ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
1er août 2022 (*)
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Sixième directive 77/388/CEE – Article 2, paragraphe 1 – Champ d’application – Opérations imposables – Article 9, paragraphe 2, sous b) – Lieu des prestations de transport – Promenades touristiques sur la Moselle – Rivière soumise au statut de condominium »
Dans l’affaire C-294/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Luxembourg), par décision du 6 mai 2021, parvenue à la Cour le 10 mai 2021, dans la procédure
État luxembourgeois,
Administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA
contre
Navitours Sàrl,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. L. Bay Larsen, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, Mme I. Ziemele, MM. P. G. Xuereb et A. Kumin (rapporteur), juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Navitours Sàrl, par Me C. Kaufhold, avocat,
– pour le gouvernement luxembourgeois, par MM. A. Germeaux et T. Uri, en qualité d’agents, assistés de Me F. Kremer, avocat,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et P.-L. Krüger, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme A. Armenia et M. V. Uher, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 avril 2022,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991 (JO 1991, L 376, p. 1) (ci-après la « sixième directive »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’État luxembourgeois ainsi que l’administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA (Luxembourg) (ci-après l’« administration fiscale luxembourgeoise ») à Navitours Sàrl au sujet du traitement, au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), des prestations de navigation touristique effectuées par cette société sur la Moselle.
Le cadre juridique
Le droit international
3 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du traité entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne sur le tracé de la frontière commune entre les deux États, signé à Luxembourg le 19 décembre 1984 (ci-après le « traité du 19 décembre 1984 ») :
« Partout où la Moselle, la Sûre et l’Our forment la frontière d’après le Traité du 26 juin 1816, elles constituent un territoire commun sous souveraineté commune des deux États contractants. »
4 L’article 5, paragraphe 1, de ce traité prévoit :
« Les États contractants règlent les questions concernant le droit applicable sur le territoire commun sous souveraineté commune par un arrangement additionnel. »
Le droit de l’Union
5 La sixième directive a été abrogée et remplacée, à compter du 1er janvier 2007, par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits du litige au principal, celui-ci demeure régi par la sixième directive.
6 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, étaient soumises à la TVA « les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ».
7 L’article 3, paragraphes 1 à 3, de ladite directive prévoyait :
« 1. Au sens de la présente directive, on entend par :
“territoire d’un État membre” : l’intérieur du pays, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, aux paragraphes 2 et 3,
[...]
2. Aux fins de l’application de la présente directive, l’“intérieur du pays” correspond au champ d’application du traité instituant la Communauté économique européenne, tel qu’il est défini, pour chaque État membre, à l’article 227.
3. Sont exclus de l’intérieur du pays, les territoires nationaux suivants :
– [R]épublique fédérale d’Allemagne :
…île d’Helgoland,
…territoire de Büsingen,
[...] »
8 L’article 9 de la sixième directive disposait :
« 1. Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.
2. Toutefois :
[...]
b) le lieu des prestations de transport est l’endroit où s’effectue le transport en fonction des distances parcourues ;
[...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
9 La société luxembourgeoise Navitours offre des services de navigation touristique sur le tronçon de la Moselle sur lequel la République fédérale d’Allemagne et le Grand-Duché de Luxembourg exercent, en application de l’article 1er du traité du 19 décembre 1984, leur souveraineté en commun (ci-après le « condominium germano-luxembourgeois »). En raison de ce statut, ce commerce avait, pendant de longues années, été considéré par l’administration fiscale luxembourgeoise comme ne tombant pas dans le champ d’application de la TVA, de sorte qu’elle n’avait pas sollicité le paiement de cette taxe sur la vente des billets de transport de personnes par Navitours.
10 Le 5 août 2015, cette administration fiscale a émis des bulletins de taxation d’office relatifs au chiffre d’affaires de Navitours pour les années 2004 et 2005, par lesquels les prestations de transport effectuées par cette société ont été considérées comme étant soumises à la TVA.
