ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
14 mai 2020 (*)
« Manquement d’État – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Dérogations – Mesures de simplification et de prévention des fraudes ou évasions fiscales – Article 395, paragraphe 2 – Obligation pour les États membres de notifier à la Commission européenne les mesures particulières destinées à simplifier la perception de la TVA – Modification substantielle de la mesure initialement notifiée »
Dans l’affaire C-276/19,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 1er avril 2019,
Commission européenne, représentée par M. X. Lewis et Mme J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. F. Shibli, en qualité d’agent, assisté de M. O. Thomas, QC, et de M. R. Hill, barrister,
partie défenderesse,
LA COUR (première chambre),
composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. M. Safjan, L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. N. Jääskinen (rapporteur), juges,
avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en introduisant de nouvelles mesures de simplification qui étendent l’application du taux zéro et l’exception à l’obligation normale de tenir des registres de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ayant été prévues dans le Value Added Tax (Terminal Markets) Order 1973 [décret sur la taxe sur la valeur ajoutée (marchés à terme) de 1973] (ci-après le « décret de 1973 ») sans notifier une demande à la Commission afin d’obtenir l’autorisation du Conseil de l’Union européenne, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Les dispositions relatives au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne
2 Par sa décision (UE) 2020/135, du 30 janvier 2020, relative à la conclusion de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA) (JO 2020, L 29, p. 1, ci-après l’« accord de retrait »), le Conseil a approuvé, au nom de l’Union européenne et de la CEEA, ledit accord, qui a été joint à cette décision (JO 2020, L 29, p. 7).
3 Aux termes de l’article 86 de l’accord de retrait, qui est intitulé « Affaires en instance devant la Cour de justice de l’Union européenne » :
« 1. La Cour de justice de l’Union européenne demeure compétente pour connaître de toute procédure introduite par ou contre le Royaume-Uni avant la fin de la période de transition. Cette compétence s’applique à tous les stades de la procédure [...].
[...]
3. Aux fins du présent chapitre, une procédure est considérée comme ayant été introduite devant la Cour de justice de l’Union européenne [...] au moment où l’acte introductif d’instance a été enregistré par le greffe de la Cour de justice ou du Tribunal, selon le cas. »
4 Conformément aux articles 126 à 132 de l’accord de retrait, pendant la période de transition, laquelle commence à la date d’entrée en vigueur de cet accord et expirera le 31 décembre 2020 sauf en cas de prolongation, le droit de l’Union continue de s’appliquer au Royaume-Uni et sur son territoire dans les conditions prévues par cet accord.
Les dispositions relatives à la TVA
5 La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive TVA »), a été modifiée à diverses reprises.
6 Figurant dans le titre XV de cette directive, intitulé « Mesures de simplification », son article 27 énonçait :
« 1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale.
2. L’État membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d’appréciation.
3. La Commission en informe les autres États membres dans un délai d’un mois.
4. La décision du Conseil sera réputée acquise si, dans un délai de deux mois à compter de l’information visée au paragraphe 3, ni la Commission, ni un État membre n’ont demandé l’évocation de l’affaire par le Conseil.
5. Les États membres qui appliquent, au 1er janvier 1977, des mesures particulières du type de celles visées au paragraphe 1 peuvent les maintenir, à la condition de les notifier à la Commission avant le 1er janvier 1978 et sous réserve qu’elles soient conformes, pour autant qu’il s’agisse de mesures destinées à simplifier la perception de la taxe, au critère défini au paragraphe 1. »
7 La sixième directive TVA a été modifiée par la directive 2004/7/CE du Conseil, du 20 janvier 2004 (JO 2004, L 27, p. 44), en ce qui concerne la procédure d’adoption de mesures dérogatoires ainsi que l’attribution de compétences d’exécution, et plus particulièrement son article 27, paragraphes 1 à 4, comme suit :
« 1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant global des recettes fiscales de l’État membre perçues au stade de la consommation finale.
2. L’État membre qui souhaite introduire les mesures visées au paragraphe 1 envoie une demande à la Commission et lui fournit toutes les données nécessaires. Si la Commission considère qu’elle ne dispose pas de toutes les données nécessaires, elle prend contact avec l’État membre concerné dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande et précise quelles sont les données complémentaires dont elle a besoin. Dès que la Commission dispose de toutes les données d’appréciation qu’elle considère utiles, elle en informe l’État membre requérant dans un délai d’un mois et transmet la demande, dans sa langue d’origine, aux autres États membres.
3. Dans les trois mois suivant l’envoi de l’information visée au paragraphe 2, dernière phrase, la Commission présente au Conseil une proposition appropriée ou, lorsque la demande de dérogation soulève des objections de sa part, une communication exposant lesdites objections.
4. En tout état de cause, la procédure fixée aux paragraphes 2 et 3 doit être achevée dans un délai de huit mois à compter de la réception de la demande par la Commission. »
8 La directive 2006/112 a abrogé et remplacé la sixième directive TVA, à compter du 1er janvier 2007.
9 Figurant dans le titre premier de la directive 2006/112, qui définit l’objet et le champ d’application de celle-ci, son article 2, paragraphe 1, énonce :
« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :
a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;
[...]
c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;
[...] »
10 Le titre XIII de cette directive, relatif aux « Dérogations », contient un chapitre 2, intitulé « Dérogations octroyées par autorisation », dont la section 1 porte sur les mesures de simplification et de prévention des fraudes ou évasions fiscales.
