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 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

13 juillet 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Réglementation nationale prévoyant la possibilité de suspendre, sans limitation dans le temps, le délai de prescription de l’action de l’administration fiscale en cas de procédure juridictionnelle – Procédure fiscale réitérée – Règlement no 2988/95 – Champ d’application – Principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union »

Dans l’affaire C-615/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged, Hongrie), par décision du 4 octobre 2021, parvenue à la Cour le 4 octobre 2021, dans la procédure

Napfény-Toll Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la cinquième chambre, MM. D. Gratsias, M. Ilešič et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 novembre 2022,

considérant les observations présentées :

pour Napfény-Toll Kft., par Mes L. Detvay, O. Kovács, P. Nagy et Gy. Tiborfi, ügyvédek,

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par M. A. Ballesteros Panizo, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mmes F. Blanc, J. Jokubauskaitė, et M. A. Sipos, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union dans le cadre de l’application de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Napfény-Toll Kft. à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) au sujet du droit de cette société de déduire du montant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont elle est redevable le montant de TVA due au titre de différentes acquisitions de biens effectuées au mois de juin 2010 ainsi qu’entre le mois de novembre 2010 et le mois de septembre 2011.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2006/112

3

Le considérant 8 de la directive 2006/112 énonce :

« En application de la décision 2000/597/CE, Euratom du Conseil du 29 septembre 2000 relative au système des ressources propres des Communautés européennes [(JO 2000, L 253, p. 42)], le budget des Communautés européennes est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres aux Communautés. Ces ressources comprennent, entre autres, celles provenant de la TVA et obtenues par l’application d’un taux commun à une assiette déterminée d’une manière uniforme et selon des règles communautaires. »

Le règlement (CE, Euratom) no 2988/95

4

L’article 1er du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1), dispose :

« 1.   Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.

2.   Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. »

5

L’article 3, paragraphes 1 et 3, de ce règlement prévoit :

« 1.   Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er, paragraphe 1. [...]

Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s'étend en tout cas jusqu'à la clôture définitive du programme.

La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif.

Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l’autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l’article 6, paragraphe 1.

[...]

3.   Les États membres conservent la possibilité d’appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2. »

La décision 2007/436/CE

6

La décision 2007/436/CE, Euratom du Conseil, du 7 juin 2007, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO 2007, L 163, p. 17), qui a abrogé et remplacé la décision 2000/597, dispose, à son article 2, paragraphe 1, sous b) :

« Constituent des ressources propres inscrites au budget général de l’Union européenne, les recettes provenant :

[...]

b)

[...] de l’application d’un taux uniforme valable pour tous les États membres à l’assiette harmonisée de la TVA, déterminée selon les règles de la Communauté. [...] »

Le droit hongrois

La réglementation relative à la suspension des délais de prescription en matière fiscale

7

Aux termes de l’article 164 de l’az adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény (loi no XCII de 2003, portant code de procédure fiscale) [Magyar Közlöny 2003/131 (XI.14.)], dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« ancien code de procédure fiscale ») :

« (1)   Le droit d’établir l’impôt se prescrit par cinq ans à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle la déclaration ou la notification relative à cet impôt aurait dû être effectuée, ou, en l’absence d’une telle déclaration ou d’une telle notification, à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle l’impôt aurait dû être acquitté.

[...]

(5)   En cas de contrôle juridictionnel de la décision de l’autorité fiscale, le délai de prescription du droit d’établir le montant correct de la taxe due cesse de courir pendant la période allant de la date où la décision de l’autorité fiscale de second degré est devenue définitive à celle où la décision juridictionnelle est devenue définitive et donc, en cas de pourvoi, à celle où il est statué sur ce dernier. »

8

L’ancien code de procédure fiscale a été abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2018, par les dispositions de l’az adóigazgatási rendtartásról szóló 2017. évi CLI. törvény (loi no CLI de 2017, portant organisation de l’administration fiscale) (Magyar Közlöny 2017/192), dans sa version applicable au litige au principal, et celles de l’az adózás rendjéről szóló 2017. évi CL. törvény (loi no CL de 2017, instituant un code de procédure fiscale) (Magyar Közlöny 2017/192), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « nouveau code de procédure fiscale »).