11 Ces bulletins de taxation d’office faisaient suite à un arrêt de la Cour d’appel (Luxembourg), du 10 juillet 2014, rendu dans le cadre d’une procédure judiciaire opposant Navitours à ladite administration fiscale et portant sur le traitement fiscal de l’acquisition d’un navire par cette société. Selon cet arrêt, la TVA sur les prestations de transport de personnes dans le condominium germano-luxembourgeois peut être perçue soit par le Grand-Duché de Luxembourg soit par la République fédérale d’Allemagne. En l’absence d’imposition par l’administration fiscale allemande, il n’y aurait aucun risque de double imposition.
12 La réclamation formée par Navitours contre les bulletins de taxation du 5 août 2015 ayant été rejetée, cette société a saisi le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg) d’un recours en annulation.
13 Par un jugement du 23 mai 2018, cette juridiction a fait droit à ce recours en jugeant que, dans la mesure où les prestations de transport en cause étaient localisées dans le condominium germano-luxembourgeois, tant la République fédérale d’Allemagne que le Grand-Duché de Luxembourg étaient potentiellement susceptibles de procéder à la perception de la TVA, mais que la localisation particulière des activités de Navitours exigeait la mise en place d’un mécanisme permettant d’assurer la perception de la TVA tout en évitant une double taxation. En 1’absence d’un tel mécanisme, la question du rattachement fiscal à un État déterminé des activités exercées par Navitours ne se trouvait pas réglée, de sorte que l’administration fiscale luxembourgeoise n’était pas fondée à taxer le chiffre d’affaires afférent de cette société.
14 L’État luxembourgeois et l’administration fiscale luxembourgeoise ayant interjeté appel de ce jugement, la Cour d’appel a confirmé celui-ci par un arrêt du 11 décembre 2019, contre lequel ces parties se sont pourvues en cassation.
15 Dans le cadre de leur pourvoi, l’État luxembourgeois et l’administration fiscale luxembourgeoise soutiennent que la sixième directive, et plus spécifiquement son article 2, s’appliquent aux prestations de transport en cause.
16 Nourrissant des doutes quant à l’interprétation de cette directive, la Cour de cassation (Luxembourg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 2, paragraphe 1, de la [sixième directive] [...] et/ou l’article 9, paragraphe 2, sous b) de [cette] directive [...] s’applique(nt)-il(s) et conduit(conduisent)-il(s) à une imposition à la TVA au Luxembourg des prestations de transports de personnes effectuées par un prestataire établi au Luxembourg, lorsque ces prestations sont effectuées à l’intérieur d’un condominium, tel que ce condominium est défini par le [traité du 19 décembre 1984], comme étant un territoire commun sous souveraineté commune du Grand-Duché de Luxembourg et de la République fédérale d’Allemagne et par rapport auquel il n’existe, en matière de perception de la TVA sur les prestations de service de transport, pas d’accord entre les deux États tel que prévu par l’article 5, paragraphe 1, [de ce] traité ? »
Sur la question préjudicielle
17 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que peuvent être imposées par un État membre les prestations de navigation touristique effectuées, par un prestataire établi dans cet État membre, à l’intérieur d’un territoire constituant, en vertu d’un traité international conclu entre celui-ci et un autre État membre, un territoire commun sous souveraineté commune de ces États membres.
18 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.
19 S’agissant du lieu d’une prestation de services, l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive dispose que celui-ci est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.
20 Toutefois, conformément au paragraphe 2, sous b), de cet article 9, le lieu des prestations de transport est l’endroit où s’effectue le transport en fonction des distances parcourues.
21 En l’occurrence, il est constant que les prestations en cause au principal sont des « prestations de services », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, et qu’elles sont effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.
22 Cependant, la juridiction de renvoi, en partant de la prémisse selon laquelle les prestations en cause au principal constituent des « prestations de transport », au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive, dont le lieu est le condominium germano-luxembourgeois, fait part de ses doutes quant au point de savoir si les prestations de transport effectuées dans ce condominium peuvent être imposées par le Grand-Duché de Luxembourg dès lors qu’il n’est pas certain qu’elles puissent être considérées comme étant effectuées « à l’intérieur du pays », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive.
