États membres – Principe de proportionnalité – Principe de neutralité fiscale – Preuves – Fraude – Pratique d’un État membre consistant à refuser le droit à exonération lorsque l’acquéreur des biens exportés n’est pas identifié »

Dans l’affaire C-653/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 19 juin 2018, parvenue à la Cour le 17 octobre 2018, dans la procédure

Unitel sp. z o.o.

contre

Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešič et C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Unitel sp. z o.o., par M. A. Nikończyk, doradca podatkowy,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mmes M. Siekierzyńska et J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), et de l’article 131 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), au regard notamment des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Unitel sp. z o.o. au Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie (directeur de la chambre fiscale de Varsovie, ci-après le « directeur de la chambre fiscale ») au sujet d’un refus d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour des exportations de biens en dehors de l’Union européenne effectuées au cours de l’année 2007.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

4

Aux termes de l’article 131 de cette directive :

« Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions [de l’Union] et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. »

5

L’article 146 de ladite directive, figurant au chapitre 6 de celle-ci, intitulé « Exonérations à l’exportation », prévoit, à son paragraphe 1, sous a) et b) :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

a)

les livraisons de biens expédiés ou transportés par le vendeur, ou pour son compte, en dehors de [l’Union] ;

b)

les livraisons de biens expédiés ou transportés par l’acquéreur non établi sur leur territoire respectif, ou pour son compte, en dehors de [l’Union], à l’exclusion des biens transportés par l’acquéreur lui-même et destinés à l’équipement ou à l’avitaillement de bateaux de plaisance et d’avions de tourisme ou de tout autre moyen de transport à usage privé ».

6

L’article 168, sous a), de la directive TVA dispose que, dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti. En vertu de l’article 169, sous b), de cette directive, l’assujetti a le droit de déduire la TVA dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations exonérées conformément à l’article 146 de ladite directive.

Le droit polonais

7

L’article 2, point 8, de l’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et les services), du 11 mars 2004 (Dz. U. de 2011, no 177, position 1054), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après la « loi relative à la TVA »), dispose :

« Chaque fois que d’autres dispositions visent [...] l’exportation de biens, cette notion vise la livraison de biens expédiés ou transportés en dehors du territoire de l’Union européenne, à partir du territoire du pays :

a)

par un fournisseur ou pour son compte, ou

b)

par un acquéreur ayant son siège social en dehors du territoire du pays ou pour son compte, à l’exclusion des biens exportés par l’acquéreur lui-même pour les besoins de l’équipement ou de l’avitaillement de bateaux de plaisance et d’avions de tourisme ou de tout autre moyen de transport à usage privé, si l’exportation desdits biens en dehors du territoire de l’Union est confirmée par l’autorité douanière compétente, déterminée par la réglementation douanière. »

8

L’article 7, paragraphe 1, de cette loi énonce que « constitue une livraison de biens au sens de l’article 5, paragraphe 1, point 1, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire ».

9

L’article 41 de ladite loi prévoit :

« [...]

4)

S’agissant de l’exportation de biens, visée à l’article 2, point 8, sous a), le taux de la taxe est égal à 0 %.

[...]

6)

Le taux de taxation de 0 % est appliqué en cas d’exportation de biens visée aux paragraphes 4 et 5, à la condition que, avant l’expiration du délai de dépôt de la déclaration fiscale relative à la période comptable concernée, l’assujetti ait obtenu le document confirmant l’exportation des biens en dehors du territoire de l’Union.

[...]

11)

Les dispositions des paragraphes 4 et 5 sont appliquées mutatis mutandis en cas d’exportation de biens visée à l’article 2, point 8, sous b), à la condition que, avant l’expiration du délai de dépôt de la déclaration fiscale pour la période comptable au cours de laquelle il a procédé à la livraison des biens, l’assujetti ait obtenu le document visé au paragraphe 6, établissant l’identité des biens faisant l’objet de la livraison et de l’exportation. [...]

