ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
20 octobre 2022 (*)
« Renvoi préjudiciel – Régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents – Directive 90/435/CEE – Article 4, paragraphe 1 – Exonération dans le chef d’une société mère des dividendes versés par sa filiale – Report d’excédents de revenus définitivement taxés sur des exercices fiscaux ultérieurs – Absorption d’une société disposant d’excédents de revenus définitivement taxés par une autre société – Réglementation nationale limitant le transfert de ces excédents vers la société absorbante »
Dans l’affaire C-295/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par cour d’appel de Bruxelles (Belgique), par décision du 29 avril 2021, parvenue à la Cour le 10 mai 2021, dans la procédure
Allianz Benelux SA
contre
État belge, SPF Finances,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 février 2022,
considérant les observations présentées :
– pour Allianz Benelux SA, par Me V.-A. De Brauwere, avocate,
– pour le gouvernement belge, par MM. S. Baeyens et J.-C. Halleux ainsi que Mme C. Pochet, en qualité d’agents, assistés de M. D. Delvaux, en qualité d’expert,
– pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et V. Uher, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 avril 2022,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 1990, L 225, p. 6), lu en combinaison avec la troisième directive 78/855/CEE du Conseil, du 9 octobre 1978, fondée sur l’article 54, paragraphe 3, sous g), du traité et concernant les fusions des sociétés anonymes (JO 1978, L 295, p. 36), ainsi qu’avec la sixième directive 82/891/CEE du Conseil, du 17 décembre 1982, fondée sur l’article 54, paragraphe 3, point g), du traité et concernant les scissions des sociétés anonymes (JO 1982, L 378, p. 47).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Allianz Benelux SA à l’État belge, SPF Finances, au sujet de la détermination du résultat imposable de cette société au titre de l’impôt sur les sociétés pour les exercices d’imposition 2004 à 2007.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 90/435
3 Les troisième et quatrième considérants de la directive 90/435 énoncent :
« considérant que les dispositions fiscales actuelles régissant les relations entre sociétés mères et filiales d’États membres différents varient sensiblement d’un État membre à l’autre et sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d’un même État membre ; que la coopération entre sociétés d’États membres différents est, de ce fait, pénalisée par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre ; qu’il convient d’éliminer cette pénalisation par l’instauration d’un régime commun et de faciliter ainsi les regroupements de sociétés à l’échelle communautaire ;
considérant que, lorsqu’une société mère reçoit, à titre d’associée de sa société filiale, des bénéfices distribués, l’État de la société mère doit :
– ou bien s’abstenir d’imposer ces bénéfices,
– ou bien les imposer, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l’impôt de la filiale afférente à ces bénéfices ».
4 L’article 1er, paragraphe 1, premier et deuxième tirets, de cette directive est ainsi rédigé :
« Chaque État membre applique la présente directive :
– aux distributions de bénéfices reçus par des sociétés de cet État et provenant de leurs filiales d’autres États membres,
– aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État à des sociétés d’autres États membres dont elles sont les filiales. »
5 Aux termes de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de ladite directive :
« 1. Lorsqu’une société mère reçoit, à titre d’associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de celle-ci, l’État de la société mère :
– soit s’abstient d’imposer ces bénéfices,
– soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l’impôt de la filiale afférente à ces bénéfices et, le cas échéant, le montant de la retenue à la source perçue par l’État membre de résidence de la filiale en application des dispositions dérogatoires de l’article 5, dans la limite du montant de l’impôt national correspondant.
2. Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale. »
6 La directive 90/435 a été modifiée, notamment, par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 (JO 2004, L 7, p. 41). Selon l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435, dans sa version issue de la directive 2003/123 :
« Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État de la société mère et l’État de son établissement stable :
– soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices,
– soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à conditions qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale respectent les exigences prévues aux articles 2 et 3, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant. »
7 La directive 90/435 a été abrogée par la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO 2011, L 345, p. 8), entrée en vigueur le 18 janvier 2012. Néanmoins, compte tenu de la date des faits au principal, la directive 90/435 leur est applicable ratione temporis.
