ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
28 février 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Pouvoir d’exécution du Conseil de l’Union européenne – Article 291, paragraphe 2, TFUE – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 28 et 397 – Assujetti agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui – Fournisseur de services par voie électronique – Règlement d’exécution (UE) no 282/2011 – Article 9 bis – Présomption – Validité »
Dans l’affaire C-695/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni], par décision du 15 décembre 2020, parvenue à la Cour le 22 décembre 2020, dans la procédure
Fenix International Ltd
contre
Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. C. Lycourgos, M. Safjan, Mme L. S. Rossi (rapporteure), M. D. Gratsias et Mme M. L. Arastey Sahún, présidents de chambre, MM. J.-C. Bonichot, S. Rodin, J. Passer, M. Gavalec, Z. Csehi et Mme O. Spineanu-Matei, juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 mai 2022,
considérant les observations présentées :
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pour Fenix International Ltd, par MM. O. Bartholomew, S. Gilchrist et D. Greene, solicitors, MM. T. Johnson, M. Schofield et Mme V. Sloane, barristers, |
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pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. F. Shibli, en qualité d’agent, assisté de M. A. Macnab, barrister, |
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pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. Maddalo, avvocato dello Stato, |
– |
pour le Conseil de l’Union européenne, par Mme E. Chatziioakeimidou, M. M. Chavrier et Mme E. d’Ursel, en qualité d’agents, |
– |
pour la Commission européenne, par Mmes J. Jokubauskaitė et C. Perrin, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 septembre 2022,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 9 bis du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2011, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) no 1042/2013 du Conseil, du 7 octobre 2013 (JO 2013, L 284, p. 1) (ci-après le « règlement d’exécution no 282/2011 »). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Fenix International Ltd (ci-après « Fenix ») aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (administration fiscale et douanière, Royaume Uni) au sujet d’avis d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) émis par ces derniers au titre des mois de juillet 2017 à janvier 2020 ainsi que du mois d’avril 2020. |
Le cadre juridique
L’accord de retrait
3 |
Par sa décision (UE) 2020/135, du 30 janvier 2020, relative à la conclusion de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 1, ci-après l’« accord de retrait »), le Conseil de l’Union européenne a approuvé, au nom de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA), ledit accord, qui a été joint à cette décision (JO 2020, L 29, p. 7). |
4 |
L’article 86 de l’accord de retrait, intitulé « Affaires en instance devant la Cour de justice de l’Union européenne », dispose, à ses paragraphes 2 et 3 : « 2. La Cour de justice de l’Union européenne demeure compétente pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni présentées avant la fin de la période de transition. 3. Aux fins du présent chapitre, une procédure est considérée comme ayant été introduite devant la Cour de justice de l’Union européenne, et une demande de décision préjudicielle est considérée comme ayant été présentée, au moment où l’acte introductif d’instance a été enregistré par le greffe de la Cour de justice [...] » |
5 |
Conformément à l’article 126 de l’accord de retrait, la période de transition a commencé à la date d’entrée en vigueur de cet accord et a pris fin le 31 décembre 2020. |
La directive TVA
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Eu égard à la date des avis d’imposition à la TVA en cause dans le litige au principal, celui-ci est régi par les dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2017/2455 du Conseil, du 5 décembre 2017 (JO 2017, L 348, p. 7) (ci-après la « directive TVA »). |
7 |
Les considérants 61 à 64 de la directive TVA sont rédigés comme suit :
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8 |
Le titre IV de cette directive, intitulé « Opérations imposables », contient un chapitre 3, relatif aux « [p]restations de services », sous lequel figure l’article 28 de celle-ci. |
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L’article 28 de la directive TVA dispose : « Lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question. » |
10 |
Le titre V de cette directive, intitulé « Lieu des opérations imposables », comporte un chapitre 3, relatif aux « [l]ieux des prestations de services ». La section 3 de ce chapitre énumère, à ses neuf sous-sections, différents types de prestations de services, parmi lesquels figurent, à la sous-section 8, depuis le 1er janvier 2015, les services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision ainsi que les services fournis par voie électronique à une personne non assujettie. Cette sous-section est composée de l’article 58 de ladite directive, qui prévoit, à son paragraphe 1, que ces services sont imposables dans l’État membre où cette personne est établie ou a son domicile ou sa résidence habituelle. |
11 |
Ladite sous-section avait été modifiée, à compter du 1er janvier 2015, par la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008 (JO 2008, L 44, p. 11), dont le considérant 1 énonce que « la réalisation du marché intérieur, la mondialisation, la déréglementation et les mutations technologiques ont, en se conjuguant, provoqué des bouleversements considérables dans le volume et la structure du commerce des services. De plus en plus, certains services peuvent être fournis à distance ». |
12 |
L’article 220 de la directive TVA prévoit : « Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :
[...] » |
13 |
Aux termes de l’article 226 de cette directive : « Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 : [...]
[...] » |
14 |
L’article 397 de ladite directive dispose : « Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête les mesures nécessaires à l’application de la présente directive. » |
Le règlement d’exécution no 282/2011
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Les considérants 2, 4 et 5 du règlement d’exécution no 282/2011 sont rédigés comme suit :
[...]