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10

Au cours des mois de janvier à mai 2007, Unitel, une société établie en Pologne, a vendu des téléphones portables à deux entités ukrainiennes. À la suite d’une procédure de contrôle dont cette société a fait l’objet, l’administration fiscale a constaté que la procédure d’exportation de ces téléphones portables en dehors du territoire de l’Union avait été effectuée, mais que ces biens avaient été acquis non pas par les entités mentionnées sur les factures, mais par d’autres entités qui n’ont pas été identifiées. Cette administration a alors considéré, par une décision confirmée par une décision du directeur de la chambre fiscale en date du 29 août 2014, qu’il n’y avait pas eu de livraison de biens, au sens de l’article 2, point 8, de la loi relative à la TVA et, partant, qu’Unitel n’avait pas le droit d’appliquer le taux de TVA de 0 %, prévu à l’article 41, paragraphe 4, de cette loi.

11

Saisi d’un recours contre la décision du directeur de la chambre fiscale, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne) a relevé qu’il ressortait des constatations effectuées que l’une des deux entités ukrainiennes était une société écran, servant à dissimuler le destinataire réel ainsi qu’à commettre une fraude fiscale à l’égard des autorités fiscales tant polonaises qu’ukrainiennes, et que l’autre entité n’était pas l’opérateur économique qui avait fait l’acquisition des téléphones auprès d’Unitel. Cette juridiction a estimé qu’il n’y avait pas eu de livraison de biens dès lors que l’administration fiscale avait établi que les acquéreurs des biens mentionnés sur les factures n’étaient pas entrés en possession de ceux-ci, n’en avaient pas disposé comme un propriétaire et n’exerçaient aucune activité économique, de sorte que les opérations en cause ne pouvaient être qualifiées d’« exportation de biens », au sens de l’article 2, point 8, de la loi relative à la TVA. Ladite juridiction a jugé, en outre, qu’Unitel n’avait pas fait preuve de la diligence requise en effectuant ces opérations. Elle a notamment relevé, à cet égard, que cette société avait établi ses factures en se fondant sur des données présentées par des entités dont les mandats n’étaient pas valables ou qui ne possédaient pas de véritables adresses professionnelles ni de documents valables justifiant la comptabilisation de la TVA.

12

Unitel a formé un pourvoi contre le jugement du Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie) devant la juridiction de renvoi, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne). Unitel invoque, à l’appui de son pourvoi, une interprétation et une application erronées de l’article 131 de la directive TVA, lu conjointement avec l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de celle-ci, en ce que l’application du taux de 0 % a été subordonnée au respect de conditions formelles alors même que toutes les conditions matérielles de l’application de ce taux étaient réunies, ainsi qu’une erreur d’interprétation et d’application de l’article 41, paragraphes 4 et 11, de la loi relative à la TVA, lu conjointement avec l’article 41, paragraphe 6, l’article 2, point 8, et l’article 7, paragraphe 1, de cette loi. Cette erreur consisterait à avoir considéré que la livraison de biens n’est effective que lorsque l’opérateur mentionné sur la facture en tant qu’acquéreur est identique à l’opérateur qui participe réellement en cette qualité à l’opération en cause, à refuser en conséquence de qualifier cette opération d’exportation de biens et d’appliquer le taux de 0 %, et à estimer néanmoins que ladite opération constitue une livraison imposable au taux national.

13

La juridiction de renvoi expose que la solution du litige au principal nécessite d’interpréter la directive TVA et, tout d’abord, la notion de « livraison de biens », au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de cette directive. Elle indique que les autorités fiscales nationales estiment que cette notion doit être interprétée conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA, qui a transposé l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA, à savoir comme le transfert du pouvoir de disposer du bien concerné comme un propriétaire. Ainsi, selon ces autorités, les deux parties à l’opération doivent réellement exister et être identifiées, ce qui n’est pas le cas lorsque l’acquéreur désigné sur la facture ou dans les documents douaniers est une entité fictive ou lorsque l’acquéreur des biens en dehors du territoire de l’Union est une autre personne non identifiée. Cette interprétation serait celle également retenue majoritairement par les juridictions administratives polonaises.