9

L’article 203, paragraphe 3, du nouveau code de procédure fiscale reprend, en substance, le contenu de l’article 164 de l’ancien code de procédure fiscale. En vertu de cet article 203, paragraphe 3, si le contribuable a introduit un recours administratif contentieux contre une décision de l’autorité fiscale, le délai de prescription du droit de l’administration fiscale d’établir le montant correct de la taxe due est suspendu entre la date où la décision de l’autorité fiscale de second degré est devenue définitive et celle où la décision juridictionnelle devient définitive ou, en cas de pourvoi, celle où il est statué sur ce dernier.

10

L’article 203, paragraphe 7, sous c), de ce nouveau code énonce que ce délai de prescription est prolongé de douze mois, notamment, si, dans le cadre de l’examen d’un recours administratif contentieux introduit contre une décision de l’autorité fiscale, la juridiction saisie ordonne l’ouverture d’une nouvelle procédure.

11

Conformément à l’article 271, paragraphe 1, du nouveau code de procédure fiscale, il convient d’appliquer les dispositions de ce nouveau code, y compris celles de l’article 203, paragraphe 7, sous c), dudit nouveau code, aux procédures ouvertes ou réitérées après l’entrée en vigueur du même nouveau code.

La jurisprudence concernant l’application de la réglementation relative à la suspension des délais de prescription en matière fiscale

12

Dans l’arrêt Kfv.I.35.343/2019/11, la Kúria (Cour suprême, Hongrie) a indiqué, s’agissant de l’objectif poursuivi par la réglementation relative à la suspension des délais de prescription en matière fiscale :

« Dans le cadre de l’ancien code de procédure fiscale, c’est le fait même du “contrôle juridictionnel”, et non le contenu de la décision qui clôt celui-ci, qui conditionne l’applicabilité de la suspension et la prolongation du délai de prescription. Le contrôle juridictionnel débute avec l’introduction du recours [...] Aucun effet juridique ex tunc ne peut être attaché à une décision nulle et non avenue, une fois cette nullité constatée ; toutefois, l’autorité fiscale, en raison du contrôle juridictionnel, peut prendre une décision propre à produire des effets juridiques dans le délai visé dans cet ancien code. »

13

Par une décision du 25 janvier 2022, c’est-à-dire rendue postérieurement à la présentation de la demande de décision préjudicielle, l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle, Hongrie) a annulé l’article 271, paragraphe 1, du nouveau code de procédure fiscale en tant qu’il comprenait le terme « réitérées », au motif, en substance, que ce terme avait pour effet de rendre rétroactivement applicable à des procédures réitérées en cours, la prolongation du délai de prescription prévue à l’article 203, paragraphe 7, sous c), de ce nouveau code.

Le litige au principal et la question préjudicielle

14

Napfény-Toll a déduit du montant de la TVA dont elle était redevable le montant de TVA due au titre de différentes acquisitions de biens effectuées durant le mois de juin 2010 ainsi qu’entre le mois de novembre 2010 et le mois de septembre 2011.

15

Au cours du mois de décembre 2011, la Nemzeti Adó – és Vámhivatal Dél-budapesti Igazgatósága (administration nationale des impôts et des douanes – direction de Budapest-sud, Hongrie) a engagé, en tant qu’autorité de premier degré, un contrôle fiscal qui a été notifié à Napfény-Toll le 13 de ce mois.

16

À l’issue de ce contrôle fiscal, cette direction a estimé qu’une partie du montant de la taxe ayant été déduite par Napfény-Toll au titre des périodes concernées n’aurait pas dû l’être, car les factures invoquées à cette fin, pour certaines d’entre elles, ne correspondaient à aucune opération économique réelle et, pour d’autres, participaient d’une fraude fiscale dont Napfény-Toll avait connaissance. En conséquence, par une décision du 8 octobre 2015 (ci-après la « décision administrative de premier degré »), ladite direction a exigé de Napfény-Toll le versement d’un arriéré de taxe d’un montant total de 144785000 forints hongrois (HUF) (environ 464581 euros) et lui a infligé une amende d’un montant de 108588000 HUF (environ 348433 euros), ainsi qu’une pénalité de retard de 46080000 HUF (environ 147860 euros).

La première décision administrative de second degré

17

Par une décision du 11 décembre 2015, signifiée le 14 décembre suivant (ci-après la « première décision administrative de second degré »), la Nemzeti Adó – és Vámhivatal Közép-magyarországi Regionális Adó Főigazgatósága (administration nationale des impôts et des douanes – direction générale de la région de Hongrie centrale, Hongrie) (ci-après la « direction générale de la région de Hongrie centrale »), devenue la direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, saisie d’une réclamation par Napfény-Toll, a, en tant qu’autorité administrative fiscale de second degré, infirmé la décision administrative de premier degré en ce qui concerne la pénalité de retard infligée à Napfény-Toll et rejeté cette réclamation pour le surplus. Napfény-Toll a introduit un recours contre la première décision administrative de second degré.