11 Figurant dans cette section, l’article 394 dispose :
« Les États membres appliquant, au 1er janvier 1977, des mesures particulières afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales peuvent les maintenir, à la condition de les avoir notifiées à la Commission avant le 1er janvier 1978 et sous réserve que les mesures de simplification soient conformes au critère défini à l’article 395, paragraphe 1, deuxième alinéa. »
12 L’article 395, qui figure aussi dans ladite section, prévoit :
« 1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales.
Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant global des recettes fiscales de l’État membre perçues au stade de la consommation finale.
2. L’État membre qui souhaite introduire les mesures visées au paragraphe 1 envoie une demande à la Commission et lui fournit toutes les données nécessaires. Si la Commission considère qu’elle ne dispose pas de toutes les données nécessaires, elle prend contact avec l’État membre concerné dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande et précise quelles sont les données complémentaires dont elle a besoin.
Dès que la Commission dispose de toutes les données d’appréciation qu’elle considère utiles, elle en informe l’État membre requérant dans un délai d’un mois et transmet la demande, dans sa langue d’origine, aux autres États membres.
3. Dans les trois mois suivant l’envoi de l’information visée au paragraphe 2, deuxième alinéa, la Commission présente au Conseil une proposition appropriée ou, lorsque la demande de dérogation soulève des objections de sa part, une communication exposant lesdites objections.
4. La procédure fixée aux paragraphes 2 et 3 doit, en tout état de cause, être achevée dans un délai de huit mois à compter de la réception de la demande par la Commission. »
Le droit du Royaume-Uni
13 Aux termes du décret de 1973 :
« Le Trésor [...] prend le décret suivant :
1. Le présent décret [...] entre en vigueur le 1er avril 1973.
2. [...]
2) Le présent décret s’applique aux marchés à terme suivants :
– le London Metal Exchange [Bourse des métaux de Londres, Royaume-Uni] ;
– le London Rubber Market [Marché du caoutchouc de Londres] ;
– le London Cocoa Terminal Market [Marché à terme du cacao de Londres] ;
– le London Coffee Terminal Market [Marché à terme du café de Londres] ;
– le London Sugar Terminal Market [Marché à terme du sucre de Londres] ;
– le London Vegetable Oil Terminal Market [Marché à terme de l’huile végétale de Londres] ;
– le London Wool Terminal Market [Marché à terme de la laine de Londres] ;
– le London Silver Market [Marché de l’argent de Londres] ;
– le London Grain Futures Market [Marché à terme des céréales de Londres], et
– le Liverpool Barley Futures Market [Marché à terme de l’orge de Liverpool, Royaume-Uni].
3) Les références du présent décret à un membre d’un marché incluent toute personne qui se livre normalement à des transactions sur le marché.
3. 1) Les livraisons de biens ou les prestations de services suivantes dans le cadre de transactions sur un marché à terme visé par le présent décret sont soumises au taux zéro, sous réserve des conditions définies dans le présent article :
a) la vente par ou à un membre du marché de tout bien faisant normalement l’objet de transactions sur le marché,
b) l’octroi par ou à un membre du marché d’un droit d’acquérir un tel bien,
c) lorsque la vente de biens ou l’octroi d’un droit soumis(e) au taux zéro au titre du point a) ou [du point] b) ci-dessus intervient dans le cadre de transactions entre des membres du marché agissant en tant que mandataires, la prestation par ces membres à leurs mandants de leurs services en cette qualité.
2) L’application du taux zéro à une vente en vertu du paragraphe 1, sous a), ci-dessus est soumise à la condition que ladite vente soit :
a) une vente qui, à la suite d’autres transactions sur le marché, ne se solde pas par la livraison des biens par le vendeur à l’acheteur, ou
b) une vente par et à un membre du marché qui :
i) s’il s’agit du London Metal Exchange [Bourse des métaux de Londres], est une vente entre membres admis à la corbeille,
ii) s’il s’agit du London Cocoa Terminal Market [Marché à terme du cacao de Londres], du London Coffee Terminal Market [Marché à terme du café de Londres], du London Sugar Terminal Market [Marché à terme du sucre de Londres], du London Vegetable Oil Terminal Market [Marché à terme de l’huile végétale de Londres] ou du London Wool Terminal Market [Marché à terme de la laine de Londres], est une vente enregistrée auprès de la chambre de compensation London Produce Clearing House Limited,
iii) s’il s’agit du London Grain Futures Market [Marché à terme des céréales de Londres], est une vente enregistrée auprès de la chambre de compensation de Grain and Feed Trade Association Limited, et
iv) s’il s’agit du Liverpool Barley Futures Market [Marché à terme de l’orge de Liverpool], est une vente enregistrée auprès de la chambre de compensation de Liverpool Corn Trade Association Limited.
3) L’application du taux zéro à l’octroi d’un droit en vertu du paragraphe 1, sous b), ci-dessus est soumise à la condition que :
a) le droit puisse être exercé à une date ultérieure à sa date d’octroi, ou
b) toute vente résultant de l’exercice du droit soit une vente à l’égard de laquelle la condition définie au paragraphe 2 ci-dessus est satisfaite. »
14 Le Value Added Tax (Terminal Markets) (Amendment) Order 1975 [décret (modificatif) sur la taxe sur la valeur ajoutée (marchés à terme) de 1975] (ci-après le « décret de 1975 ») dispose :
« Le Trésor [...] prend le décret suivant :
[...]
3. L’article 2, paragraphe 2, du [décret de 1973] est modifié par l’insertion des termes “le London Soya Bean Meal Futures Market [Marché à terme du tourteau de graines de soja de Londres], et”, après les termes “le London Grain Futures Market [Marché à terme des céréales de Londres]”[ ;] en conséquence, le terme “et” après les termes “le London Grain Futures Market [Marché à terme des céréales de Londres]” est supprimé.