14

La juridiction de renvoi entretient néanmoins des doutes quant à la question de savoir si, pour constater qu’une livraison de biens en dehors du territoire de l’Union a bien eu lieu, lorsque l’exportation de ces biens n’est pas contestée en tant que telle, il est réellement nécessaire que l’entité désignée sur la facture du fournisseur et dans les documents douaniers comme étant l’acquéreur desdits biens coïncide avec le destinataire effectif de ceux-ci. Elle se demande si, dans une telle situation, il n’y a pas transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA. Elle relève notamment que, dans l’arrêt du19 décembre 2013, BDV Hungary Trading (C-563/12, EU:C:2013:854), la Cour a jugé que, dans une situation où les conditions de l’exonération à l’exportation énoncées à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, notamment la sortie des biens concernés du territoire douanier de l’Union, sont établies, aucune TVA n’est due au titre d’une livraison et que, dans de telles circonstances, il n’existe plus, en principe, de risque d’une fraude fiscale ou de pertes fiscales pouvant justifier l’imposition de l’opération en cause.

15

Dans ce contexte, la question se pose ensuite, selon la juridiction de renvoi, de savoir dans quelle mesure une éventuelle fraude survenue sur le territoire de l’État tiers où a été réceptionné le bien exporté par une personne autre que celle indiquée dans les documents douaniers a une incidence sur l’application de l’exonération avec droit à déduction de la TVA. Examinant la jurisprudence de la Cour selon laquelle il incombe aux États membres de refuser le bénéfice des droits prévus par la directive TVA en cas de fraude commise par l’assujetti lui-même ou lorsque celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l’opération en cause, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA, elle se demande si cette obligation, qui vise à protéger le marché intérieur, s’applique lorsque la fraude est commise uniquement sur le territoire d’un État tiers, État de destination et de consommation des biens exportés.

16

Enfin, la juridiction de renvoi se demande si, dans une situation telle que celle au principal, est appropriée la pratique nationale consistant à appliquer la TVA à l’opération en cause comme si celle-ci constituait une livraison nationale, alors que la constatation de l’absence de livraison de biens devrait conduire à considérer qu’elle n’est pas soumise à la TVA et n’ouvre pas droit à déduction de la TVA acquittée en amont.

17

C’est dans ces conditions que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

À la lumière de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), et de l’article 131 de la directive [TVA] ainsi que des principes de taxation de la consommation, de neutralité et de proportionnalité, la pratique nationale appropriée devrait-elle consister à appliquer une exonération avec droit à déduction (à savoir, en Pologne, un taux de 0 %) dans chaque cas, lorsque deux conditions sont cumulativement remplies :

a)

l’exportation des biens est intervenue au profit d’un destinataire non identifié en dehors de l’Union européenne et

b)

il existe des preuves univoques quant au fait que les biens ont quitté le territoire de l’Union et cette circonstance n’est pas contestée ?

2)

Les dispositions de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de l’article 131 de la directive [TVA] et les principes de taxation de la consommation, de neutralité et de proportionnalité font-ils obstacle à une pratique nationale consistant à considérer qu’il n’y a pas de livraison de biens lorsque ceux-ci ont été indéniablement exportés en dehors du territoire de l’Union mais que, postérieurement à l’exportation, les autorités fiscales ont constaté, dans le cadre de la procédure, que l’acquéreur réel des biens n’était pas l’entité au profit de laquelle la facture établissant la livraison a été émise par l’assujetti, mais une autre entité, non identifiée par les autorités, avec pour conséquence que les autorités refusent d’appliquer l’exonération avec droit à déduction (à savoir, en Pologne, un taux de 0 %) à une telle opération ?

3)

À la lumière de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), et de l’article 131 de la directive [TVA] ainsi que des principes de taxation de la consommation, de neutralité et de proportionnalité, la pratique nationale appropriée devrait-elle consister à appliquer un taux national à une livraison de biens, s’il existe des preuves univoques du fait que ces biens ont quitté le territoire de l’Union mais que, compte tenu de l’absence d’un destinataire identifié, les autorités estiment qu’il n’y a pas eu de livraison de biens, ou faudrait-il considérer que, dans un tel cas, il n’y a pas eu d’opération imposable au titre de la [TVA] du tout et que, par conséquent, l’assujetti n’est pas en droit de déduire la taxe en amont au titre de l’acquisition des biens exportés, conformément à l’article 168 de la directive [TVA] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