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16 |
L’article 1er de ce règlement d’exécution no 282/2011 dispose : « Le présent règlement porte mesures d’exécution de certaines dispositions des titres I à V [...] de la directive [TVA]. » |
17 |
Les considérants 1 et 4 du règlement d’exécution no 1042/2013, qui a modifié, à compter du 1er janvier 2015, le règlement d’exécution no 282/2011, exposent :
[...]
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18 |
Aux termes de l’article 9 bis du règlement d’exécution no 282/2011, inséré par le règlement d’exécution no 1042/2013 : « 1. Aux fins de l’application de l’article 28 de la directive [TVA], lorsque des services fournis par voie électronique sont fournis par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications, l’assujetti qui s’entremet dans cette prestation est présumé agir, en son nom propre mais pour le compte du fournisseur de ces services, à moins que ledit fournisseur ne soit explicitement reconnu comme étant le prestataire par ledit assujetti et que cela ressorte des accords contractuels entre les parties. Afin de pouvoir considérer le fournisseur de services fournis par voie électronique comme étant explicitement désigné en tant que prestataire de ces services par l’assujetti, les conditions suivantes sont réunies :
Aux fins du présent paragraphe, un assujetti qui, en ce qui concerne la fourniture de services fournis par voie électronique, autorise la facturation au preneur ou la fourniture des services, ou fixe les conditions générales de la fourniture, n’est pas autorisé à explicitement désigner une autre personne comme étant le prestataire de ces services. 2. Le paragraphe 1 s’applique également lorsque des services téléphoniques fournis sur l’internet, y compris le protocole de téléphonie vocale sur l’internet (VoIP), sont fournis par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications, et ce aux mêmes conditions que celles énoncées audit paragraphe. 3. Le présent article ne s’applique pas à un assujetti qui assure uniquement le traitement des paiements en rapport avec des services fournis par voie électronique ou des services téléphoniques fournis sur l’internet, y compris le protocole de téléphonie vocale sur l’internet (VoIP), et qui ne participe pas à la fourniture de ces services fournis par voie électronique ou de ces services téléphoniques. » |
Le litige au principal et la question préjudicielle
19 |
Fenix, une société immatriculée aux fins de la TVA au Royaume-Uni, exploite sur Internet une plateforme de réseau social connue sous le nom de Only Fans (ci-après la « plateforme Only Fans »). Cette plateforme est proposée aux « utilisateurs » du monde entier, lesquels se répartissent en « créateurs » et en « fans ». |
20 |
Chaque créateur dispose d’un « profil », sur lequel il télécharge et publie des contenus, tels que des photos, des vidéos et des messages. Les fans peuvent accéder au contenu téléchargé par les créateurs qu’ils souhaitent suivre ou avec lesquels ils souhaitent interagir, en effectuant des paiements ponctuels ou en payant un abonnement mensuel. Les fans peuvent, en outre, verser des « pourboires » ou des dons qui ne donnent lieu à la fourniture d’aucun contenu en retour. |
21 |
Chaque créateur détermine le montant de l’abonnement mensuel, mais Fenix fixe le montant minimum exigible tant pour les abonnements que pour les « pourboires ». |
22 |
Fenix fournit non seulement la plateforme Only Fans, mais aussi le dispositif permettant d’effectuer les transactions financières. Fenix est responsable de la collecte et de la distribution des paiements effectués par les fans, en faisant appel à une entité tierce, prestataire de services de paiement. Fenix fixe également les conditions générales d’utilisation de la plateforme Only Fans. |
23 |
Fenix prélève 20 % de toute somme versée au profit d’un créateur auquel elle facture le montant correspondant. Sur la somme qu’elle prélève ainsi, Fenix applique la TVA à un taux de 20 %, qui figure sur les factures qu’elle émet. |
24 |
Tous les paiements apparaissent sur le relevé bancaire du fan concerné comme des paiements effectués au crédit de Fenix. |
25 |
Le 22 avril 2020, l’administration fiscale et douanière a adressé à Fenix des avis d’imposition concernant la TVA à acquitter pour les mois de juillet 2017 à janvier 2020 ainsi que pour le mois d’avril 2020, estimant que Fenix devait être considérée comme agissant en son nom propre en vertu de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011. Par conséquent, cette administration a considéré que Fenix devait acquitter la TVA sur l’intégralité de la somme reçue d’un fan et non pas seulement sur les 20 % de cette somme, qu’elle prélevait à titre de rémunération. |
26 |
Le 27 juillet 2020, Fenix a formé un recours devant le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni], qui est la juridiction de renvoi. Par ce recours, Fenix conteste, pour l’essentiel, la validité de la base juridique des avis d’imposition, à savoir l’article 9 bis du règlement d’exécution no 282/2011, ainsi que leurs montants respectifs. |
27 |
Devant la juridiction de renvoi, Fenix fait valoir que l’article 9 bis du règlement d’exécution no 282/2011 a pour effet de modifier et/ou de compléter l’article 28 de la directive TVA, en y ajoutant de nouvelles règles. L’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 irait en effet au-delà de l’article 28 de la directive TVA en prévoyant que le mandataire qui s’entremet dans une prestation de services par voie électronique est réputé avoir reçu et fourni lesdits services, alors même que l’identité du fournisseur, qui est le mandant, est connue. Une telle disposition priverait les parties de leur autonomie contractuelle et ferait abstraction de la réalité commerciale et économique. Elle modifierait fondamentalement la responsabilité du mandataire dans le domaine de la TVA, en transférant la charge fiscale sur les plateformes exploitées sur Internet, dès lors qu’il s’avérerait impossible, en pratique, de renverser la présomption établie à l’article 9 bis, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement d’exécution no 282/2011. Par conséquent, selon Fenix, cet article 9 bis excède les limites des compétences d’exécution conférées au Conseil en vertu de l’article 397 de la directive TVA. |