La directive 78/855
8 L’article 19, paragraphe 1, de la directive 78/855 énonce :
« La fusion entraîne ipso jure et simultanément les effets suivants :
a) la transmission universelle, tant entre la société absorbée et la société absorbante qu’à l’égard des tiers, de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante ;
[...] »
Le droit belge
9 L’article 202, paragraphe 1, du code des impôts sur les revenus de 1992, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « CIR 1992 »), prévoit :
« Des bénéfices de la période imposable sont également déduits, dans la mesure où ils s’y retrouvent :
1° les dividendes, à l’exception des revenus qui sont obtenus à l’occasion de la cession à une société de ses propres actions ou parts ou lors du partage total ou partiel de l’avoir social d’une société ;
[...] »
10 Aux termes de l’article 204, premier alinéa, du CIR 1992 :
« Les revenus déductibles conformément à l’article 202, paragraphe 1er, 1°, 3° et 4°, sont censés se retrouver dans les bénéfices de la période imposable à concurrence de 95 [%] du montant encaissé ou recueilli éventuellement majoré des précomptes mobiliers réels ou fictifs ou diminué, lorsqu’il s’agit de revenus visés à l’article 202, paragraphe 1er, 4° et 5°, des intérêts bonifiés au vendeur en cas d’acquisition des titres pendant la période imposable. »
11 L’article 205, paragraphe 2, du CIR 1992 est ainsi libellé :
« La déduction prévue à l’article 202 est limitée au montant des bénéfices de la période imposable, tel qu’il subsiste après application de l’article 199, diminué : [...] »
12 L’article 206 du CIR 1992 dispose :
« § 1er. Les pertes professionnelles antérieures sont successivement déduites des revenus professionnels de chacune des périodes imposables suivantes.
§ 2. [...]
En cas de fusion opérée en application de l’article 211, [paragraphe] 1er, les pertes professionnelles qu’une société absorbée a éprouvées avant cette fusion restent déductibles dans le chef de la société absorbante en proportion de la part que représente l’actif net fiscal avant la fusion des éléments absorbés de la société citée en premier lieu, dans le total, également avant la fusion, de l’actif net fiscal de la société absorbante et de la valeur fiscale nette des éléments absorbés. En cas de scission opérée en application de l’article 211, paragraphe 1er, la règle tracée ci–avant s’applique à la partie des pertes professionnelles qui est déterminée en proportion de la valeur fiscale nette des éléments absorbés dans le total de l’actif net fiscal de la société absorbée. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
13 Le 16 novembre 1995, AGF l’Escaut SA a absorbé deux sociétés d’assurances. Le 15 septembre 1999, AGF l’Escaut elle-même, ainsi que cinq autres sociétés d’assurances, ont été absorbées par Assubel-Vie SA.
14 Les sociétés absorbées par AGF l’Escaut et par Assubel-Vie, réunies sous la dénomination sociale Allianz Benelux, disposaient d’excédents de revenus définitivement taxés (ci-après les « RDT ») qui étaient reportables sur les exercices ultérieurs. Allianz Benelux a alors intégralement reporté ces excédents de RDT sur les exercices 2004 à 2007. Ce report intégral a été rejeté par l’administration fiscale belge.
15 À la suite d’une réclamation formée par Allianz Benelux contre ce rejet, le directeur régional compétent de l’administration fiscale belge, par une décision du 19 décembre 2012, a considéré que, en l’absence de disposition légale prévoyant le transfert des excédents de RDT d’une société absorbée vers la société absorbante, le report des excédents de RDT des sociétés absorbées demandé en l’occurrence par Allianz Benelux ne reposait sur aucune base légale. Toutefois, il a admis le report partiel de ces excédents dans la seule mesure du prorata prévu à l’article 206, paragraphe 2, du CIR 1992 en matière de pertes récupérables.
16 Allianz Benelux a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique). Par jugement du 20 mai 2016, cette juridiction a rejeté la demande de report intégral des excédents de RDT.