18

Par un jugement du 2 mars 2018, devenu définitif le jour même, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie) a annulé la première décision administrative de second degré et a ordonné l’ouverture d’une nouvelle procédure. Pour fonder son jugement, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) a indiqué avoir constaté que cette première décision administrative était entachée d’une contradiction de motifs. En effet, alors même que ladite décision administrative faisait état de faits différents de ceux constatés dans la décision administrative de premier degré, elle énonçait, dans le même temps, que l’autorité fiscale de premier degré avait correctement établi les faits.

La deuxième décision administrative de second degré

19

Par une décision du 5 mars 2018, notifiée à Napfény-Toll le 7 mars 2018 (ci-après la « deuxième décision administrative de second degré »), la direction générale de la région de Hongrie centrale a confirmé, pour l’essentiel, la décision administrative de premier degré. Elle a néanmoins réduit le montant de la pénalité de retard infligée à Napfény-Toll.

20

Par un jugement du 5 juillet 2018, devenu définitif le jour même, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale), saisi d’un recours introduit par Napfény-Toll, a annulé la deuxième décision administrative de second degré et a ordonné l’ouverture d’une nouvelle procédure, au motif que, d’une part, la deuxième décision administrative de second degré, intervenue le premier jour ouvrable suivant le prononcé du jugement du 2 mars 2018, reprenait, en grande partie mot pour mot, la première décision administrative de second degré, sans faire apparaître pour autant dans quelle mesure cette deuxième décision administrative modifiait le constat établi dans la décision administrative de premier degré, les conséquences tirées de ce jugement du 2 mars 2018 n’ayant ainsi été que formelles, et, d’autre part, la deuxième décision administrative de second degré contenait toujours des constatations contradictoires en ce qui concerne la réalité des opérations concernées.

21

Par un arrêt du 30 janvier 2020, la Kúria (Cour suprême), saisie d’un pourvoi introduit par l’administration fiscale, a confirmé sur le fond le jugement du 5 juillet 2018 pour deux raisons. D’une part, dans la mesure où la motivation de la deuxième décision administrative de second degré reprenait celle de la première décision administrative de second degré, la Kúria (Cour suprême) a jugé que c’était à bon droit que le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) avait constaté que la direction générale de la région de Hongrie centrale ne s’était pas conformée aux orientations fixées de manière contraignante dans le jugement du 2 mars 2018. Certes, cette direction générale n’avait disposé, comme celle-ci l’a fait valoir, que d’un court laps de temps avant que le droit d’établir l’impôt, et, par suite, le montant de la TVA à reverser, soit frappé de prescription, mais une telle circonstance ne la dispensait pas d’exécuter ses obligations légales. D’autre part, la Kúria (Cour suprême) a jugé, à l’instar du Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale), que la deuxième décision administrative de second degré était entachée d’une contradiction de motifs.

La troisième décision administrative de second degré

22

Par une décision du 6 avril 2020 (ci-après la « troisième décision administrative de second degré »), la direction générale de la région de Hongrie centrale a confirmé la décision administrative de premier degré, tout en modifiant le montant de la pénalité de retard infligée à Napfény-Toll. Pour justifier sa position, cette direction générale a indiqué qu’elle n’avait pas constaté l’existence de faits différents de ceux établis dans la décision administrative de premier degré, dans laquelle ces faits avaient été correctement établis.

23

Napfény-Toll a introduit un recours contre la troisième décision administrative de second degré devant la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged, Hongrie), la juridiction de renvoi, au motif, notamment, que, en vertu de l’article 164, paragraphes 1 et 5, de l’ancien code de procédure fiscale, le droit de l’autorité fiscale d’établir les montants de TVA à reverser se prescrit par cinq ans à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle la déclaration ou la notification relative à cette taxe aurait dû être effectuée ou, en l’absence d’une telle déclaration ou d’une telle notification, à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle ladite taxe aurait dû être acquittée. Or, le droit de l’autorité fiscale d’établir les montants de TVA à reverser au titre des périodes concernées se serait éteint avant la date d’adoption de la troisième décision administrative de second degré. En effet, Napfény-Toll est d’avis que l’adoption répétée de décisions est contraire au principe de sécurité juridique que la prescription est censée protéger. Il en irait d’autant plus ainsi que, dans l’affaire en cause au principal, si la seconde ouverture d’une nouvelle procédure a eu lieu, ce serait en raison du fait que la direction générale de la région de Hongrie centrale ne s’était pas conformée aux orientations figurant dans la première décision juridictionnelle. Ce serait donc par la faute de cette direction générale que la procédure en cause au principal se serait étendue sur près de dix années à compter du début du contrôle fiscal notifié à Napfény-Toll.