4. L’article 3, paragraphe 2, sous b), ii), de ce décret est modifié comme suit :
a) par l’insertion des termes “le London Soya Bean Meal Futures Market [Marché à terme du tourteau de graines de soja de Londres]”, après les termes “le London Coffee Terminal Market [Marché à terme du café de Londres]” ; et
b) par la suppression des termes “le London Produce Clearing House Limited,” et leur remplacement par les termes “l’International Commodities Clearing House Limited,”. »
15 Le décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975, a par la suite fait l’objet de plusieurs amendements. Ainsi, en vertu de divers actes réglementaires adoptés entre l’année 1980 et l’année 1999, ont été ajoutés à la liste des marchés figurant à l’article 2, paragraphe 2, de ce décret, tel que modifié par le décret de 1975, le London Potato Futures Market [Marché à terme de la pomme de terre de Londres], l’International Petroleum Exchange of London [Bourse internationale du pétrole de Londres], le London Meat Futures Market [Marché à terme de la viande de Londres], le London Platinum and Palladium Market [Marché du platine et du palladium de Londres], le London Securities and Derivatives Exchange Ltd (OMLX) [Bourse des valeurs mobilières et des dérivés de Londres (OMLX)], ainsi que le London Bullion Market [Marché des lingots de Londres]. Par ailleurs, le London Gold Market [Marché de l’or de Londres] et le London Gold Futures Market [Marché à terme de l’or de Londres] ont été ajoutés puis supprimés de cette liste. De surcroît, le London Silver Market [Marché de l’argent de Londres] en a été retiré.
Les antécédents du litige
16 L’article 27, paragraphes 1 à 4, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphes 1 à 4, de la directive 2006/112) permettait aux États membres d’obtenir l’autorisation d’introduire dans leur droit national des mesures particulières dérogatoires ayant pour but de simplifier la perception de la TVA ou de prévenir certaines fraudes ou évasions fiscales. S’agissant des mesures particulières destinées à simplifier la perception de la taxe, il était exigé qu’elles n’influent pas, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale.
17 L’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive TVA (devenu article 394 de la directive 2006/112) permettait aux États membres de maintenir des mesures de ce type déjà existantes dans leur droit national, à condition que celles-ci aient été applicables à la date du 1er janvier 1977 et qu’elles aient été notifiées à la Commission avant le 1er janvier 1978.
18 Par lettre du 28 décembre 1977, le Royaume-Uni a notifié à la Commission, conformément à l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive TVA, un certain nombre de mesures particulières qui étaient en vigueur au 1er janvier 1977 et qu’il avait l’intention de maintenir après le 1er janvier 1978, parmi lesquelles figuraient les mesures de simplification afférentes aux « marchés à terme » qui sont en cause dans la présente affaire (ci-après la « notification du 28 décembre 1977 »).
19 Selon cette notification, ces dernières mesures de simplification s’appliquaient aux opérations effectuées sur onze marchés à terme de marchandises faisant intervenir des membres bien définis de chaque marché. Il était indiqué que ces opérations à terme (y compris les options), qui ne se soldent pas par la livraison des marchandises sous-jacentes, n’étaient, sous certaines conditions, soumises ni à la TVA ni aux obligations en matière de tenue des registres de TVA. En outre, il était précisé que les marchés à terme concernés et l’étendue de l’application du taux zéro à ces opérations avaient été définis dans le décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975.
20 Plus précisément, à l’annexe V de la lettre portant ladite notification, l’objet et la justification des mesures notifiées étaient exposés comme suit :
«1. Il existe au Royaume-Uni un certain nombre de marchés de marchandises. Ceux-ci sont le siège de nombreux échanges marchands internationaux. Certains sont des marchés uniquement “physiques” où se négocient des envois de marchandises [...]. Les règles normales de TVA sont appliquées aux opérations sur ces marchés et il n’en résulte aucune distorsion de concurrence. L’application des règles normales de TVA à toutes les opérations sur les “marchés à terme” aurait cependant des conséquences préjudiciables. Les onze marchés “à terme” du Royaume-Uni permettent aux cultivateurs, aux négociants et aux producteurs d’acheter et de vendre des contrats “à terme” concernant certaines marchandises afin de se prémunir contre les pertes sur leurs opérations commerciales réelles dues à des fluctuations de prix. Les opérations “à terme” sur chacun des marchés sont généralement confinées à de petits groupes de membres “admis à la corbeille”. Dans la plupart des cas, ces membres agissent pour leur propre compte ; dans d’autres cas, ils peuvent agir sur mandat de clients extérieurs. Un contrat “à terme” est normalement établi de manière à demander la livraison finale des biens et, de fait, un faible pourcentage des contrats [“à terme”] arrivent à échéance. Cela contribue à maintenir une relation étroite entre les prix “à terme” et les prix “physiques”. Cependant, la majeure partie des opérations “à terme” relèvent du financement ou de l’assurance et ne sont pas exécutées dans l’intention d’acquérir des biens.
2. Si la TVA avait été appliquée normalement à toutes les opérations “à terme”, il en aurait résulté une distorsion des prix du marché du Royaume-Uni [...]. Cela aurait pu entraîner la perte de nombreux échanges “à terme” avec les pays extérieurs à [l’Union]. Par ailleurs, il existe un volume très important d’opérations sur les marchés “à terme” qui sont souvent menées sur de très courtes périodes de la journée et l’application du régime complet de TVA aurait imposé des charges administratives considérables aux marchés, auxquelles ils auraient eu du mal à faire face, et l’organisation des opérations en aurait été sérieusement perturbée. De plus, il aurait été difficile d’instaurer une vérification effective de l’ensemble de la chaîne des opérations de chaque marché “à terme”. Il a donc été décidé que le régime d’allègement était nécessaire pour ces marchés. Ce régime prévoit un système simplifié de contrôle et réduit les charges administratives qui pèsent sur les marchés sans perte substantielle de recettes au stade de la consommation finale.
