ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
30 mars 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 2, paragraphe 1, sous c) – Prestation de services effectuée à titre onéreux – Article 9, paragraphe 1 – Notions d’“assujetti” et d’“activité économique” – Commune organisant gratuitement le désamiantage au bénéfice de ses résidents, propriétaires d’un bien immeuble, qui en ont manifesté le souhait – Remboursement de la commune par une subvention de la voïvodie compétente à hauteur de 40 % à 100 % des coûts – Article 13, paragraphe 1 – Absence d’assujettissement des communes pour les activités ou les opérations accomplies en tant qu’autorités publiques »
Dans l’affaire C-616/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 16 avril 2021, parvenue à la Cour le 5 octobre 2021, dans la procédure
Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej
contre
Gmina L.,
LA COUR (septième chambre),
composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. N. Wahl (rapporteur) et J. Passer, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
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pour le Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej, par M. B. Kołodziej, Mme D. Pach et M. T. Wojciechowski, |
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pour la Gmina L., par Mme R. Majerowska, radca prawny, |
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pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent, |
– |
pour la Commission européenne, par MM. Ł. Habiak et V. Uher, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 10 novembre 2022,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, de l’article 9, paragraphe 1, et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Gmina L. (commune de L.), située en Pologne, au Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej (directeur de l’information nationale du Trésor, Pologne) au sujet d’un rescrit fiscal adressé à cette commune concernant l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des opérations d’enlèvement de l’amiante auxquelles elle a fait procéder et le droit à déduction de la TVA ayant grevé en amont ces opérations. |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 |
L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112 prévoit : « Sont soumises à la TVA les opérations suivantes : [...]
[...] » |
4 |
L’article 9, paragraphe 1, de cette directive dispose : « Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. » |
5 |
Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, de ladite directive : « Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance. En tout état de cause, les organismes de droit public ont la qualité d’assujettis pour les activités figurant à l’annexe I et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables. » |
6 |
L’article 28 de la même directive est rédigé comme suit : « Lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question. » |
Le droit polonais
7 |
L’ustawa o samorządzie gminnym (loi sur les communes), du 8 mars 1990 (Dz. U de 1990, no 16, position 95), dans sa version applicable au litige au principal, comprend un article 7, dont le paragraphe 1 est ainsi libellé : « La satisfaction des besoins collectifs de la communauté relève des missions propres aux communes. Les missions propres comprennent notamment les questions :
[...]
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8 |
L’ustawa Prawo ochrony środowiska (loi relative à la protection de l’environnement), du 27 avril 2001 (Dz. U de 2001, no 62, position 627), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit, à son article 400, paragraphe 2 : « Les fonds de voïvodie pour la protection de l’environnement et la gestion de l’eau, ci-après les “fonds de voïvodie”, sont des personnes morales agissant au niveau local [...] » |
9 |
L’article 400b, paragraphes 2 et 2a, de cette loi dispose : « 2. Les fonds de voïvodie ont pour objet de financer la protection de l’environnement et la gestion de l’eau dans le cadre défini à l’article 400a, paragraphe 1, points 2, 2a, 5 à 9 a, 11 à 22 et 24 à 42. 2a. L’objectif du fonds national et des fonds de voïvodie est également de créer les conditions de mise en œuvre du financement de la protection de l’environnement et de la gestion de l’eau, notamment en soutenant et en promouvant les activités visant à cette mise en œuvre, ainsi qu’en coopérant avec d’autres entités, y compris les collectivités locales, les entreprises et les entités établies en dehors de la République de Pologne. » |