24

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi relève que l’article 164, paragraphe 5, de l’ancien code de procédure fiscale ne prévoit pas de limitation du nombre de fois où une procédure fiscale peut être réitérée par l’administration fiscale ou de la durée totale de la suspension de cette procédure. Or, selon la jurisprudence de la Kúria (Cour suprême), la prescription est suspendue pendant toute la durée du contrôle juridictionnel d’une décision de cette administration. En conséquence, il n’y aurait pas de limitation de la durée de suspension d’un délai de prescription en cas de contrôle juridictionnel, de telle sorte que le droit de l’autorité fiscale d’établir les montants de TVA à reverser pourrait être prolongé de plusieurs années, voire, dans des cas extrêmes, de dizaines d’années. Pour cette raison, la juridiction de renvoi a un doute en ce qui concerne la compatibilité de la réglementation en cause au principal et la pratique administrative qui y est relative avec les principes de sécurité juridique et d’effectivité.

25

C’est dans ce contexte que la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Faut-il interpréter le principe de sécurité juridique ainsi que le principe d’effectivité, qui font partie du droit [de l’Union], en ce sens que ceux-ci ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre qui ne laisse au juge aucune marge d’appréciation, telle que celle de l’article 164, paragraphe 5, de [l’ancien code de procédure fiscale], ainsi qu’à la pratique qui repose sur cette réglementation, en vertu desquelles, en matière de [TVA], le délai par lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir l’impôt est suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels, quel que soit le nombre de fois où une même procédure fiscale administrative a dû être réitérée et sans limitation de la durée cumulée des suspensions, lorsque plusieurs contrôles juridictionnels se suivent, y compris dans le cas où la juridiction statuant sur une décision de l’autorité fiscale concernée prise dans le cadre d’une procédure réitérée faisant suite à une décision juridictionnelle antérieure constate que cette autorité fiscale ne s’est pas conformée aux orientations figurant dans cette décision juridictionnelle, autrement dit, lorsque c’est par la faute de ladite autorité fiscale que la nouvelle procédure juridictionnelle a eu lieu ? »

Sur la procédure postérieure à la présentation de la demande de décision préjudicielle

26

Postérieurement à la présentation de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a transmis à la Cour, par un courrier du 3 mai 2022, une copie de la décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle), du 25 janvier 2022, par laquelle cette dernière a annulé l’article 271, paragraphe 1, du nouveau code de procédure fiscale en tant que cette disposition comprenait le terme « réitérées », ainsi qu’une copie d’une seconde décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle), en date du 26 avril 2022, rendue également en ce sens.

27

Par une lettre du 30 juin 2022, la Cour a invité la juridiction de renvoi à confirmer, eu égard à certaines indications que cette dernière avait initialement fournies, que, à la suite de la décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) d’annuler l’article 271, paragraphe 1, du nouveau code de procédure fiscale en tant que cette disposition comprenait le terme « réitérées », la procédure en cause au principal n’était, en tout état de cause, pas prescrite.

28

Par une lettre du 7 juillet 2022, la juridiction de renvoi a indiqué, en substance, que cette décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) avait uniquement eu pour effet de prescrire le droit de l’administration fiscale d’établir le montant de la TVA collectée devant être reversée au titre de l’exercice fiscal 2010. En revanche, en ce qui concerne l’exercice fiscal 2011, cette juridiction a mentionné qu’elle appréciera le caractère prescrit ou non de ce droit de l’administration fiscale en fonction de la réponse que la Cour donnera à la question posée.