17 Allianz Benelux a interjeté appel de ce jugement auprès de la juridiction de renvoi. Cette société fait valoir que l’absence de report intégral dans le chef de la société absorbante des RDT reportables dont disposait la société absorbée conduit, en premier lieu, à imposer ces revenus, en deuxième lieu, à méconnaître l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 et, en troisième lieu, à violer le principe de neutralité fiscale.
18 Dans ces conditions, la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 4, [paragraphe] 1, de la directive [90/435], lu ou non en combinaison avec les dispositions des directives [78/855] et [82/891] sur le droit des sociétés, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui prévoit que les bénéfices distribués visés par la première directive sont intégrés dans la base imposable de la société bénéficiaire des dividendes avant d’être déduits de celle-ci à concurrence de 95 % de leur montant et sont, le cas échéant, reportés sur les exercices d’imposition ultérieurs mais qui, à défaut de disposition spécifique prévoyant en cas d’opération de réorganisation de sociétés que les déductions ainsi reportées dans le chef de la société apporteuse sont intégralement transférées à la société bénéficiaire, a pour conséquence que les bénéfices visés sont indirectement imposés à l’occasion de ladite opération en raison de l’application d’une disposition limitant le transfert desdites déductions en proportion de la part que représente l’actif net fiscal avant l’opération des éléments absorbés de la société apporteuse dans le total, également avant l’opération, de l’actif net fiscal de la société absorbante et de la valeur fiscale nette des éléments absorbés ? »
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité
19 Tout d’abord, il convient de relever que, si, dans sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi se réfère non seulement à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 mais également aux directives 78/855 et 82/891, elle ne mentionne aucune disposition particulière de ces deux dernières directives ni n’expose les raisons pour lesquelles celles-ci seraient pertinentes dans l’affaire au principal.
20 Or, en premier lieu, s’agissant de la directive 82/891, celle-ci ne régit, conformément à son article 1er, que les scissions des sociétés anonymes par absorption et/ou par constitution de nouvelles sociétés, de telle sorte qu’elle ne trouve pas à s’appliquer à l’affaire au principal, laquelle concerne une fusion, distincte de telles scissions.
21 En deuxième lieu, la directive 78/855 n’est pas non plus applicable à l’affaire au principal, puisqu’elle ne porte que sur les aspects de droit privé propres aux fusions sans contenir de dispositions de portée fiscale. À cet égard, les aspects fiscaux des fusions au sein de l’Union européenne étaient régis, à l’époque des faits au principal, par la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents (JO 1990, L 225, p. 1).
22 Pour ce qui est, en troisième lieu, de la directive 90/435, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, comme il ressort notamment de ses troisième et quatrième considérants, celle-ci vise à éliminer la double imposition, en termes économiques, des bénéfices distribués par une société filiale sise dans un État membre à sa société mère établie dans un autre État membre et à faciliter ainsi le regroupement de sociétés à l’échelle de l’Union. À cet effet, afin d’atteindre l’objectif de la neutralité sur le plan fiscal, l’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoit une règle visant à éviter que les bénéfices distribués ne soient frappés, une première fois, dans le chef de la société filiale et, une seconde fois, dans celui de la société mère (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Brussels Securities, C-389/18, EU:C:2019:1132, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée). Or, aucune disposition de cette même directive ne prévoit expressément son application dans le cadre d’opérations de fusions entre des sociétés telles que celle en cause au principal.
23 D’autre part, l’article 1er de la directive 90/435 vise les distributions de bénéfices reçus par des sociétés d’un État membre et provenant de leurs filiales ayant leur siège dans d’autres États membres. Par ailleurs, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de cette directive ne régit pas la situation dans laquelle le siège de la société distributrice des dividendes se trouve dans le même État membre que celui de la société bénéficiaire de ceux-ci (ordonnance du 4 juin 2009, KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer, C-439/07 et C-499/07, EU:C:2009:339, point 57).
24 Or, en l’occurrence, la demande de décision préjudicielle ne contient aucune information portant sur la provenance des dividendes reçus par les sociétés absorbées, de telle sorte qu’il n’apparaît pas possible de déterminer si les transactions en cause au principal sont régies par la directive 90/435 ou si, au contraire, elles constituent une situation purement interne n’impliquant que des sociétés belges.