18

Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), et l’article 131 de la directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale, telle que celle en cause au principal, consistant à considérer dans tous les cas qu’il n’y a pas de livraison de biens, au sens de cette première disposition, et à refuser en conséquence le bénéfice de l’exonération de la TVA lorsque les biens concernés ont été exportés en dehors de l’Union et que, postérieurement à leur exportation, les autorités fiscales ont constaté que l’acquéreur de ces biens était non pas la personne mentionnée sur la facture établie par l’assujetti, mais une entité autre qui n’a pas été identifiée. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’incidence que peut avoir une éventuelle fraude commise sur le territoire d’un État tiers quant à l’application du droit à exonération de la TVA.

19

À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que, en vertu de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés par le vendeur ou pour son compte, ou bien par l’acquéreur ou pour son compte, en dehors de l’Union. Cette disposition doit être lue en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, selon lequel est considéré comme « livraison de biens » le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire (arrêts du 19 décembre 2013, BDV Hungary Trading, C-563/12, EU:C:2013:854, point 23, et du 28 mars 2019, Vinš, C-275/18, EU:C:2019:265, point 22).

20

Cette exonération vise à garantir l’imposition des livraisons de biens concernées au lieu de destination de celles-ci, à savoir celui où les produits seront consommés (arrêt du 28 mars 2019, Vinš, C-275/18, EU:C:2019:265, point 23 et jurisprudence citée).

21

Ainsi que la Cour l’a déjà relevé à plusieurs reprises, il découle des dispositions visées au point 19 du présent arrêt et, notamment, du terme « expédiés » employé à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA que l’exportation d’un bien est effectuée et que l’exonération de la livraison à l’exportation est applicable lorsque le droit de disposer de ce bien comme un propriétaire a été transmis à l’acquéreur, que le fournisseur établit que ce bien a été expédié ou transporté en dehors de l’Union et que, à la suite de cette expédition ou de ce transport, le bien a physiquement quitté le territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2013, BDV Hungary Trading, C-563/12, EU:C:2013:854, point 24 et jurisprudence citée, ainsi que du 28 mars 2019, Vinš, C-275/18, EU:C:2019:265, point 24).

22

La Cour a également déjà jugé que la notion de « livraison de biens » a un caractère objectif et qu’elle s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées, sans qu’il existe une obligation pour l’administration fiscale de procéder à des enquêtes en vue de déterminer l’intention de l’assujetti en cause ou encore de tenir compte de l’intention d’un opérateur autre que cet assujetti intervenant dans la même chaîne de livraisons (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Dixons Retail, C-494/12, EU:C:2013:758, point 21 et jurisprudence citée).

23

Il s’ensuit que des opérations telles que celles en cause au principal constituent des livraisons de biens, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, si elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels est fondée cette notion, rappelés au point 21 du présent arrêt.

24

Or, le fait que des biens exportés sont acquis en dehors de l’Union par une entité qui n’est pas celle mentionnée sur la facture et qui n’est pas identifiée n’exclut pas que ces critères objectifs soient réunis.

25

Par conséquent, la qualification d’une opération de livraison de biens, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, ne saurait être subordonnée à la condition que l’acquéreur soit identifié.

26

Toutefois, en second lieu, il appartient aux États membres de fixer, conformément à l’article 131 de la directive TVA, les conditions dans lesquelles ils exonèrent les opérations à l’exportation en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues par cette directive et de prévenir toute fraude, évasion et tout abus éventuels. Dans l’exercice de leurs pouvoirs, les États membres doivent néanmoins respecter les principes généraux du droit qui font partie de l’ordre juridique de l’Union, au nombre desquels figure notamment le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2018, Pieńkowski, C-307/16, EU:C:2018:124, points 32 et 33).