Sur la question préjudicielle

29

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre et à la pratique administrative qui y est relative, en vertu desquelles, en matière de TVA, le délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir cette taxe est suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels, indépendamment du nombre de fois où une même procédure fiscale administrative a dû être réitérée à la suite de ces contrôles et sans limitation de la durée cumulée des suspensions de ce délai, y compris dans le cas où la juridiction statuant sur une décision de l’autorité fiscale concernée prise dans le cadre d’une procédure réitérée faisant suite à une décision juridictionnelle antérieure constate que cette autorité fiscale ne s’est pas conformée aux orientations figurant dans cette décision juridictionnelle.

30

À titre liminaire, il convient de relever que, en l’état du droit de l’Union, ce dernier ni ne fixe un délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir la TVA, ni ne précise, à plus forte raison, les hypothèses dans lesquelles un tel délai devrait être suspendu.

31

Certes, le règlement no 2988/95, évoqué lors de l’audience devant la Cour, pose certaines exigences en matière de computation et de suspension des délais de prescription des poursuites des irrégularités visées à ce règlement. Toutefois, il ressort de l’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement que ce dernier ne s’applique qu’en cas de préjudice porté au budget de l’Union en raison de la diminution ou de la suppression d’une recette provenant de ressources propres « perçues directement pour le compte de l’Union ». Or, s’il résulte du considérant 8 de la directive 2006/112 et de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la décision 2007/436 que, constituent des ressources propres de l’Union, les recettes provenant de l’application d’un taux uniforme valable pour tous les États membres à l’assiette harmonisée de la TVA, de sorte que, selon la jurisprudence de la Cour, il existe un lien entre la perception des recettes provenant de la TVA dans le respect du droit de l’Union applicable et la mise à disposition du budget de l’Union des ressources TVA correspondantes (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C-617/10, EU:C:2013:105, point 26), il n’en demeure pas moins que la TVA ne saurait être considérée comme étant perçue directement pour le compte de l’Union, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2988/95.

32

En effet, d’une part, cette taxe est collectée par les assujettis et, seulement ensuite, reversée par ces derniers aux États membres. D’autre part, conformément à l’article 1er du règlement (CEE, Euratom) no 1553/89 du Conseil, du 29 mai 1989, concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée (JO 1989, L 155, p. 9), les ressources propres de l’Union fondées sur la TVA ne consistent pas simplement en un pourcentage des recettes de ladite taxe effectivement perçues, mais résultent de l’application d’un taux uniforme à l’assiette de la TVA des États membres, elle-même calculée conformément à l’article 3 de ce règlement et soumise à divers ajustements prévus par les dispositions dudit règlement.

33

À cet égard, il est certes vrai que la Cour a reconnu l’applicabilité de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Luxembourg le 26 juillet 1995 (JO 1995, C 316, p. 48), aux cas de fraude concernant les recettes provenant de l’application d’un taux uniforme à l’assiette harmonisée de la TVA déterminée selon les règles de l’Union. Toutefois, l’article 1er de cette convention ne comporte précisément pas, contrairement au libellé clair de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2988/95, la condition relative à la perception directe des recettes concernées pour le compte de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a., C-105/14, EU:C:2015:555, point 41).

34

En l’absence de dispositions du droit de l’Union applicables, il appartient aux États membres d’établir et d’appliquer des règles de prescription en matière de droit de l’administration fiscale d’établir la TVA due, y compris celles relatives aux modalités de suspension et/ou d’interruption de cette prescription (voir, par analogie, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export, C-308/19, EU:C:2021:47, point 45).

35

Toutefois, si l’établissement et l’application de ces règles relèvent de la compétence des États membres, ces derniers doivent exercer une telle compétence dans le respect du droit de l’Union, lequel exige la fixation de délais raisonnables qui protègent à la fois l’assujetti et l’administration concernée (voir, par analogie, arrêt du 8 septembre 2011, Q-Beef et Bosschaert, C-89/10 et C-96/10, EU:C:2011:555, point 36).

36

À cet égard, la Cour a jugé qu’un délai de prescription de cinq ans, applicable aux demandes de remboursement des trop-perçus de TVA et commençant à courir à compter de la fin de l’année civile au cours de laquelle le délai de paiement de l’impôt a expiré, était conforme au droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services, C-500/16, EU:C:2017:996, point 43).

37

Au vu de cette jurisprudence, un délai de prescription du droit de l’administration fiscale d’établir la TVA due qui, comme dans l’affaire en cause au principal, courrait pendant une durée de cinq ans à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle la déclaration ou la notification afférente à cet impôt aurait dû être effectuée, ou, en l’absence d’une telle déclaration ou d’une telle notification, à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle l’impôt aurait dû être acquitté, doit, par analogie, être considéré comme étant conforme au droit de l’Union.