25 Toutefois, d’une part, conformément à une jurisprudence constante, les questions préjudicielles relatives à l’interprétation du droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C-391/20, EU:C:2022:638, point 42 ainsi que jurisprudence citée). D’autre part, la Cour a déjà constaté que le droit interne belge renvoie, en ce qui concerne le régime des RDT, à la directive 90/435 et, dès lors, a admis la recevabilité de demandes de décision préjudicielle en vertu de ce renvoi, en jugeant que, la portée du renvoi opéré par le droit national au droit de l’Union étant une question exclusivement régie par le droit national, il appartient au seul juge national d’apprécier la portée exacte de ce renvoi au droit de l’Union, la compétence de la Cour étant limitée à l’examen des seules dispositions de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, Punch Graphix Prepress Belgium, C-371/11, EU:C:2012:647, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).
26 En l’occurrence, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 33 de ses conclusions, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’administration fiscale belge a explicitement fondé la décision en cause au principal sur la jurisprudence de la Cour en matière de RDT.
27 Au vu de ce qui précède, il convient de constater que la question préjudicielle est recevable et qu’il y a lieu de l’examiner uniquement à l’aune de la directive 90/435.
Sur le fond
28 Par son unique question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre qui prévoit que les dividendes perçus par une société sont intégrés dans sa base imposable avant d’en être déduits à concurrence de 95 % de leur montant et qui permet, le cas échéant, le report de cette déduction lors des exercices d’imposition ultérieurs, mais qui, toutefois, en cas d’absorption de cette société dans le cadre d’une fusion, limite le transfert du report de cette déduction à la société absorbante en proportion de la part que représente l’actif net fiscal de la société absorbée dans le total de l’actif net fiscal de la société absorbante et de la société absorbée.
29 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435, dans sa version issue de la directive 2003/123, prévoit que, lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État de la société mère et l’État de son établissement stable soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices, soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à condition qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale respectent les exigences prévues aux articles 2 et 3 de cette première directive, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant.
30 La directive 90/435 laisse ainsi explicitement le choix aux États membres entre le système d’exonération et le système d’imputation, respectivement prévus aux premier et second tirets de l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci (arrêt du 19 décembre 2019, Brussels Securities, C-389/18, EU:C:2019:1132, point 31 ainsi que jurisprudence citée).
31 Selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, le Royaume de Belgique a opté pour le système d’exonération prévu à l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435. C’est, partant, à la lumière de cette seule disposition qu’il convient de répondre à la question posée.
32 À cet égard, la Cour a jugé, d’une part, que l’obligation de l’État membre ayant choisi le système prévu à l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435 de s’abstenir d’imposer les bénéfices que la société mère reçoit, à titre d’associée, de sa société filiale n’est assortie d’aucune condition et est exprimée sous la seule réserve des paragraphes 2 et 3 du même article ainsi que de celle prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, et, d’autre part, que relève également de l’interdiction prescrite par cet article 4, paragraphe 1, premier tiret, une réglementation nationale qui, bien qu’elle n’impose pas les dividendes perçus par la société mère en tant que tels, est susceptible d’avoir pour effet que la société mère subit indirectement une imposition sur des dividendes (arrêt du 19 décembre 2019, Brussels Securities, C-389/18, EU:C:2019:1132, points 33 et 37 ainsi que jurisprudence citée).
33 S’agissant du régime fiscal belge relatif aux RDT, il ressort du dossier dont dispose la Cour que celui-ci prévoyait à l’origine que les dividendes perçus par la société mère étaient ajoutés à la base imposable de celle-ci et qu’un montant correspondant à 95 % de ces dividendes était déduit de cette base, mais uniquement dans la mesure où il existait des bénéfices imposables dans le chef de la société mère et sans possibilité de reporter sur les exercices fiscaux ultérieurs la partie non déduite des RDT (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Brussels Securities, C-389/18, EU:C:2019:1132, point 39).