3. De manière générale, le régime prévoit que les opérations sur les onze marchés “à terme” qui font intervenir des membres bien définis du marché sont exonérées de TVA et des obligations en matière de registres de TVA. Les marchés concernés et l’étendue de l’application du taux zéro à ces transactions sont définis dans [le décret de 1973 et le décret de 1975]. [...] L’exception à l’obligation normale de tenir des registres de TVA pour ces opérations à taux zéro relève de la responsabilité de “précaution et gestion” qui incombe aux Commissioners of Customs & Excise [commissaires des douanes et accises]. Le taux zéro ne s’applique qu’aux opérations “à terme” sur des marchandises qui font intervenir un membre du marché concerné et aux frais de représentation par les membres du marché en relation avec ces opérations. [...] Si un contrat “à terme” arrive à échéance et si la livraison des biens a lieu alors qu’une personne non membre du marché est impliquée, la fourniture des biens et du service de représentation par un membre du marché n’est pas couverte par les décrets, et les règles normales de TVA s’appliquent. Les décrets ne permettent pas aux utilisateurs de ces marchandises d’acquérir celles-ci hors taxe au Royaume-Uni, même s’il est important de garder à l’esprit que de nombreuses marchandises peuvent bénéficier du taux zéro [...] et que les services de représentation par des membres du marché en faveur de clients à l’étranger peuvent également bénéficier du taux zéro en tant qu’exportation de services. »
La procédure précontentieuse
21 Par lettre du 8 mars 2018, la Commission a adressé une mise en demeure au Royaume-Uni. Elle a fait valoir que les modifications apportées au décret de 1973 depuis la notification du 28 décembre 1977 élargissaient le champ d’application de la dérogation ayant été demandée en vertu de cette notification, de sorte que lesdites modifications auraient dû être notifiées à la Commission conformément à l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112.
22 Le 9 mai 2018, le Royaume-Uni a répondu à cette mise en demeure en contestant le bien-fondé des griefs figurant dans celle-ci.
23 Le 20 juillet 2018, la Commission a adressé un avis motivé au Royaume-Uni, au titre de l’article 258, paragraphe 1, TFUE.
24 Cette institution a allégué, plus particulièrement, qu’en introduisant de nouvelles mesures de simplification qui ont étendu l’application du taux zéro et l’exception à l’obligation normale de tenir des registres de TVA ayant été prévues dans le décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975, sans adresser de demande à la Commission en vue d’obtenir l’autorisation du Conseil, le Royaume-Uni a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112.
25 La Commission a indiqué que les amendements apportés après la notification du 28 décembre 1977 au décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975, constituaient des changements substantiels par rapport à la dérogation résultant de cette notification. Elle a précisé que ses griefs ne concernaient pas les simples changements de nom et qu’ils portaient uniquement sur les marchés et bourses ajoutés à la liste des marchés à terme couverts par le décret de 1973 ainsi modifié qui étaient encore en activité. À cet égard, elle a fait valoir que le champ d’application de la mesure notifiée avait été élargi, en particulier, par les ajouts, intervenus en 1981 et en 1987 et toujours en vigueur, de l’International Petroleum Exchange of London [Bourse internationale du pétrole de Londres] puis du London Platinum and Palladium Market [Marché du platine et du palladium de Londres] à ladite liste. En outre, elle a ciblé l’avantage temporaire étendant l’application du taux zéro et l’exception à l’obligation normale de tenue de registres de TVA, prévues par ledit décret, aux marchés « ICE Futures » et « APX Power », lesquels sont relatifs, l’un, au gaz naturel, à l’électricité et aux quotas d’émissions de carbone (respectivement depuis 1997, 2004 et 2005) et, l’autre, à l’électricité. Enfin, elle a relevé que les marchés et les bourses ainsi ajoutés étaient susceptibles d’influer de façon non négligeable sur le montant global des recettes fiscales du Royaume-Uni perçues au stade de la consommation finale.
26 Le 18 septembre 2018, le Royaume-Uni a répondu à l’avis motivé mentionné au point 23 du présent arrêt en soutenant, essentiellement, que les amendements introduits depuis la notification du 28 décembre 1977 dans le décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975, n’élargissaient pas la mesure notifiée au-delà de sa finalité, mais opéraient, au contraire, des modifications purement formelles. Il a reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte de la série complexe de restructurations intervenues sur les marchés de marchandises de Londres depuis l’année 1977. Il a aussi allégué que le marché « APX Power » n’était plus actif sur son territoire et que, partant, cet élément ne devait pas être pris en considération dans le cadre de la violation du droit de l’Union alléguée.
27 Le 1er avril 2019, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Sur la compétence de la Cour
28 À titre liminaire, il y a lieu de constater qu’il résulte de l’article 86 de l’accord de retrait, lequel est entré en vigueur le 1er février 2020, que la Cour demeure compétente pour connaître de toute procédure introduite contre le Royaume-Uni avant la fin de la période de transition, ce qui est le cas du présent recours en manquement.
Sur le fond
Argumentation des parties
– Argumentation de la Commission
29 La Commission soutient que les modifications apportées depuis la notification du 28 décembre 1977 au décret de 1973, tel qu’amendé par le décret de 1975, qui sont mentionnées dans l’avis motivé (ci-après les « modifications litigieuses ») constituent de nouvelles « mesures particulières dérogatoires », au sens de l’article 395, paragraphe 1, de la directive 2006/112, car elles élargissent le champ d’application de la dérogation résultant de la notification effectuée en 1977 au titre de l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive TVA (devenu article 394 de la directive 2006/112).