38

C’est dans ce contexte que la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si les principes de sécurité juridique et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un tel délai de prescription puisse être suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels.

39

En premier lieu, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique fait partie de l’ordre juridique de l’Union et que, à ce titre, il doit être respecté par les États membres dans l’exercice des compétences visées aux points 31 et 32 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2015, Veloserviss, C-427/14, EU:C:2015:803, point 30 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 mai 2021, BTA Baltic Insurance Company, C-230/20, non publié, EU:C:2021:410, point 45).

40

Selon une jurisprudence constante, ce principe vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques et exige, notamment, que la situation d’un assujetti concernant ses droits et ses obligations à l’égard de l’administration fiscale ou douanière ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause (arrêt du 10 décembre 2015, Veloserviss, C-427/14, EU:C:2015:803, point 31 et jurisprudence citée), ce qui implique, afin que cet assujetti puisse utilement invoquer l’application dudit principe, que celui-ci puisse se prévaloir d’une situation juridique déterminée.

41

Or, dès lors qu’avant l’expiration du délai de prescription prévu à cet effet, l’administration fiscale a notifié à l’assujetti concerné son intention de réexaminer la situation fiscale de ce dernier et, ainsi, implicitement, de retirer sa décision d’accepter sa déclaration, cet assujetti ne peut plus se prévaloir de la situation qui serait née sur base de cette déclaration, de sorte que le principe de sécurité juridique ne saurait être, dans une telle hypothèse et à défaut d’autres circonstances, méconnu (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, Cabinet Medical Veterinar Dr. Tomoiagă Andrei, C-144/14, EU:C:2015:452, point 40).

42

Au demeurant, les exigences découlant de l’application du principe de sécurité juridique n’étant pas absolues, les États membres doivent veiller à les mettre en balance avec les autres exigences inhérentes à leur appartenance à l’Union, en particulier celles rappelées à l’article 4, paragraphe 3, TUE, de prendre toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant de traités ou d’actes adoptés par les institutions en application de ces derniers. Ainsi, les règles nationales fixant les modalités de suspension du délai de prescription du droit de l’administration fiscale d’établir la TVA due doivent être conçues de manière à parvenir à un équilibre entre, d’une part, les exigences inhérentes à l’application de ce principe et, d’autre part, celles permettant la mise en œuvre effective et efficace de la directive 2006/112, cet équilibre devant être évalué en prenant en considération l’ensemble des éléments du régime national de prescription (voir, par analogie, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export, C-308/19, EU:C:2021:47, points 49 et 50).

43

Or, si une réglementation nationale et une pratique administrative, telles que celles décrites par la juridiction de renvoi, dont la prévisibilité de l’application vis-à-vis des administrés n’est pas contestée dans l’affaire au principal, sont susceptibles d’engendrer un allongement de la durée d’un tel délai de prescription, elles ne sont pas pour autant de nature, en principe, à rendre la situation des assujettis concernés susceptible d’être indéfiniment remise en cause. En revanche, une telle suspension permet d’éviter que la mise en œuvre effective et efficace de la directive 2006/112 ne puisse être mise en péril par l’introduction de recours dilatoires et, par suite, que celle-ci ne soit compromise en raison d’un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions à cette directive (voir, par analogie, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export, C-308/19, EU:C:2021:47, points 53 et 56).

44

En conséquence, il doit être constaté que le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à une réglementation nationale et à une pratique administrative prévoyant que le délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir la TVA est suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels, et ce indépendamment du nombre de fois où la procédure fiscale administrative concernée a dû être réitérée à la suite de ces contrôles et sans limitation de la durée cumulée des suspensions de ce délai.

45

En deuxième lieu, en ce qui concerne le principe d’effectivité, également évoqué par la juridiction de renvoi dans sa question, il convient de rappeler que celui-ci encadre, avec le principe d’équivalence, dont le respect n’a pas été remis en question par ladite juridiction, l’autonomie procédurale dont jouissent les États membres pour définir les modalités de mise en œuvre des droits que l’ordre juridique de l’Union confère aux particuliers, lorsque le droit de l’Union ne comporte pas de réglementation spécifique à cet égard.