28 |
La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la validité de l’article 9 bis du règlement d’exécution no 282/2011. |
29 |
En se fondant sur l’arrêt du 15 octobre 2014, Parlement/Commission, C-65/13, EU:C:2014:2289), la juridiction de renvoi souligne qu’une disposition d’application d’un acte législatif n’est licite que si cette disposition respecte les objectifs généraux essentiels poursuivis par cet acte, qu’elle est nécessaire ou utile pour la mise en œuvre de celui-ci et qu’elle ne le modifie pas ni ne le complète, même dans ses éléments non essentiels. Or, si l’article 9 bis du règlement d’exécution no 282/2011 est censé constituer une mesure d’application de l’article 28 de la directive TVA, il pourrait néanmoins être soutenu que, en adoptant cet article 9 bis, le Conseil a méconnu la compétence d’exécution qui lui est conférée. |
30 |
En particulier, la juridiction de renvoi fait valoir que la présomption établie à l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 pourrait s’appliquer à tous les assujettis participant à la prestation de services, ce qui constituerait non pas une mesure technique, mais une modification radicale du cadre juridique résultant de l’article 28 de la directive TVA. En outre, la présomption établie à l’article 9 bis, paragraphe 1, de ce règlement d’exécution, et plus particulièrement celle figurant au troisième alinéa de cette disposition, semblerait supprimer l’obligation d’examiner concrètement la situation économique et commerciale de l’assujetti, qui résulte pourtant de l’article 28 de la directive TVA, tel que cela a été précisé par la Cour dans l’arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a. (C-464/10, EU:C:2011:489). |
31 |
Dans ces conditions, le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante : « L’article 9 bis du [règlement d’exécution no 282/2011] est-il invalide au motif qu’il va au-delà de la compétence ou de l’obligation d’exécution conférées au Conseil par l’article 397 de la [directive TVA] dans la mesure où il complète et/ou modifie l’article 28 de la[dite] directive […] ? » |
Sur la compétence de la Cour
32 |
Il résulte de l’article 86, paragraphe 2, de l’accord de retrait, lequel est entré en vigueur le 1er février 2020, que la Cour demeure compétente pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni présentées avant la fin de la période de transition fixée, conformément à l’article 126 de cet accord, au 31 décembre 2020. Par ailleurs, aux termes de l’article 86, paragraphe 3, dudit accord, une demande de décision préjudicielle est considérée comme ayant été présentée, au sens du paragraphe 2 de cet article, à la date à laquelle l’acte introductif d’instance a été enregistré par le greffe de la Cour. |
33 |
En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle, introduite par une juridiction du Royaume-Uni, a été enregistrée par le greffe de la Cour le 22 décembre 2020, soit avant la fin de la période de transition. |
34 |
Il s’ensuit que la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur cette demande. |
Sur la question préjudicielle
35 |
Par sa question, la juridiction de renvoi vise, en substance, à savoir si l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 est invalide dans la mesure où le Conseil aurait complété ou modifié l’article 28 de la directive TVA, excédant ainsi les compétences d’exécution qui lui sont conférées par l’article 397 de cette directive, en application de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. |
Observations liminaires
36 |
En premier lieu, il importe de rappeler que, selon l’article 291, paragraphe 1, TFUE, la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union incombe aux États membres. Toutefois, aux termes de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, lorsque des conditions uniformes d’exécution de tels actes de l’Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d’exécution à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment justifiés et dans les cas prévus aux articles 24 et 26 TUE, au Conseil. |
37 |
S’agissant plus spécifiquement de cette exigence de dûment justifier l’attribution d’une telle compétence d’exécution au Conseil, la Cour a déjà constaté que l’article 291, paragraphe 2, TFUE requiert d’exposer, de façon circonstanciée, les raisons pour lesquelles cette institution se voit confier l’adoption de mesures d’exécution d’un acte juridiquement contraignant de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C-440/14 P, EU:C:2016:128, points 49 et 50 ainsi que jurisprudence citée). |
38 |
En l’occurrence, l’article 397 de la directive TVA confère au Conseil un pouvoir d’exécution au sens de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. En effet, ledit article 397 dispose que le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête les mesures nécessaires à l’application de la directive TVA. |
39 |
À cet égard, il résulte des considérants 61 à 63 de la directive TVA que le législateur de l’Union a considéré que, d’une part, il était nécessaire que des mesures d’exécution de cette directive soient uniformes, notamment afin de pallier le problème de la double imposition des opérations transfrontalières pouvant résulter d’une application non uniforme, par les États membres, des règles afférant au lieu des opérations imposables, et, d’autre part, il convenait de réserver au Conseil la compétence d’adopter de telles mesures d’exécution en raison de l’incidence, parfois non négligeable, que ces mesures peuvent avoir sur les budgets des États membres. |