23 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que les prestations en cause au principal consistent, notamment, en l’organisation de promenades touristiques en bateau qui se terminent au même endroit que celui où elles ont commencé. Dans ces conditions, il importe d’examiner, dans un premier temps, si de telles prestations relèvent effectivement de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive en tant que prestations de transport.
24 À cet égard, il convient de relever que la notion de « prestations de transport », figurant à cette disposition, n’est pas définie par la sixième directive.
25 Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêt du 1er octobre 2020, Entoma, C-526/19, EU:C:2020:769, point 29 et jurisprudence citée).
26 S’agissant du sens habituel de l’expression « prestations de transport » dans le langage courant, il y a lieu de relever que celle-ci vise les prestations consistant à porter d’un lieu à un autre des personnes ou des biens. Or, cette notion est suffisamment large pour inclure des prestations dont l’élément essentiel consiste à déplacer des personnes sur des distances non négligeables, alors même que cette prestation commence et se termine en un même endroit et que l’objectif de celle-ci est de nature touristique.
27 Une telle interprétation est corroborée par l’objectif poursuivi par l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive.
28 Selon la jurisprudence de la Cour, l’objectif des dispositions de l’article 9, paragraphe 1 et 2, de la sixième directive est d’éviter, d’une part, des conflits de compétence susceptibles de conduire à des doubles impositions et, d’autre part, la non-imposition de recettes (arrêt du 8 mai 2019, Geelen, C-568/17, EU:C:2019:388, point 23 et jurisprudence citée).
29 S’agissant, plus spécifiquement, de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive, la Cour a jugé que la règle énoncée à cette disposition s’impose du fait que la nature même de l’exécution de cette prestation de services spécifique que constitue le transport, susceptible de s’accomplir sur le territoire de plusieurs États membres, exige un critère différent qui doit essentiellement permettre de délimiter les compétences respectives des différents États membres pour les besoins de l’imposition. Cette règle de rattachement spécifique pour les prestations de transport vise ainsi à assurer que chaque État membre impose ces prestations pour les parties de trajet accomplies sur son territoire (arrêt du 6 novembre 1997, Reisebüro Binder, C-116/96, EU:C:1997:520, points 13 et 14).
30 Or, ces considérations valent également lorsqu’une prestation dont l’élément essentiel consiste à déplacer des personnes commence et se termine en un même endroit et que l’objectif de cette prestation est de nature touristique.
31 L’interprétation exposée au point 26 du présent arrêt n’est d’ailleurs pas remise en cause par le fait que, dans son arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen (C-340/14 et C-341/14, EU:C:2015:641), la Cour a jugé qu’une activité consistant à fournir, à titre onéreux, un service de prise en charge de passagers sur un bateau en vue de leur faire visiter une ville par voie d’eau à des fins évènementielles, ne constitue pas un service dans le « domaine des transports », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), exclu du champ d’application de celle-ci.
32 Il suffit de noter, à cet égard, que, comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 21 à 23 de ses conclusions, compte tenu des finalités différentes de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive, d’une part, et de l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123, d’autre part, les notions de « prestations de transport », au sens de la première de ces dispositions, et de « services dans le domaine des transports », au sens de la seconde de ces dispositions ne se confondent pas. Ainsi, il ne saurait être considéré que des services qui ne relèvent pas de la seconde de ces notions sont nécessairement exclus de la portée de la première des mêmes notions.
33 Dès lors, des prestations telles que celles en cause au principal, consistant, notamment, en l’organisation de promenades touristiques en bateau qui se terminent au même endroit que celui où elles ont commencé, relèvent de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive en tant que prestations de transport.
34 Partant, dès lors que, comme il a été rappelé au point 20 du présent arrêt, le lieu des prestations de transport est, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive, l’endroit où s’effectue le transport en fonction des distances parcourues, il convient de considérer que le lieu des prestations en cause au principal est le condominium germano-luxembourgeois.