46

Or, les règles du droit national relatives aux délais dans lesquels se prescrivent les droits et les obligations prévues par la directive 2006/112, ainsi qu’aux conditions de suspension de ces délais, constituent des modalités de mise en œuvre des dispositions de cette directive et sont donc, à ce titre, soumises au respect des principes d’effectivité et d’équivalence (voir en ce sens, notamment, arrêts du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services, C-500/16, EU:C:2017:996, point 37 ; du 26 avril 2018, Zabrus Siret, C-81/17, EU:C:2018:283, point 38 ; du 14 février 2019, Nestrade, C-562/17, EU:C:2019:115, point 35, et du 23 avril 2020, Sole-Mizo et Dalmandi Mezőgazdasági, C-13/18 et C-126/18, EU:C:2020:292, point 53), ce qui n’est d’ailleurs pas contesté en l’espèce.

47

Par conséquent, conformément au principe d’effectivité, ces modalités procédurales ne doivent pas être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a., C-591/10, EU:C:2012:478, point 28, et du 28 juin 2022, Commission/Espagne (Violation du droit de l’Union par le législateur), C-278/20, EU:C:2022:503, point 33].

48

Cela étant, le fait qu’une réglementation nationale ou qu’une pratique administrative nationale prévoit que le délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir la TVA est suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels, quel que soit le nombre de fois où la procédure fiscale administrative a dû être réitérée à la suite de ces contrôles et sans limitation de la durée cumulée des suspensions de ce délai, n’est pas de nature à rendre en pratique impossible ou, à tout le moins, excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union.

49

En effet, la suspension du délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir cette taxe pendant toute la durée des contrôles juridictionnels n’empêche nullement cet assujetti de se prévaloir des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union et, notamment, par la directive 2006/112, mais vise, au contraire, à permettre audit assujetti de faire utilement valoir les droits qu’il tire du droit de l’Union, tout en préservant ceux de l’administration fiscale.

50

D’ailleurs, en l’occurrence, il ressort de la description des faits figurant dans la demande de décision préjudicielle que la requérante au principal a pu introduire des recours contre les décisions successivement prises par l’administration fiscale et, à ces occasions renouvelées, faire valoir les droits qu’elle tire du droit de l’Union. En particulier, malgré l’existence de la réglementation et de la pratique administrative en cause au principal, cette requérante a pu se prévaloir, sur le fondement du principe de sécurité juridique, de l’obligation, pour les États membres, de prévoir un délai raisonnable de prescription dans lequel cette administration peut rouvrir la procédure d’examen de la situation d’un assujetti. Ainsi, il ressort du dossier dont dispose la Cour, et cela a été confirmé, au demeurant, lors de l’audience devant la Cour tant par le gouvernement hongrois que par la requérante au principal, que le droit de l’administration fiscale d’établir la TVA due sur les opérations survenues au mois de juin 2010 s’est éteint, sans que celle-ci soit parvenue à émettre un avis rectificatif conforme aux dispositions de la directive 2006/112.

51

Dès lors, il y a lieu de constater que le principe d’effectivité ne s’oppose pas non plus à une réglementation nationale et à une pratique administrative prévoyant que le délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir la TVA est suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels, et ce quel que soit le nombre de fois où la procédure fiscale administrative concernée a dû être réitérée à la suite de ces contrôles et sans limitation de la durée cumulée des suspensions de ce délai.

52

En troisième lieu, il convient de relever, à l’instar de M. l’avocat général aux points 60 à 65 de ses conclusions, que la circonstance que ni le principe de sécurité juridique ni le principe d’effectivité ne s’opposent à une telle réglementation et à une telle pratique administrative n’exclut pas que, le cas échéant, le droit de l’Union impose que soient tirées certaines conséquences de la réitération d’un nombre excessif de procédures fiscales avant de parvenir à une décision conforme à la directive 2006/112 ou du caractère excessif de la durée cumulée des suspensions du délai dans lequel se prescrit ce droit de l’administration fiscale.

53

En effet, dès lors qu’une administration nationale met en œuvre le droit de l’Union à l’égard d’une personne, cette dernière jouit, en vertu du droit à une bonne administration qui reflète un principe du droit de l’Union, du droit à ce que sa situation soit traitée dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Agrobet CZ, C-446/18, EU:C:2020:369, point 43), puis, en cas de recours juridictionnel, du droit à ce que, conformément à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sa cause soit jugée également dans un délai raisonnable.