40 |
Ces motifs justifient l’habilitation du Conseil, qui résulte de l’article 397 de la directive TVA, à arrêter les mesures nécessaires à l’application de cette directive, parmi lesquelles figure l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, qui vise concrètement à assurer l’application uniforme de l’article 28 de ladite directive. |
41 |
En second lieu, quant aux limites des compétences d’exécution visées à l’article 291, paragraphe 2, TFUE, il convient de rappeler que l’adoption des règles essentielles d’une matière, telle que la TVA, est réservée à la compétence du législateur de l’Union. Il s’ensuit que les dispositions établissant les éléments essentiels d’une réglementation de base, dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres à ce législateur, ne sauraient être arrêtées dans des actes d’exécution, ni dans des actes délégués, visés à l’article 290 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C-363/14, EU:C:2015:579, point 46 et jurisprudence citée). |
42 |
Par ailleurs, l’identification des éléments d’une matière qui doivent être qualifiés d’essentiels doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et impose de prendre en compte les caractéristiques et les particularités du domaine concerné (arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C-363/14, EU:C:2015:579, point 47 et jurisprudence citée). |
43 |
Par conséquent, lorsque, en vertu d’un acte juridiquement contraignant de l’Union tel que la directive TVA, le Conseil dispose du pouvoir d’adopter des mesures d’exécution, telles que l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, cette institution ne saurait, dans le cadre d’un tel pouvoir, arrêter des règles essentielles en la matière, ces dernières devant être adoptées dans le respect de la procédure législative applicable, à savoir, en ce qui concerne la directive TVA, la procédure spéciale instituée à l’article 113 TFUE. |
44 |
En outre, la Cour a déjà jugé que, lorsque des compétences d’exécution sont conférées à la Commission, celle-ci est appelée à préciser le contenu de l’acte législatif en cause, afin d’assurer sa mise en œuvre dans des conditions uniformes dans tous les États membres. Ainsi, les dispositions d’un acte d’exécution adopté par la Commission doivent, d’une part, respecter les objectifs généraux essentiels poursuivis par l’acte législatif que ces dispositions sont censées préciser et, d’autre part, être nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre uniforme de celui-ci sans qu’elles le complètent ni le modifient, même dans ses éléments non essentiels (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2014, Parlement/Commission, C-65/13, EU:C:2014:2289, points 43 à 46 et jurisprudence citée). |
45 |
Ces considérations relatives aux limites des compétences d’exécution de la Commission sont également valables lorsque, en application de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, de telles compétences sont attribuées au Conseil. |
46 |
En effet, d’une part, il importe de relever que, en se référant tant à la Commission qu’au Conseil, l’article 291, paragraphe 2, TFUE n’opère aucune distinction quant à la nature et à la portée des compétences d’exécution en fonction de l’institution qui en est investie. |
47 |
D’autre part, il découle de l’économie des articles 290 et 291 TFUE que l’exercice par le Conseil des compétences d’exécution ne saurait être régi par des conditions différentes que celles qui s’imposent à la Commission lorsqu’elle est appelée à exercer son pouvoir d’exécution. |
48 |
En effet, en distinguant les actes d’exécution des actes délégués, que seule la Commission est habilitée à adopter dans les conditions prévues à l’article 290 TFUE et qui permettent à celle-ci de compléter ou de modifier certains éléments non essentiels d’un acte législatif de l’Union, les articles 290 et 291 TFUE garantissent que, lorsque le Conseil se voit confier par le législateur de l’Union l’adoption d’actes d’exécution, il ne dispose pas des pouvoirs réservés à la Commission dans le cadre de l’adoption d’actes délégués. Dès lors, le Conseil ne saurait, par des actes d’exécution, compléter ou modifier l’acte législatif, même dans ses éléments non essentiels. |
49 |
Il résulte de l’ensemble de ces considérations que les compétences d’exécution conférées à la Commission et au Conseil au titre de l’article 291, paragraphe 2, TFUE comportent, en substance, le pouvoir d’adopter des mesures qui sont nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre uniforme des dispositions de l’acte législatif sur le fondement duquel elles sont adoptées et qui se bornent à en préciser le contenu, dans le respect des objectifs généraux essentiels poursuivis par cet acte, sans le modifier ou le compléter, en ses éléments essentiels ou non essentiels. |
50 |
En particulier, il convient de considérer qu’une mesure d’exécution se limite à préciser les dispositions de l’acte législatif concerné lorsqu’elle vise uniquement, de manière générale ou pour certains cas particuliers, à clarifier la portée de ces dispositions ou à en déterminer les modalités d’application, à condition cependant que, ce faisant, cette mesure évite toute contradiction par rapport aux objectifs desdites dispositions et n’altère pas, d’une quelconque manière, le contenu normatif de cet acte ou le champ d’application de celui-ci. |
51 |
Dès lors, afin de déterminer si, en adoptant l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, le Conseil a respecté les limites des compétences d’exécution qui lui ont été conférées, en application de l’article 291, paragraphe 2, TFUE, par l’article 397 de la directive TVA, il convient de vérifier si cet article 9 bis, paragraphe 1, se borne à préciser le contenu de l’article 28 de cette directive, ce qui implique d’examiner si ledit article 9 bis, paragraphe 1, premièrement, respecte les objectifs généraux essentiels de ladite directive et, en particulier, ceux de son article 28, deuxièmement, est nécessaire ou utile pour faciliter la mise en œuvre uniforme du même article 28 et, troisièmement, ne complète ni ne modifie ce dernier d’une quelconque manière. |