30 À cet égard, la Commission fait valoir que la notification du 28 décembre 1977 couvrait onze marchés et bourses précis et que tout ajout d’autres marchés ou bourses représente une modification substantielle nécessitant une nouvelle notification à la Commission en vue d’obtenir une autorisation du Conseil, conformément aux modalités définies à l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112.
31 En se référant à l’arrêt du 27 janvier 2011, Vandoorne (C-489/09, EU:C:2011:33, point 27), la Commission rappelle que les mesures dérogatoires visées aux articles 394 et 395 de la directive 2006/112, permises « afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales », sont d’interprétation stricte et ne peuvent déroger au respect de la base d’imposition de la TVA normalement applicable que dans des limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif. Par ailleurs, en renvoyant à l’arrêt du 13 février 1985, Direct Cosmetics (5/84, EU:C:1985:71, point 24), elle allègue que des mesures particulières nouvelles, dérogatoires à cette directive, ne sont conformes au droit de l’Union qu’à condition, d’une part, qu’elles restent à l’intérieur du cadre des objectifs fixés à l’article 395, paragraphe 1, de ladite directive et, d’autre part, qu’elles aient fait l’objet d’une notification à la Commission aux fins d’autorisation par le Conseil.
32 S’agissant de la compatibilité des modifications litigieuses avec l’article 395, paragraphe 1, de la directive 2006/112, la Commission considère que le Royaume-Uni n’a pas démontré que ces modifications n’ont qu’une influence négligeable sur le montant global des recettes fiscales de cet État membre perçues au stade de la consommation finale, comme l’exige le second alinéa dudit paragraphe 1. Au contraire, selon la Commission, les modifications concernées ne respectent pas cette disposition, dès lors que des options se rapportant à des marchandises sont négociées sur les marchés et bourses en question et que de telles opérations constituent des instruments financiers qui devraient non pas être soumis à un taux zéro de TVA, comme le Royaume-Uni l’a estimé, mais plutôt être exonérés en tant qu’« autres titres » visés à l’article 135, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, sans droit à déduction de la TVA en amont.
33 S’agissant des informations fournies par le Royaume-Uni, dans sa réponse à l’avis motivé mentionné au point 23 du présent arrêt, concernant la restructuration complexe que ses marchés de marchandises auraient connue, la Commission estime que ces éléments n’ont pas d’incidence sur la conclusion générale selon laquelle cet État membre a manqué aux obligations prévues à l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112. En effet, les modifications litigieuses ne seraient pas purement formelles et ne viseraient pas simplement à répondre au processus de restructuration. Elles auraient permis à des types d’instruments de plus en plus complexes, négociés sur des marchés eux-mêmes de plus en plus complexes, de bénéficier de la dérogation résultant de la notification du 28 décembre 1977, avec pour conséquence que cette dérogation ne se limiterait désormais plus aux transactions de marchandises initialement visées et ne serait donc plus correctement appliquée.
– Argumentation du Royaume-Uni
34 Le Royaume-Uni conteste le manquement qui lui est reproché en alléguant, principalement, que la Commission adopte une approche trop formaliste de l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112. Il soutient que les modifications litigieuses n’auraient, en substance, pas étendu la dérogation obtenue en vertu de la notification du 28 décembre 1977 au-delà de la portée ou de la finalité de cette dernière.
35 En ce qui concerne la portée de la notification du 28 décembre 1977, cet État membre met en exergue que celle-ci couvrait un type particulier de marchés de marchandises sur lesquels étaient négociés des contrats à terme (ainsi que des options et certaines transactions au comptant entre les membres de ces marchés) et que les mesures particulières notifiées visaient, de façon exhaustive, l’ensemble des onze marchés à terme de marchandises qui opéraient au Royaume-Uni à l’époque. Les modifications litigieuses auraient simplement eu pour but que le champ d’application matériel de la dérogation obtenue lors de ladite notification reste inchangé par rapport à celui qui existait initialement, car ces modifications auraient permis que les transactions du même type que celles identifiées en 1977 soient traitées de la même manière que ces dernières. En s’appuyant sur l’arrêt du 13 février 1985, Direct Cosmetics (5/84, EU:C:1985:71, point 25), le Royaume-Uni affirme qu’il n’était pas tenu de procéder à une nouvelle notification à la Commission, dès lors que lesdites modifications sont substantiellement identiques aux dispositions notifiées en 1977 et sont de nature purement formelle.
36 En ce qui concerne la finalité des mesures ayant fait l’objet de la notification du 28 décembre 1977, le Royaume-Uni invoque l’importance de ce paramètre en visant, notamment, l’arrêt du 14 juillet 2005, British American Tobacco et Newman Shipping (C-435/03, EU:C:2005:464, point 44 ainsi que jurisprudence citée). À ce sujet, cet État membre allègue que les modifications litigieuses poursuivaient des objectifs identiques à ceux desdites mesures, à savoir simplifier le régime de TVA de l’ensemble des opérations sur les marchés à terme du Royaume-Uni, pour autant qu’elles remplissent les conditions de fond énoncées dans ladite notification, et éviter toute distorsion du marché. Selon cet État membre, la nécessité des mesures de simplification, sachant que l’application d’un taux zéro de TVA permettrait de réduire les charges administratives pesant sur les marchés et de faciliter les contrôles, ne différerait pas selon la marchandise négociée.