54

Par conséquent, une fois rouverte la procédure d’examen de la situation d’un assujetti au regard des règles du système commun de la TVA, le principe de bonne administration et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exigent que les durées d’un tel réexamen et, le cas échéant, des contrôles juridictionnels subséquents ne soient pas déraisonnables au regard des circonstances propres à chaque affaire.

55

Or, si toute tentative infructueuse de l’administration fiscale de se conformer à une décision juridictionnelle faisant application de dispositions du droit de l’Union, et, par suite, l’allongement de la durée de la procédure administrative en ayant résulté, ne saurait caractériser une violation du droit de l’Union, tel pourrait être le cas, en revanche, lorsque cette procédure administrative a dû être réitérée en raison de la méconnaissance manifeste, par cette administration, d’un motif décisif d’une décision juridictionnelle portant sur ladite procédure administrative, pour autant que ce motif ait été énoncé de manière claire et explicite dans cette décision juridictionnelle.

56

Cela étant, il convient de rappeler que la durée excessive d’une procédure, qu’elle soit administrative ou juridictionnelle, n’est susceptible de justifier l’annulation de la décision prise à son terme que dans l’hypothèse où cette durée a eu une incidence sur la capacité de la personne concernée à se défendre (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2013, Gascogne Sack Deutschland/Commission, C-40/12 P, EU:C:2013:768, point 81, et du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C-414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, point 84).

57

Dans la mesure où, au cours du délai de prescription, les assujettis doivent s’attendre à ce que leur situation juridique née sur base de leur déclaration puisse être remise en cause, puis, lorsque l’administration fiscale les informe de la réouverture de la procédure d’examen de cette situation, à ce qu’ils puissent être conduits à devoir justifier les informations figurant dans leur déclaration fiscale et, enfin, lorsqu’ils introduisent un recours contre l’avis rectificatif émis à l’issue de cette procédure, à ce qu’ils doivent établir le bien-fondé de leur allégation au moyen d’une offre de preuves, il leur revient de veiller à conserver toutes les pièces justificatives pertinentes afférentes à leur déclaration jusqu’à ce que les décisions de taxation deviennent définitives. Étant donné le rôle prédominant de la déclaration et des preuves documentaires dans le système commun de la TVA aux fins d’établir l’exactitude des déclarations des assujettis, ce n’est donc que dans des circonstances exceptionnelles qu’il pourrait être établi que la durée excessive d’une procédure administrative ou juridictionnelle est susceptible d’avoir eu une incidence sur la capacité de la personne concernée à se défendre.

58

En l’occurrence, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que l’appréciation de la validité de la troisième décision administrative de second degré par la juridiction de renvoi dépendrait exclusivement d’éléments de preuve non couverts par l’obligation rappelée au point précédent et qui, en raison de la réitération des procédures fiscales ou de la durée cumulée des suspensions du délai de prescription, auraient depuis lors disparu.

59

Il appartient néanmoins à cette juridiction de déterminer si, compte tenu, notamment, des circonstances de l’espèce, ces multiples réitérations de la procédure administrative et suspensions du délai de prescription peuvent caractériser un manquement, par l’administration fiscale ou par les juridictions nationales, à leurs obligations, respectivement, de bonne administration et de statuer dans un délai raisonnable ayant eu, de surcroît, une incidence sur la capacité de la personne concernée à se défendre.

60

Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que les principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre et à la pratique administrative qui y est relative, en vertu desquelles, en matière de TVA, le délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir cette taxe est suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels, indépendamment du nombre de fois où la procédure fiscale administrative a dû être réitérée à la suite de ces contrôles et sans limitation de la durée cumulée des suspensions de ce délai, y compris dans le cas où la juridiction statuant sur une décision de l’autorité fiscale concernée prise dans le cadre d’une procédure réitérée, faisant suite à une décision juridictionnelle antérieure, constate que cette autorité fiscale ne s’est pas conformée aux orientations figurant dans cette décision juridictionnelle.

Sur les dépens

61

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

Les principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre et à la pratique administrative qui y est relative, en vertu desquelles, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, le délai dans lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir cette taxe est suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels, indépendamment du nombre de fois où la procédure fiscale administrative a dû être réitérée à la suite de ces contrôles et sans limitation de la durée cumulée des suspensions de ce délai, y compris dans le cas où la juridiction statuant sur une décision de l’autorité fiscale concernée prise dans le cadre d’une procédure réitérée, faisant suite à une décision juridictionnelle antérieure, constate que cette autorité fiscale ne s’est pas conformée aux orientations figurant dans cette décision juridictionnelle.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.