35 Il y a lieu, ensuite, de déterminer si les prestations de transport effectuées dans ce condominium, à titre onéreux et par un assujetti agissant en tant que tel, sont soumises à la TVA car elles sont effectuées « à l’intérieur du pays », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive.
36 L’expression « intérieur du pays » est définie à l’article 3, paragraphe 2, de la sixième directive et correspond « au champ d’application du traité [CEE], tel qu’il est défini, pour chaque État membre, à l’article 227 ». En outre, le paragraphe 3 de cet article 3 énumère les territoires nationaux qui sont exclus de l’intérieur du pays.
37 À cet égard, il y a lieu de relever, d’une part, que l’article 299 CE, qui a succédé à l’article 227 du traité CEE, dispose, à son paragraphe 1, que le traité s’applique, notamment, à la République fédérale d’Allemagne et au Grand-Duché de Luxembourg. Les paragraphes 2 à 6 de cet article 299 prévoient certaines particularités et dérogations, qui ne concernent toutefois pas ces deux États membres. D’autre part, l’article 3, paragraphe 3, de la sixième directive ne fait pas mention, parmi les territoires nationaux exclus de l’intérieur du pays, du condominium germano-luxembourgeois.
38 En outre, dans la mesure où la Cour a jugé, dans ce contexte, que le régime de la sixième directive s’applique obligatoirement et impérativement à l’ensemble du territoire national des États membres et que la détermination de l’extension et des limites de ce territoire appartient à chacun des États membres, en conformité avec les règles du droit international public (arrêt du 29 mars 2007, Aktiebolaget NN, C-111/05, EU:C:2007:195, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée), il y a encore lieu de relever que, dans ses observations, les gouvernements allemand et luxembourgeois ont tous deux fait valoir que, tant pour la République fédérale d’Allemagne que pour le Grand-Duché de Luxembourg, le territoire du condominium germano-luxembourgeois se situe bien à « l’intérieur du pays », au sens de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 3, paragraphe 2, de la sixième directive.
39 Dans ces conditions, les prestations de transport effectuées dans le condominium germano-luxembourgeois, à titre onéreux et par un assujetti agissant en tant que tel, sont effectuées « à l’intérieur du pays », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la sixième directive, et sont, dès lors, soumises à la TVA.
40 Par ailleurs, compte tenu du statut d’un condominium tel que celui en cause au principal en tant que territoire commun sous souveraineté commune de deux États membres, et en l’absence de toute indication spécifique dans la sixième directive sur les modalités d’imposition des prestations dont le lieu est un tel condominium, ces prestations sont, en principe, susceptibles d’être imposées par chacun de ces deux États membres.
41 Cela étant, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 68 et 69 de ses conclusions, et comme la Cour l’a déjà jugé, la double imposition des mêmes opérations est contraire au principe de neutralité fiscale, inhérent au système commun de la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2003, Cookies World, C-155/01, EU:C:2003:449, point 60, ainsi que du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International, C-427/16 et C-428/16, EU:C:2017:890, point 66 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi, l’imposition de prestations effectuées dans un tel condominium par l’un des États membres qui se partagent la souveraineté sur ce territoire a pour conséquence d’empêcher l’autre État membre d’imposer à son tour ces mêmes prestations. Cela vaut sans préjudice de la possibilité pour ces États membres de régler d’une autre manière l’imposition des prestations effectuées dans ce condominium par voie d’un accord, tel que prévu en l’occurrence par l’article 5, paragraphe 1, du traité du 19 décembre 1984, pourvu que soient évitées la non-imposition de recettes et les doubles impositions.
42 Le gouvernement allemand fait cependant valoir que les principes généraux du droit international, qui limitent, selon lui, l’exercice unilatéral de la souveraineté au sein d’un condominium tel que le condominium germano-luxembourgeois et le subordonnent à l’accord de l’autre État impliqué, doivent être respectés pour l’application et l’interprétation de la sixième directive. Ainsi, l’exercice, par le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne, de leurs compétences en matière de TVA sur le territoire relevant de leur souveraineté commune serait impossible sans un arrangement conclu sur la base de l’article 5 du traité du 19 décembre 1984. En outre, selon le gouvernement allemand, cette directive ne s’oppose pas à ce que les États membres concernés renoncent provisoirement, conformément à ces principes, à une imposition.