Sur le respect par l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 des objectifs généraux essentiels poursuivis par la directive TVA
52 |
Il convient, en premier lieu, de rappeler que la directive TVA vise à établir un système commun de TVA. Aux fins d’une application uniforme de ce système, qui figure parmi les objectifs de cette directive, comme le souligne, notamment, son considérant 61, les notions qui définissent le champ d’application de cette dernière, telles que celles d’« opérations imposables », d’« assujettis » et d’« activités économiques », doivent recevoir une interprétation autonome et uniforme (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław, C-276/14, EU:C:2015:635, point 26 et jurisprudence citée). |
53 |
En vertu de l’article 28 de la directive TVA, qui relève du titre IV de cette directive, intitulé « Opérations imposables », lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre, mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question. |
54 |
Cet article, qui est libellé en des termes généraux, sans contenir de restrictions quant à son champ d’application ou à sa portée, et qui couvre donc toutes les catégories de services (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a., C-464/10, EU:C:2011:489, point 36), crée la fiction juridique de deux prestations de services identiques fournies consécutivement, en vertu de laquelle l’opérateur, qui s’entremet dans une prestation de services et qui constitue le commissionnaire, est réputé avoir, dans un premier temps, reçu les services en question de l’opérateur pour le compte duquel il agit, qui constitue le commettant, avant de fournir, dans un second temps, personnellement ces services à un client (arrêt du 21 janvier 2021, UCMR – ADA, C-501/19, EU:C:2021:50, point 43 et jurisprudence citée). |
55 |
L’article 28 de la directive TVA établit ainsi que l’assujetti qui, dans le cadre d’une prestation de services, agit en qualité d’intermédiaire en son nom propre, mais pour le compte d’autrui, est présumé être le prestataire de ces services. |
56 |
En second lieu, il ressort des considérants 2, 4 et 5 du règlement d’exécution no 282/2011 que, dans la mesure où les règles énoncées dans la directive TVA sont, dans certains cas, sujettes à des divergences d’application entre les États membres, incompatibles avec le bon fonctionnement du marché intérieur, l’objectif de ce règlement d’exécution est de garantir une application uniforme du système actuel de TVA, en adoptant des dispositions d’exécution de la directive TVA en ce qui concerne, notamment, les prestations de services, lesquelles dispositions doivent répondre à certaines questions d’application et être conçues pour apporter dans toute l’Union un traitement uniforme des seuls cas particuliers qui y sont réglementés. |
57 |
S’agissant, plus spécifiquement, de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, introduit par le règlement d’exécution no 1042/2013, il résulte des considérants 1 et 4 de ce dernier règlement que, eu égard à l’évolution qui, dans le cadre de la directive TVA, caractérise notamment l’imposition des services fournis par voie électronique à une personne non assujettie, qui sont, à compter du 1er janvier 2015, imposables dans l’État membre où le preneur est établi, a son domicile ou a sa résidence habituelle, quel que soit le lieu d’établissement de l’assujetti prestataire de ces services, le Conseil a estimé nécessaire de préciser qui est le prestataire de services aux fins de la TVA lorsque lesdits services sont fournis par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail. |
58 |
C’est dans ce contexte que l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 indique, « aux fins de l’application de l’article 28 de la directive [TVA] » et pour le cas où des services par voie électronique sont fournis par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail, tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications, dans quelles conditions il convient de considérer que l’assujetti, qui s’entremet dans cette prestation, agit en son nom propre, mais pour le compte du fournisseur. |
59 |
Ce faisant, l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 vise à assurer, à compter du 1er janvier 2015, une application uniforme de la présomption établie à l’article 28 de la directive TVA à l’égard de tels assujettis et, ainsi, du système commun de TVA, instauré par cette directive, aux services visés à cet article 9 bis, paragraphe 1, qui relèvent du champ d’application de cet article 28, celui-ci couvrant, ainsi qu’il résulte du point 54 du présent arrêt, toutes les catégories de services. |
60 |
Il s’ensuit que les dispositions de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 respectent les objectifs généraux essentiels de la directive TVA, et, en particulier, ceux de son article 28. |
Sur la nécessité ou l’utilité de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 pour la mise en œuvre uniforme de l’article 28 de la directive TVA
61 |
Il convient de constater qu’il résulte notamment de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission de règlement du Conseil modifiant le règlement d’exécution no 282/2011 en ce qui concerne le lieu de prestation des services [COM(2012) 763 final], à l’origine de l’introduction de l’article 9 bis dans ce règlement d’exécution, que, eu égard aux changements opérés dans la directive TVA à compter du 1er janvier 2015 s’agissant du lieu d’imposition de certaines prestations de services, dont les services de télécommunications et les services électroniques, il était devenu essentiel, afin de garantir la sécurité juridique des prestataires de services et d’éviter la double imposition ou la non-imposition qui aurait résulté de modalités de mise en œuvre divergentes entre les États membres, de modifier ledit règlement d’exécution pour établir la manière dont les dispositions concernées de la directive TVA devaient être appliquées. |