37 De surcroît, la lecture strictement littérale, et non téléologique, de ladite notification qui est retenue par la Commission ne tiendrait pas compte des restructurations complexes qu’auraient connues les marchés de marchandises londoniens depuis l’année 1977. L’approche de la Commission aurait pour résultat singulier que les contrats qui sont actuellement négociés sur la même bourse, ou détenus par le même groupe de bourses, seraient soumis à des obligations différentes en matière de TVA simplement en raison de l’évolution historique du négoce de la marchandise concernée.
38 Par ailleurs, le Royaume-Uni réfute les arguments de la Commission concernant le régime de TVA qu’il conviendrait d’appliquer aux options se rapportant à des marchandises, si le taux zéro n’était pas applicable à ces opérations. D’une part, il conteste entièrement l’analyse menée par la Commission à cet égard, notamment, en se référant aux arrêts du 12 juin 2014, Granton Advertising (C-461/12, EU:C:2014:1745, points 27, 28, 30, 31 et 33), ainsi que du 22 octobre 2015, Hedqvist (C-264/14, EU:C:2015:718, point 54). D’autre part, cet État membre estime que, au demeurant, la question de savoir quel régime devrait être appliqué aux options sur marchandises dépasse l’objet du présent recours, car la seule question que la Cour devrait trancher est celle de savoir si les modifications litigieuses étaient, ou non, couvertes par la notification du 28 décembre 1977.
Appréciation de la Cour
39 À titre liminaire, il convient de relever que la Commission fonde son recours sur la directive 2006/112, qui n’était pas encore entrée en vigueur au moment où le Royaume-Uni a adopté les modifications litigieuses – plus particulièrement celles mentionnées au point 25 du présent arrêt –, mais qui l’était au moment de l’expiration du délai que la Commission a imparti à l’État membre en cause pour se conformer à son avis motivé. À cet égard, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, est recevable un grief tendant à faire constater un manquement aux obligations qui trouvent leur origine dans la version initiale d’un acte de l’Union, par la suite modifié ou abrogé, et qui ont été maintenues par les dispositions d’un nouvel acte de l’Union. En revanche, l’objet du litige ne saurait être étendu à des obligations qui découlent de nouvelles dispositions n’ayant pas d’équivalent dans la version initiale de l’acte en cause, sous peine de constituer une violation des formes substantielles de la régularité de la procédure constatant le manquement. Par conséquent, il y a lieu d’examiner le présent recours au regard de la directive 2006/112, dès lors qu’il est constant que les obligations qui s’imposent aux États membres en vertu de l’article 395, paragraphe 2, de cette directive correspondent à celles déjà applicables avant son entrée en vigueur, en vertu de l’article 27, paragraphe 2, de la sixième directive TVA (voir, par analogie, arrêts du 17 juin 2010, Commission/France, C-492/08, EU:C:2010:348, points 31 et 32, ainsi que du 22 février 2018, Commission/Pologne, C-336/16, EU:C:2018:94, point 44 et jurisprudence citée).
40 Par ailleurs, il convient d’écarter, d’emblée, l’un des arguments présentés par la Commission et contestés par le Royaume-Uni, à savoir l’argument rappelé au point 32 du présent arrêt, selon lequel les modifications litigieuses n’influeraient pas « que de façon négligeable sur le montant global des recettes fiscales de [cet] État membre perçues au stade la consommation finale », compte tenu du régime de TVA auquel les options se rapportant à des marchandises seraient, à tort, soumises au Royaume-Uni.
41 À cet égard, force est de constater que ledit argument vise l’exigence, d’ordre matériel, qui est prévue au paragraphe 1, second alinéa, de l’article 395 de la directive 2006/112 et qui limite la faculté des États membres d’appliquer des dérogations même notifiées avant le 1er janvier 1978 – comme l’indique l’article 394 in fine de cette directive –, tandis que le petitum de la requête de la Commission a pour objet les obligations, d’ordre procédural, qui découlent du paragraphe 2 de cet article 395. Ainsi, en vertu du présent recours, la Cour est invitée uniquement à déterminer si le Royaume-Uni a ou non manqué à ces dernières obligations, en ce qu’il n’a pas notifié à la Commission, aux fins d’autorisation par le Conseil, les modifications litigieuses, dérogeant au système commun de TVA, qui ont été introduites après la notification du 28 décembre 1977. Il s’ensuit, comme le Royaume-Uni l’a relevé à juste titre, que la Cour, saisie au titre du paragraphe 2 dudit article 395, ne saurait se prononcer, dans la présente affaire, sur le point de savoir si ces mesures remplissent effectivement le critère relatif à l’influence sur les recettes fiscales qui est posé au paragraphe 1, second alinéa, du même article. L’argument fondé sur ce critère est donc dénué de pertinence en l’espèce.
42 S’agissant des autres arguments avancés par la Commission, il importe de rappeler, premièrement, qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que les mesures nationales dérogatoires visées à l’article 27, paragraphes 1 à 5, de la sixième directive TVA (devenu articles 394 et 395 de la directive 2006/112), mesures permises « afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales », sont d’interprétation stricte et ne peuvent déroger au respect de la base d’imposition de la TVA normalement applicable que dans des limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif (voir, notamment, arrêts du 29 avril 2004, Sudholz, C-17/01, EU:C:2004:242, points 45 et 46 ; du 14 juillet 2005, British American Tobacco et Newman Shipping, C-435/03, EU:C:2005:464, point 44 ; du 27 janvier 2011, Vandoorne, C-489/09, EU:C:2011:33, point 27, ainsi que du 14 décembre 2017, Avon Cosmetics, C-305/16, EU:C:2017:970, point 36).