34 Toutefois, à la suite de l’arrêt du 12 février 2009, Cobelfret (C-138/07, EU:C:2009:82), le régime des RDT a été modifié en ce sens que, conformément à l’article 205, paragraphe 3, du CIR 1992, la partie des RDT qui ne peut être déduite au cours de l’exercice d’imposition concerné en raison de l’insuffisance de bénéfices peut désormais faire l’objet d’un report sur les exercices d’imposition ultérieurs et que ce report n’est pas limité dans le temps. Il apparaît ainsi que la diminution des pertes reportables, à laquelle conduit l’intégration des dividendes dans la base imposable de la société mère, est désormais compensée par un report, illimité dans le temps, des RDT du même montant (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Brussels Securities, C-389/18, EU:C:2019:1132, point 40).
35 En l’occurrence, l’affaire au principal concerne non pas une situation où les dividendes versés par une filiale à sa société mère aurait été imposés dans le chef de celle-ci, mais une situation où, par analogie avec ce que prévoit la législation nationale en matière de transfert des pertes d’une société absorbée vers la société absorbante en cas de fusion, l’administration fiscale belge n’a admis que partiellement le transfert des excédents de RDT dont disposait la société absorbée vers la société absorbante, à savoir dans la limite de la part que représentait l’actif net fiscal de la société absorbée dans le total de l’actif net fiscal de la société absorbante et de la société absorbée.
36 En premier lieu, il convient de constater que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 ne prévoit pas la possibilité de procéder à un report inconditionnel des excédents qui constituent un revenu définitivement taxé, tels que ceux faisant l’objet du régime fiscal belge relatif aux RDT, d’une société absorbée vers la société absorbante. Cette disposition se borne à imposer aux États membres, ainsi qu’il a été relevé aux points 29 et 30 du présent arrêt, de choisir entre le système de l’exonération et le système de l’imputation afin d’éviter la double imposition économique de la distribution de dividendes par une filiale à sa société mère, sans prescrire la manière dont les États membres ayant choisi le système de l’exonération doivent le mettre en œuvre.
37 Par conséquent, les États membres sont libres de déterminer, compte tenu des nécessités de leur ordre juridique interne, les modalités selon lesquelles le résultat prescrit à l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435 est atteint (ordonnance du 4 juin 2009, KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer, C-439/07 et C-499/07, EU:C:2009:339, point 50).
38 En deuxième lieu, ni la directive 90/434 ni aucun autre texte de droit de l’Union ne prévoient le droit à un report inconditionnel d’excédents, tels que ceux visés au point 36 du présent arrêt, de la société absorbée vers la société absorbante, dans le cadre des fusions, comme cela est réclamé par Allianz Benelux.
39 En troisième lieu, il convient d’examiner si un régime relatif à un RDT tel que celui en cause au principal entraîne une imposition directe ou indirecte des dividendes perçus incompatible avec l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435.
40 D’une part, en ce qui concerne l’existence d’une éventuelle imposition directe des dividendes, il ressort du dossier dont dispose la Cour que le régime des RDT en cause au principal permet d’assurer que les dividendes perçus de la société absorbée ne sont pas imposés dans le chef de la société absorbante. En effet, ce régime prévoit que, dans un premier temps, les dividendes perçus par la société mère sont inclus dans sa base imposable et, dans un second temps, un montant correspondant à 95 % de ces dividendes est déduit de cette base dans la mesure où des bénéfices imposables subsistent dans le chef de la société mère après la déduction des autres bénéfices exonérés. Partant, ledit régime n’entraîne pas une imposition directe des dividendes exonérés en vertu de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435, ce que d’ailleurs n’a soutenu aucune des parties ayant présenté des observations.
41 D’autre part, s’agissant de l’existence d’une éventuelle imposition indirecte des dividendes, à laquelle, ainsi qu’il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, s’opposerait l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 90/435, il convient de déterminer si l’obligation prévue à cette disposition s’oppose aux effets fiscaux qu’une limitation du transfert de report des excédents au titre d’un régime relatif à un RDT lors d’une fusion par absorption produit sur la base imposable de la société bénéficiaire des dividendes.