62 |
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 est utile, voire même nécessaire, pour la mise en œuvre uniforme de l’article 28 de la directive TVA. |
Sur le respect par l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 de l’interdiction de compléter ou de modifier le contenu de l’article 28 de la directive TVA
63 |
Selon Fenix, les trois alinéas de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 complètent ou modifient l’article 28 de la directive TVA, de sorte qu’ils méconnaissent les limites du pouvoir d’exécution reconnu au Conseil. |
64 |
Tout d’abord, en ce qui concerne le premier alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, Fenix considère, d’une part, que le législateur de l’Union n’a pas entendu réglementer, à l’article 28 de la directive TVA, la question de savoir dans quels cas un assujetti qui s’entremet dans une prestation de services agit en son nom propre, mais pour le compte d’autrui, ce que le Conseil ne saurait pallier, sauf à outrepasser ses compétences, par un acte d’exécution. D’autre part, selon Fenix, la présomption établie au premier alinéa de cet article 9 bis, paragraphe 1, s’appliquerait sans égard à la réalité contractuelle et commerciale, au mépris de la jurisprudence de la Cour, et modifierait radicalement la responsabilité du commissionnaire dans le domaine de la TVA. |
65 |
À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 9 bis, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement d’exécution no 282/2011, l’assujetti qui s’entremet dans une prestation de services fournis par voie électronique par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications est « présumé agir, en son nom propre, mais pour le compte du fournisseur de ces services, à moins que ledit fournisseur ne soit explicitement reconnu comme étant le prestataire par ledit assujetti et que cela ressorte des accords contractuels entre les parties ». |
66 |
Or, il ne ressort aucunement de la directive TVA que le législateur de l’Union aurait renoncé à assurer, le cas échéant, par l’attribution de compétences d’exécution au Conseil en vertu de l’article 397 de cette directive, une application uniforme des conditions visées à l’article 28 de ladite directive, en particulier celle selon laquelle, pour pouvoir être considéré comme étant le prestataire d’un service, l’assujetti s’entremettant dans cette prestation doit agir en son nom propre, mais pour le compte d’autrui. Il en est d’autant plus ainsi que cette condition présente un caractère crucial pour la mise en œuvre de la présomption établie à l’article 28 de la directive TVA et, par conséquent, pour l’application uniforme du système commun de TVA, qui figure, ainsi qu’il a été rappelé au point 52 du présent arrêt, parmi les objectifs de cette directive. |
67 |
S’agissant, plus spécifiquement, de la question de savoir si l’article 9 bis, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement d’exécution no 282/2011, tel que rédigé par le Conseil, complète ou modifie le contenu de l’article 28 de la directive TVA, il y a lieu de relever, premièrement, que la circonstance que cet article 9 bis, paragraphe 1, ne concerne, ainsi qu’il a été relevé au point 59 du présent arrêt, que certains des services qui sont visés à l’article 28 de la directive TVA, et donc certains cas particuliers, n’empêche nullement, ainsi qu’il ressort du point 50 du présent arrêt, de considérer ledit article 9 bis, paragraphe 1, comme une simple précision du contenu de cet article 28. |
68 |
Deuxièmement, dans la mesure où l’article 9 bis, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement d’exécution no 282/2011 prévoit que l’assujetti, qui s’entremet dans la prestation de services fournis par voie électronique est « présumé agir, en son nom propre mais pour le compte du fournisseur de ces services », il y a lieu de constater que cette disposition se limite à préciser les cas dans lesquels est réputée comme étant satisfaite la condition relative au champ d’application personnel de l’article 28 de la directive TVA, nécessaire à l’application de la présomption visée à celui-ci, sans compléter ou modifier le contenu dudit article. |
69 |
En particulier, la présomption qui figure à l’article 9 bis, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement d’exécution no 282/2011 s’inscrit pleinement dans la logique qui sous-tend l’article 28 de la directive TVA. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 75 de ses conclusions, même avant l’adoption de cet article 9 bis, l’article 28 de la directive TVA avait pour objet de transférer la responsabilité en matière de TVA en ce qui concerne les prestations de services dans lesquelles s’entremet un assujetti qui agit en son nom propre, mais pour le compte d’autrui. |
70 |
Partant, la présomption qui figure à l’article 9 bis, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement d’exécution no 282/2011 ne modifie pas la nature de celle établie à l’article 28 de la directive TVA, mais se limite, en l’intégrant pleinement, à la concrétiser dans le contexte spécifique des services fournis par voie électronique par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications. |
71 |
Troisièmement, en ajoutant « à moins que ledit fournisseur ne soit explicitement reconnu comme étant le prestataire par ledit assujetti et que cela ressorte des accords contractuels entre les parties », le premier alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 permet de renverser cette présomption, en tenant compte de la réalité contractuelle des relations entre les intervenants dans la chaîne de transactions économiques. |
72 |