43 Deuxièmement, la Cour a jugé que, s’agissant des mesures particulières dérogatoires visées à l’article 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphe 1, et article 394 de la directive 2006/112) et tendant à simplifier la perception de la taxe sans influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale, qui étaient en vigueur au 1er janvier 1977, les États membres pouvaient les maintenir à la condition de les avoir notifiées à la Commission avant le 1er janvier 1978 (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 1985, Direct Cosmetics, 5/84, EU:C:1985:71, point 22).
44 Troisièmement, les mesures dérogatoires nouvelles qu’un État membre souhaite introduire ne sont conformes au droit de l’Union que si, d’une part, elles s’inscrivent dans le cadre des objectifs fixés à l’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphe 1, de la directive 2006/112) et, d’autre part, elles ont fait l’objet d’une notification à la Commission suivie d’une autorisation du Conseil (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1985, Direct Cosmetics, 5/84, EU:C:1985:71, point 24, et du 9 juin 2011, Campsa Estaciones de Servicio, C-285/10, EU:C:2011:381, point 32).
45 Quatrièmement, dans l’arrêt du 13 février 1985, Direct Cosmetics (5/84, EU:C:1985:71, points 25 à 29), la Cour a considéré qu’une mesure notifiée par un État membre avant le 1er janvier 1978 est censée épuiser son effet à partir du moment où cette mesure a été remplacée par une disposition nationale nouvelle, « à moins qu’il soit établi que la disposition nouvelle peut être considérée comme substantiellement la même que la disposition ancienne ». Ayant estimé que la modification visée dans ladite affaire constituait un « changement substantiel par rapport à la mesure notifiée en 1977 par le fait qu’elle omet précisément l’élément qui la rattachait à la sixième directive [TVA] », la Cour a souligné que « seule une notification faite conformément au paragraphe 2 de l’article 27 [de cette directive (devenu paragraphe 2 de l’article 395 de la directive 2006/112)] aurait permis à la Commission et, éventuellement, au Conseil de contrôler s’il y avait encore correspondance entre la mesure nouvelle et l’objectif défini par le paragraphe 1 du même article » malgré la suppression de l’élément concerné. Partant, la Cour a jugé que lorsque des dispositions nationales notifiées conformément à l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive TVA (devenu article 394 de la directive 2006/112) font l’objet d’un tel amendement, à caractère substantiel, celui-ci constitue une « mesure particulière » nouvelle qui doit être notifiée à la Commission.
46 Dans la présente affaire, il est constant que, le 28 décembre 1977, le Royaume-Uni a notifié à la Commission une mesure destinée à simplifier la perception de la TVA, au titre de la dérogation prévue à l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive TVA (devenu article 394 de la directive 2006/112) pour les mesures de ce type en vigueur au 1er janvier 1977. Selon les motifs exposés dans l’annexe V de la lettre portant cette notification, la mesure notifiée, issue du décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975, permettait spécifiquement que « les opérations sur les onze marchés “à terme” [de marchandises visés dans ces décrets] qui font intervenir des membres bien définis du marché [soient] exonérées de TVA [grâce à l’application d’un taux zéro] et des obligations en matière de registres de TVA ». Postérieurement à cette notification, le Royaume-Uni a adopté plusieurs dispositions modifiant le contenu de la mesure concernée, plus particulièrement celles citées dans l’avis motivé de la Commission et mentionnées au point 25 du présent arrêt, sans adresser de demande à la Commission aux fins d’autorisation par le Conseil au titre de l’article 27, paragraphe 2, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112).
47 Le Royaume-Uni conteste le manquement qui lui est reproché en invoquant, en substance, qu’il n’était pas tenu de notifier les modifications litigieuses en vertu de l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112, car elles constitueraient des amendements purement formels, qui n’excéderaient pas la finalité de la mesure dérogatoire ayant donné lieu à la notification du 28 décembre 1977 et qui, au contraire, permettraient de garantir que le champ d’application de ladite mesure reste le même, en dépit des évolutions suivies par les marchés et bourses de marchandises visés par celle-ci.
48 En revanche, la Commission fait valoir, en substance, que la notification du 28 décembre 1977 couvre uniquement les onze marchés et bourses bénéficiant d’un taux zéro de TVA et de l’exception à la tenue de registres de TVA qui sont visés spécifiquement dans l’acte de notification, à savoir les marchés et bourses listés à l’article 2, paragraphe 2, du décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975, et que tout ajout à cette liste doit être considéré comme une modification substantielle, induisant une obligation de notification à la charge du Royaume-Uni.
49 À cet égard, il convient de relever que l’approche défendue, à bon droit, par la Commission est conforme aux principes, rappelés au point 42 du présent arrêt, selon lesquels les mesures nationales dérogatoires visées à l’article 27, paragraphes 1 à 5, de la sixième directive TVA (devenu articles 394 et 395 de la directive 2006/112) doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et rester strictement proportionnées à l’objectif de simplification de la perception de la TVA.
50 En vertu de ces principes, un régime particulier qui, pour atteindre ledit objectif, déroge à la règle générale – énoncée à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112 – selon laquelle la TVA est perçue sur chaque livraison de biens ou prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti, ne saurait être étendu à des opérations qui étaient exclues dudit régime particulier par le législateur national à la date où cette dérogation était permise en vertu du droit de l’Union, et plus spécifiquement, qui n’étaient pas prévues au moment de l’entrée en vigueur de la sixième directive TVA (voir, par analogie, arrêts du 19 septembre 2000, Ampafrance et Sanofi, C-177/99 et C-181/99, EU:C:2000:470, points 37 et 38, ainsi que du 6 juillet 2006, Talacre Beach Caravan Sales, C-251/05, EU:C:2006:451, points 22 et 23). Il s’ensuit que, lorsqu’un État membre adopte des mesures dérogatoires concernant des opérations qui ne relevaient pas du champ d’un régime particulier ayant fait l’objet d’une notification au titre de l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive TVA (devenu article 394 de la directive 2006/112), cet État est tenu de notifier de telles mesures nouvelles au titre de l’article 27, paragraphes 1 à 4, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphes 1 à 4, de la directive 2006/112). Cette conclusion s’impose d’autant plus s’agissant des marchés relatifs à des types d’opérations qui n’existaient pas à l’époque d’une telle notification.