27

S’agissant de ce principe de proportionnalité, il convient de rappeler qu’une mesure nationale va au-delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer l’exacte perception de la taxe si elle subordonne, pour l’essentiel, le droit à l’exonération de la TVA au respect d’obligations formelles, sans que soient prises en compte les conditions de fond et, notamment, sans qu’il faille s’interroger sur le point de savoir si celles-ci étaient satisfaites. En effet, les opérations doivent être taxées en prenant en considération leurs caractéristiques objectives (arrêts du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 38, et du 28 mars 2019, Vinš, C-275/18, EU:C:2019:265, point 29).

28

En outre, lorsque les conditions de fond sont satisfaites, le principe de neutralité fiscale exige que l’exonération de la TVA soit accordée même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (arrêt du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 39).

29

Selon la jurisprudence de la Cour, il n’existe que deux cas de figure dans lesquels le non-respect d’une exigence formelle peut entraîner la perte du droit à l’exonération de la TVA (arrêts du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 40, et du 28 mars 2019, Vinš, C-275/18, EU:C:2019:265, point 32).

30

D’une part, la violation d’une exigence formelle peut conduire au refus de l’exonération de la TVA si cette violation a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (arrêts du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 42, et du 28 mars 2019, Vinš, C-275/18, EU:C:2019:265, point 35).

31

Dès lors, si l’absence d’identification du réel acquéreur empêche, dans un cas donné, d’établir la preuve que l’opération en cause constitue une livraison de biens, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, cette circonstance peut conduire à refuser le bénéfice de l’exonération à l’exportation prévue à cet article. En revanche, exiger dans tous les cas que l’acquéreur des biens dans l’État tiers soit identifié, sans qu’il soit recherché si les conditions de fond de cette exonération, notamment la sortie des biens concernés du territoire douanier de l’Union, sont réunies, ne respecte ni le principe de proportionnalité ni le principe de neutralité fiscale.

32

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’il est constant que les biens concernés dans l’affaire au principal ont été vendus, qu’ils ont été expédiés en dehors de l’Union et qu’ils ont physiquement quitté le territoire de l’Union, de sorte que, sous réserve de la vérification de ces faits qui incombe à la juridiction nationale, la réunion des critères auxquels doit satisfaire une opération pour constituer une livraison de biens, au sens de l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, paraît établie, nonobstant le fait que les réels acquéreurs de ces biens n’ont pas été identifiés.

33

D’autre part, le principe de neutralité fiscale ne saurait être invoqué aux fins de l’exonération de la TVA par un assujetti qui a intentionnellement participé à une fraude fiscale ayant mis en péril le fonctionnement du système commun de la TVA. Selon la jurisprudence de la Cour, il n’est pas contraire au droit de l’Union d’exiger d’un opérateur qu’il agisse de bonne foi et prenne toute mesure pouvant raisonnablement être requise pour s’assurer que l’opération qu’il effectue ne le conduit pas à participer à une fraude fiscale. Dans l’hypothèse où l’assujetti concerné savait ou aurait dû savoir que l’opération qu’il a effectuée était impliquée dans une fraude commise par l’acquéreur et qu’il n’a pas pris toutes les mesures raisonnables en son pouvoir pour éviter cette fraude, le bénéfice de l’exonération devrait lui être refusé (arrêts du 8 novembre 2018, Cartrans Spedition, C-495/17, EU:C:2018:887, point 41, et du 28 mars 2019, Vinš, C-275/18, EU:C:2019:265, point 33).

34

En revanche, le fournisseur ne saurait être tenu responsable du paiement de la TVA indépendamment de son implication dans la fraude commise par l’acquéreur. En effet, il serait manifestement disproportionné d’imputer à un assujetti la perte de recettes fiscales causée par des agissements frauduleux de tiers sur lesquels il n’a aucune influence (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2008, Netto Supermarkt, C-271/06, EU:C:2008:105, point 23).

35

Dans l’arrêt du 19 décembre 2013, BDV Hungary Trading (C-563/12, EU:C:2013:854), auquel se réfère la juridiction de renvoi, la Cour a relevé, au point 40 de celui-ci, que, dans une situation où les conditions de l’exonération à l’exportation prévues à l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, notamment la sortie des biens concernés du territoire douanier de l’Union, sont établies, aucune TVA n’est due au titre d’une telle livraison et il n’existe plus, en principe, de risque d’une fraude fiscale ou de pertes fiscales pouvant justifier l’imposition de l’opération en cause.