À cet égard, il y a lieu de rappeler que les accords contractuels reflètent, en principe, la réalité économique et commerciale des opérations, dont la prise en compte constitue un critère fondamental pour l’application du système commun de TVA, de sorte que les stipulations contractuelles pertinentes représentent un élément à prendre en considération lorsqu’il s’agit d’identifier le prestataire et le bénéficiaire dans une opération de « prestation de services », au sens des dispositions de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêts du 20 juin 2013, Newey, C-653/11, EU:C:2013:409, points 42 et 43, ainsi que du 24 février 2022, Suzlon Wind Energy Portugal, C-605/20, EU:C:2022:116, point 58 et jurisprudence citée). |
73 |
C’est ainsi que la Cour a déjà constaté que la condition relative au fait que l’assujetti doit agir en son nom propre, mais pour le compte d’autrui, figurant à l’article 28 de la directive TVA, doit être vérifiée, notamment, sur la base des relations contractuelles entre les parties (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a., C-464/10, EU:C:2011:489, point 42). |
74 |
Il s’ensuit que, en prévoyant, à l’article 9 bis, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement d’exécution no 282/2011, que la présomption selon laquelle l’assujetti visé à cette disposition agit en son nom propre, mais pour le compte du fournisseur des services en question peut être renversée s’il ressort des accords contractuels entre les parties que ce dernier est explicitement reconnu comme étant le prestataire de services, le Conseil s’est limité à préciser le contenu normatif établi par l’article 28 de la directive TVA, tel qu’interprété par la Cour, aux fins d’assurer la mise en œuvre de cet article dans des conditions uniformes dans l’Union. |
75 |
Ensuite, s’agissant du deuxième alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, il y a lieu de relever que, selon cette disposition, deux conditions doivent être satisfaites « afin de pouvoir considérer le fournisseur de services fournis par voie électronique comme étant explicitement désigné comme prestataire de ces services par l’assujetti ». D’une part, la facture émise ou mise à disposition par chaque assujetti participant à la fourniture des services fournis par voie électronique doit préciser ces services ainsi que le prestataire de ceux-ci. D’autre part, la facture ou le reçu émis à l’intention du preneur de services ou mis à sa disposition doit préciser les services fournis par voie électronique et le prestataire de ceux-ci. |
76 |
Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 76 de ses conclusions, cette disposition entretient une relation étroite avec le premier alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 et s’inscrit dans la même logique que celui-ci, en indiquant, de façon plus détaillée, les conditions, se rapportant à la facturation, au vu desquelles le fournisseur de services par voie électronique est explicitement reconnu par l’assujetti en tant que prestataire de ces services. |
77 |
Or, les indications devant figurer, en vertu de l’article 226, points 5 et 6, de la directive TVA, sur la facture, document dont, conformément à l’article 220, point 1, de cette directive, tout assujetti doit s’assurer qu’il a été dûment émis pour toute prestation de services qu’il effectue, notamment, pour un autre assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Evita-K, C-78/12, EU:C:2013:486, point 49 et jurisprudence citée), font partie des éléments qui relèvent des rapports commerciaux et contractuels entre les différentes parties et qui sont censés refléter la réalité économique et commerciale des opérations en cause. Ces indications peuvent ainsi permettre d’apprécier les rapports que les différents opérateurs, intervenant dans le cadre de la prestation de services fournis par voie électronique, entretiennent entre eux. |
78 |
Partant, le deuxième alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 se limite à exposer les éléments permettant d’apprécier de manière concrète, eu égard à la nécessité de prendre en compte la réalité économique et commerciale des opérations, les situations et les conditions dans lesquelles la présomption, qui résulte du premier alinéa de cette disposition conformément à celle posée à l’article 28 de la directive TVA, peut être renversée. |
79 |
Se rapportant, dès lors, aux éléments de preuve permettant le renversement de la présomption visée au premier alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, dont l’appréciation concrète appartient aux autorités fiscales et aux juridictions des États membres, le deuxième alinéa de cet article 9 bis, paragraphe 1, ne saurait, en tant que tel et eu égard aux constatations figurant aux points 71 à 74 du présent arrêt, être considéré comme complétant ou modifiant le cadre normatif établi à l’article 28 de la directive TVA. |
80 |
Enfin, quant au troisième alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, il convient de rappeler que, conformément à celui-ci, « aux fins de [ce] paragraphe [...], un assujetti, qui, en ce qui concerne la fourniture de services par voie électronique, autorise la facturation au preneur ou la fourniture des services, ou fixe les conditions générales de la fourniture, n’est pas autorisé à explicitement désigner une autre personne comme étant le prestataire de ces services ». |
81 |
Il résulte ainsi de ce troisième alinéa que, lorsque l’assujetti se trouve dans l’une des trois hypothèses que ledit alinéa vise, la présomption figurant au premier alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 ne peut être renversée et devient donc irréfragable. En d’autres termes, dans le cas de services fournis par voie électronique par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunications, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications, l’assujetti qui s’entremet dans cette prestation est toujours présumé agir en son nom propre, mais pour le compte du fournisseur de ces services et, partant, réputé comme étant lui-même le prestataire desdits services, lorsqu’il autorise la facturation au preneur ou la fourniture de ces mêmes services ou fixe les conditions générales de cette fourniture. |