42 À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt du 19 décembre 2019, Brussels Securities (C-389/18, EU:C:2019:1132), qui portait sur l’ordre dans lequel étaient déduits en droit fiscal belge les revenus déductibles des bénéfices imposables, en particulier les excédents de RDT par rapport à d’autres revenus dont le report de la déduction fiscale était limité dans le temps, la Cour a effectué une comparaison de la situation en cause dans cette affaire, dans le cadre de laquelle la société mère avait dû respecter, lors de la déduction fiscale, l’ordre prioritaire de déduction de l’excédent de RDT par rapport à une autre déduction fiscale, avec la situation qui aurait prévalu si le Royaume de Belgique avait appliqué un système d’exonération écartant purement et simplement les dividendes de la base imposable.
43 Or, comme le suggèrent à la fois le gouvernement belge et la Commission, un tel raisonnement qui reposait sur la comparaison de deux situations peut également s’appliquer par analogie dans l’affaire au principal, quand bien même ce raisonnement a été mis en œuvre par la Cour dans le contexte de la relation entre une société mère et sa filiale.
44 Il convient dès lors de procéder à une comparaison d’une situation telle que celle en cause au principal, dans le cadre de laquelle, lors d’une fusion par absorption, une même limitation au prorata a été appliquée au report tant des pertes que des excédents de RDT de la société absorbée, avec la situation où l’État membre concerné aurait institué un système d’exonération simple prévoyant l’exclusion des dividendes de la base imposable et où une limitation au prorata s’appliquerait uniquement au report des pertes et non au report des excédents de RDT.
45 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 57 de ses conclusions, il ressort de cette comparaison que la situation dans laquelle la limitation au prorata s’applique tant au report des excédents de RDT qu’au report des pertes en cas de fusion ne paraît pas entraîner une imposition plus lourde que celle dans laquelle les dividendes seraient exclus de la base imposable de la société bénéficiaire. La neutralité fiscale dans les deux situations semble être respectée.
46 Du reste, comme le fait observer la Commission, si les excédents de RDT étaient transférés intégralement à la société absorbante alors qu’une limitation au prorata telle que celle au principal s’applique au transfert de pertes, cette société se trouverait dans une situation plus favorable que si le Royaume de Belgique avait prévu une exonération simple.
47 En outre, dans des affaires impliquant la législation nationale en cause au principal, la Cour a rappelé que les États membres sont libres de déterminer les modalités selon lesquelles le résultat prescrit par l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 est atteint (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2009, Cobelfret, C-138/07, EU:C:2009:82, point 61, et ordonnance du 4 juin 2009, KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer, C-439/07 et C-499/07, EU:C:2009:339, points 50 et 53 ainsi que jurisprudence citée).
48 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui prévoit que les dividendes perçus par une société sont intégrés dans sa base imposable avant d’en être déduits à concurrence de 95 % de leur montant et qui permet, le cas échéant, le report de cette déduction lors des exercices d’imposition ultérieurs, mais qui, toutefois, en cas d’absorption de cette société dans le cadre d’une fusion, limite le transfert du report de cette déduction à la société absorbante en proportion de la part que représente l’actif net fiscal de la société absorbée dans le total de l’actif net fiscal de la société absorbante et de la société absorbée.
Sur les dépens
49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
L’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui prévoit que les dividendes perçus par une société sont intégrés dans sa base imposable avant d’en être déduits à concurrence de 95 % de leur montant et qui permet, le cas échéant, le report de cette déduction lors des exercices d’imposition ultérieurs, mais qui, toutefois, en cas d’absorption de cette société dans le cadre d’une fusion, limite le transfert du report de cette déduction à la société absorbante en proportion de la part que représente l’actif net fiscal de la société absorbée dans le total de l’actif net fiscal de la société absorbante et de la société absorbée.
Safjan | Jääskinen | Gavalec |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 octobre 2022.
Le greffier | Le président de chambre |
A. Calot Escobar | M. Safjan |
* Langue de procédure : le français.