51 En outre, il importe de rappeler que, comme cela est indiqué au point 45 du présent arrêt, la Cour a déjà jugé que, lorsque des dispositions nationales notifiées par un État membre conformément à l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive TVA (devenu article 394 de la directive 2006/112) font l’objet d’un amendement à caractère substantiel, un tel amendement constitue une « mesure particulière » nouvelle dont cet État est tenu d’informer la Commission en vertu de l’article 27, paragraphe 2, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112) (arrêt du 13 février 1985, Direct Cosmetics, 5/84, EU:C:1985:71, points 28 et 29).
52 Une telle obligation de notification répond également aux exigences découlant des principes de sécurité juridique et de transparence, car elle permet tant à la Commission qu’aux États membres autres que l’auteur de ladite notification, par le truchement d’une décision expresse adoptée au sein du Conseil, de contrôler l’utilisation qu’un État membre entend faire de la faculté de dérogation ouverte par l’article 27, paragraphes 1 à 4, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphes 1 à 4, de la directive 2006/112).
53 Par ailleurs, il ne saurait être suffisant, comme le Royaume-Uni l’allègue, que les dispositions nationales ayant modifié de la sorte la mesure notifiée au titre de l’article 27, paragraphe 5, de la sixième directive TVA (devenu article 394 de la directive 2006/112) aient éventuellement la même finalité que cette mesure, car seule une notification faite conformément à l’article 27, paragraphe 2, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112) est susceptible de permettre à la Commission et au Conseil de contrôler si la mesure particulière telle que modifiée répond toujours à l’objectif défini audit article 27, paragraphe 1 (devenu article 395, paragraphe 1, de la directive 2006/112) et remplit les autres critères d’application de la dérogation prévue à cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 1985, Direct Cosmetics, 5/84, EU:C:1985:71, point 28).
54 En l’occurrence, il ressort des éléments versés au débat que les modifications litigieuses ont affecté directement la portée du régime dérogatoire adopté par le Royaume-Uni, dans le but de simplifier la perception de la TVA, qui a fait l’objet de la notification du 28 décembre 1977, laquelle se référait à onze marchés et bourses explicitement identifiés, afin de définir le champ d’application de la mesure notifiée. En effet, ledit régime visait, de manière précise, les opérations portant sur les onze marchés à terme de marchandises ayant été énumérés par le décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975, tandis que les mesures mises en cause ont procédé à une série non seulement de retraits mais aussi d’ajouts par rapport aux opérations ainsi désignées, lesquelles avaient été spécifiquement justifiées par cet État membre, dans les termes figurant à l’annexe V de sa lettre portant notification. Il en va ainsi, notamment, de l’ajout de marchés relatifs à de nouveaux types d’opérations, ce qui est le cas, en particulier, des opérations portant sur les quotas d’émission de carbone effectuées dans le cadre du marché « ICE Futures », mentionnées au point 25 du présent arrêt. Or, de tels ajouts étendent la portée dudit régime dérogatoire au-delà des éléments ayant été distinctement visés par le Royaume-Uni et des justifications ayant été fournies spécialement à ce sujet dans le cadre de ladite notification.
55 Il en résulte que les modifications litigieuses comportent des modifications substantielles et constituent, dès lors, de nouvelles « mesures particulières dérogatoires », au sens de l’article 27, paragraphes 1 à 4, de la sixième directive TVA (devenu article 395, paragraphes 1 à 4, de la directive 2006/112), de sorte qu’elles auraient dû être notifiées à la Commission en vue d’une autorisation délivrée par le Conseil conformément à cet article 27, paragraphe 2 (devenu article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112).
56 Enfin, il convient de préciser que l’obligation de notification en question ne préjuge aucunement de la position, favorable ou non, que le Conseil pourrait adopter dans sa décision à intervenir, de sorte qu’est inopérante l’argumentation du Royaume-Uni portant sur les effets supposément préjudiciables de la non-application d’un taux zéro aux marchés et aux bourses concernés par les modifications litigieuses.
57 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en introduisant de nouvelles mesures de simplification qui étendent l’application du taux zéro et l’exception à l’obligation normale de tenir des registres de TVA ayant été prévues dans le décret de 1973, tel que modifié par le décret de 1975, sans notifier une demande à la Commission afin d’obtenir l’autorisation du Conseil, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112.
Sur les dépens
58 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume-Uni et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner ce dernier aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) En introduisant de nouvelles mesures de simplification qui étendent l’application du taux zéro et l’exception à l’obligation normale de tenir des registres de taxe sur la valeur ajoutée ayant été prévues dans le Value Added Tax (Terminal Markets) Order 1973 [décret sur la taxe sur la valeur ajoutée (marchés à terme) de 1973], tel que modifié par le Value Added Tax (Terminal Markets) (Amendment) Order 1975 [décret (modificatif) sur la taxe sur la valeur ajoutée (marchés à terme) de 1975], sans notifier une demande à la Commission européenne afin d’obtenir l’autorisation du Conseil de l’Union européenne, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertude l’article 395, paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
2) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est condamné aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure : l’anglais.