43 À cet égard, il convient de rappeler que la TVA est, en principe, perçue sur chaque prestation effectuée à titre onéreux par un assujetti, des dérogations à ce principe général étant d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2021, Dubrovin & Tröger – Aquatics, C-373/19, EU:C:2021:873, point 22 ainsi que jurisprudence citée). Chaque État membre a l’obligation de prendre toutes les mesures législatives et administratives propres à garantir la perception de l’intégralité de la TVA due sur son territoire (arrêt du 21 novembre 2018, Fontana, C-648/16, EU:C:2018:932, point 33 et jurisprudence citée).
44 Or, accepter l’argumentation du gouvernement allemand exposée au point 42 du présent arrêt impliquerait de permettre aux États membres de créer un territoire dans lequel les prestations qui y sont fournies échapperaient à toute imposition à la TVA alors même que les États membres concernés considèrent ce territoire comme se trouvant à « l’intérieur du pays », au sens du droit de l’Union en matière de TVA, et que ledit territoire n’est soumis à aucune dérogation.
45 Accepter cette argumentation conduirait également à méconnaître le principe de neutralité fiscale, selon lequel des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations ne doivent pas être traités différemment en matière de perception de la TVA (arrêt du 16 mars 2017, Identi, C-493/15, EU:C:2017:219, point 18 et jurisprudence citée), dès lors que la TVA ne serait pas perçue sur des prestations telles que celles en cause au principal alors que les mêmes prestations, fournies ailleurs par d’autres opérateurs, sont bien soumises à la TVA.
46 Partant, l’absence, en l’occurrence, d’un accord en matière de perception de la TVA entre la République fédérale d’Allemagne et le Grand-Duché de Luxembourg s’agissant du condominium germano-luxembourgeois ne saurait faire obstacle à l’imposition des prestations effectuées à l’intérieur de ce condominium.
47 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 2, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que doivent être imposées par un État membre les prestations de navigation touristique effectuées, par un prestataire établi dans cet État membre, à l’intérieur d’un territoire qui constitue, en vertu d’un traité international conclu entre celui-ci et un autre État membre, un territoire commun sous souveraineté commune de ces deux États membres et qui n’est soumis à aucune dérogation prévue par le droit de l’Union, pour autant que ces prestations n’ont pas été déjà imposées par cet autre État membre. L’imposition, par l’un des États membres, de ces prestations empêche l’autre État membre d’imposer à son tour celles-ci, sans préjudice de la possibilité pour ces deux États membres de régler d’une autre manière l’imposition des prestations effectuées à l’intérieur de ce territoire, notamment par la voie d’un accord, pourvu que soient évitées la non-imposition de recettes et les doubles impositions.
Sur les dépens
48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
L’article 2, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991,
doivent être interprétés en ce sens que :
doivent être imposées par un État membre les prestations de navigation touristique effectuées, par un prestataire établi dans cet État membre, à l’intérieur d’un territoire qui constitue, en vertu d’un traité international conclu entre celui-ci et un autre État membre, un territoire commun sous souveraineté commune de ces deux États membres et qui n’est soumis à aucune dérogation prévue par le droit de l’Union, pour autant que ces prestations n’ont pas été déjà imposées par cet autre État membre. L’imposition, par l’un des États membres, de ces prestations empêche l’autre État membre d’imposer à son tour celles-ci, sans préjudice de la possibilité pour ces deux États membres de régler d’une autre manière l’imposition des prestations effectuées à l’intérieur de ce territoire, notamment par la voie d’un accord, pourvu que soient évitées la non-imposition de recettes et les doubles impositions.
Arabadjiev |
Bay Larsen |
Ziemele |
Xuereb |
Kumin |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le1er août 2022.
Le greffier |
Le président de la Ière chambre |
A. Calot Escobar |
A. Arabadjiev |
* Langue de procédure : le français.