36

En l’occurrence, la juridiction de renvoi, sans fournir de précisions sur la nature de la fraude dans laquelle seraient impliquées les opérations en cause au principal, indique que les biens concernés par ces opérations sont sortis du territoire de l’Union et relève que cette fraude a été commise uniquement sur le territoire d’un État tiers, État de destination et du lieu de consommation de ces biens.

37

Le fait que les actes frauduleux ont été commis dans un État tiers ne pouvant suffire à exclure l’existence de toute fraude commise au détriment du système commun de la TVA, il incombe à la juridiction nationale de vérifier que les opérations en cause au principal n’étaient pas impliquées dans une telle fraude et, si elles l’étaient, d’apprécier si l’assujetti savait ou aurait dû savoir que tel était le cas.

38

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), et l’article 131 de la directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale, telle que celle en cause au principal, consistant à considérer dans tous les cas qu’il n’y a pas de livraison de biens, au sens de cette première disposition, et à refuser en conséquence le bénéfice de l’exonération de la TVA, lorsque les biens concernés ont été exportés en dehors de l’Union et que, postérieurement à leur exportation, les autorités fiscales ont constaté que l’acquéreur de ces biens était non pas la personne mentionnée sur la facture établie par l’assujetti, mais une entité autre qui n’a pas été identifiée. Dans de telles circonstances, le bénéfice de l’exonération de la TVA prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de cette directive doit être refusé si l’absence d’identification du réel acquéreur empêche d’établir la preuve que l’opération en cause constitue une livraison de biens, au sens de cette disposition, ou s’il est établi que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude commise au détriment du système commun de la TVA.

Sur la troisième question

39

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA doit être interprétée en ce sens que, lorsque, dans des circonstances telles que celles décrites dans les première et deuxième questions, le bénéfice de l’exonération de la TVA prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA est refusé, il convient d’appliquer à l’opération en cause la TVA applicable aux livraisons de biens effectuées sur le territoire national ou s’il y a lieu de considérer que cette opération ne constitue pas une opération taxable et que, partant, celle-ci n’ouvre pas droit au bénéfice de la déduction de la TVA acquittée en amont.

40

À cet égard, il suffit de constater que, en l’absence de livraison de biens effectuée sur le territoire national et d’opération exonérée conformément à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA, il n’existe pas d’opération taxable ni de droit à déduction au titre de l’article 168 ou de l’article 169 de cette directive.

41

Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question que la directive TVA doit être interprétée en ce sens que, lorsque, dans des circonstances telles que celles décrites dans les première et deuxième questions, le bénéfice de l’exonération de la TVA prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive TVA est refusé, il y a lieu de considérer que l’opération en cause ne constitue pas une opération taxable et que, partant, celle-ci n’ouvre pas droit au bénéfice de la déduction de la TVA acquittée en amont.

Sur les dépens

42

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), et l’article 131 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale, telle que celle en cause au principal, consistant à considérer dans tous les cas qu’il n’y a pas de livraison de biens, au sens de cette première disposition, et à refuser en conséquence le bénéfice de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), lorsque les biens concernés ont été exportés en dehors de l’Union européenne et que, postérieurement à leur exportation, les autorités fiscales ont constaté que l’acquéreur de ces biens était non pas la personne mentionnée sur la facture établie par l’assujetti, mais une entité autre qui n’a pas été identifiée. Dans de telles circonstances, le bénéfice de l’exonération de la TVA prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de cette directive doit être refusé si l’absence d’identification du réel acquéreur empêche d’établir la preuve que l’opération en cause constitue une livraison de biens, au sens de cette disposition, ou s’il est établi que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude commise au détriment du système commun de la TVA.

 

2)

La directive 2006/112 doit être interprétée en ce sens que, lorsque, dans ces circonstances, le bénéfice de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévue à l’article 146, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2006/112 est refusé, il y a lieu de considérer que l’opération en cause ne constitue pas une opération taxable et que, partant, celle-ci n’ouvre pas droit au bénéfice de la déduction de la TVA acquittée en amont.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.