82 |
Or, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient Fenix, le Conseil a tenu compte, en adoptant le troisième alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, de ce règlement d’exécution, de la réalité économique et commerciale des opérations, dans le contexte spécifique de la prestation de services fournis par voie électronique par l’intermédiaire d’un réseau de télécommunication, d’une interface ou d’un portail tel qu’une plateforme de téléchargement pour des applications, ainsi que le requiert, conformément à la jurisprudence citée au point 73 du présent arrêt, l’article 28 de la directive TVA. |
83 |
En effet, lorsqu’un assujetti, qui s’entremet dans la fourniture d’un service par voie électronique, en exploitant, par exemple, une plateforme de réseau social en ligne, a le pouvoir d’autoriser la fourniture de ce service, ou la facturation de celle-ci ou encore de fixer les conditions générales d’une telle fourniture, cet assujetti dispose de la possibilité de définir, de manière unilatérale, des éléments essentiels afférents à la prestation, à savoir sa réalisation et le moment auquel celle-ci aura lieu, ou les conditions selon lesquelles la contrepartie sera exigible, ou bien encore les règles formant le cadre général de cette prestation. Dans de telles circonstances, et eu égard à la réalité économique et commerciale reflétée par celles-ci, l’assujetti doit être considéré comme étant le prestataire de services, au titre de l’article 28 de la directive TVA. |
84 |
Il est donc clairement conforme à l’article 28 de la directive TVA que, dans les circonstances énumérées au troisième alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, un tel assujetti ne puisse échapper à la présomption établie à cet article 28, en désignant contractuellement un autre assujetti comme étant le prestataire des services concernés. Cette dernière disposition ne saurait en effet tolérer des stipulations contractuelles qui ne refléteraient pas la réalité économique et commerciale. |
85 |
Le fait que les circonstances prévues au troisième alinéa de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 ne soient pas mentionnées à l’article 28 de la directive TVA n’est pas susceptible d’infirmer cette analyse. |
86 |
En effet, compte tenu des considérations exposées aux points 50 et 82 à 84 du présent arrêt, il suffit de relever que, en énumérant expressément ces circonstances, l’article 9 bis, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement d’exécution no 282/2011 n’altère pas le contenu normatif institué par l’article 28 de la directive TVA, mais se limite, au contraire, à concrétiser l’application de celui-ci pour le cas particulier des services visés à l’article 9 bis, paragraphe 1, de ce règlement d’exécution. |
87 |
Pour des motifs analogues, ne saurait non plus être retenu l’argument avancé par Fenix selon lequel il serait contraire à l’article 28 de la directive TVA de traiter l’assujetti visé à cet article comme étant le prestataire de services alors que le client final connaît l’existence du mandat entre le commettant et le commissionnaire, ainsi que l’identité de ce commettant. |
88 |
À cet égard, il est vrai que, pour que l’article 28 de la directive TVA puisse trouver à s’appliquer, il doit exister un mandat en exécution duquel le commissionnaire intervient, pour le compte du commettant, dans la prestation de services (arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara, C-734/19, EU:C:2020:919, point 51). Toutefois, même à supposer que, malgré la complexité des chaînes de transactions qui peut caractériser la fourniture des services par voie électronique, le client final soit, dans certains cas, en mesure de connaître l’existence du mandat et l’identité du commettant, ces circonstances ne sont pas à elles seules suffisantes pour exclure que l’assujetti, s’entremettant dans la prestation de services, agit en son nom propre, mais pour le compte d’autrui, au sens de l’article 28 de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a., C-464/10, EU:C:2011:489, point 43). En effet, ce sont avant tout les pouvoirs dont dispose cet assujetti dans le cadre de la prestation dans laquelle il s’entremet qui importent. |
89 |
Dans ces conditions, tout comme les deux premiers alinéas de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, le troisième alinéa de cette disposition ne saurait être considéré comme complétant ou modifiant l’article 28 de la directive TVA. |
90 |
Par conséquent, en adoptant l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, afin d’assurer une application uniforme dans l’Union de l’article 28 de la directive TVA pour les services visés à cette première disposition, le Conseil n’a pas outrepassé les compétences d’exécution qui lui ont été conférées par l’article 397 de cette directive, en application de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. |
91 |
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’examen de celle-ci n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011, au regard des articles 28 et 397 de la directive TVA ainsi que de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. |
Sur les dépens
92 |
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit : |
L’examen de la question préjudicielle n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 9 bis, paragraphe 1, du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) no 1042/2013 du Conseil, du 7 octobre 2013, au regard des articles 28 et 397 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive (UE) 2017/2455 du Conseil, du 5 décembre 2017, ainsi que de l’article 291, paragraphe 2, TFUE. |
Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.