10 |
L’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et services), du 11 mars 2004 (Dz. U. de 2004, no 54, position 535), dans sa version applicable au litige au principal, vise à transposer dans le droit polonais la directive 2006/112. |
11 |
L’article 5 de cette loi énonce : « Sont soumises à la taxe sur les biens et les services [...] :
[...] » |
12 |
L’article 15 de ladite loi prévoit ce qui suit : « 1. Sont considérés comme assujettis les personnes morales, les organismes n’ayant pas la personnalité juridique et les personnes physiques qui accomplissent, d’une façon indépendante, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. 2. Est considérée comme activité économique toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales. Est notamment considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. [...] 6. Ne sont pas considérés comme assujettis les organes d’autorités publiques et les bureaux de ces organes en ce qui concerne les missions instituées par des dispositions spécifiques et pour la réalisation desquelles ils ont été désignés, à l’exclusion des opérations réalisées en vertu de contrats de droit privé. » |
Le litige au principal et la question préjudicielle
13 |
Dans le cadre du programme d’élimination de l’amiante en Pologne, élaboré en application d’une résolution du conseil des ministres de la République de Pologne du 14 juillet 2009, relative à l’établissement d’un programme pluriannuel intitulé « Programme de désamiantage du pays pour les années 2009-2032 », le conseil municipal de la commune de L. a confié au maire de cette commune, par la résolution 227/VI/2019, du 26 avril 2019, intitulée « Mise à jour du programme de désamiantage de la ville de L. pour la période 2018 à 2032 », le soin de mettre en œuvre des actions en ce sens. |
14 |
Selon l’annexe de cette dernière résolution, ces actions consistent à retirer les produits et les déchets contenant de l’amiante des immeubles d’habitation et de commerce, à l’exception des biens immobiliers sur lesquels est exercée une activité économique. Il est également prévu, dans ladite annexe, que les habitants concernés ne supporteront aucun coût à l’occasion de l’opération de désamiantage, la commune de L. se chargeant du financement, avec l’aide du Wojewódzki Fundusz Ochrony Środowiska i Gospodarki Wodnej (fonds de voïvodie pour la protection de l’environnement et la gestion de l’eau, ci-après le « fonds pour la protection de l’environnement »). |
15 |
Par l’arrêté 62/9/2019, du 23 septembre 2019, relatif à l’établissement des modalités précises de mise en œuvre de cette résolution et à l’institution d’une commission chargée d’examiner les demandes d’élimination de produits et déchets contenant de l’amiante, le maire de la commune de L. a exposé les aspects pratiques des opérations de désamiantage. D’une part, cette commune envisageait de passer un appel d’offres afin de faire réaliser ces travaux, le soumissionnaire retenu devant émettre des factures incluant la TVA. D’autre part, sur la foi de ces factures acquittées par elle, ladite commune entendait par la suite obtenir de ce fonds des subventions, d’un montant couvrant entre 40 % et 100 % des dépenses exposées en fonction du respect des conditions fixées par ledit fonds. |
16 |
Dans ce contexte, le 7 janvier 2020, la commune de L., qui dispose d’un numéro d’immatriculation à la TVA, a adressé au directeur de l’information nationale du Trésor une demande de rescrit fiscal, afin de déterminer si elle serait assujettie à la TVA dans le cadre de ces opérations, ladite commune estimant que tel n’est pas le cas, de telles opérations étant, selon elle, effectuées en sa qualité d’autorité publique. |
17 |
Dans son rescrit fiscal du 13 mars 2020, le directeur de l’information nationale du Trésor a estimé que la commune de L. agirait en tant qu’assujettie à la TVA et que, en conséquence, elle devrait être autorisée à déduire la TVA acquittée en amont. |
18 |
Cette commune a contesté ce rescrit fiscal devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Lublinie (tribunal administratif de voïvodie de Lublin, Pologne) et en a obtenu l’annulation. Par un arrêt du 21 juillet 2020, ce tribunal a considéré, en substance, que ladite commune agirait en tant qu’autorité publique dans le cadre d’une mission instituée par des dispositions spécifiques et pour la réalisation desquelles elle avait été désignée, et non en tant qu’assujettie à la TVA. |
19 |
Le directeur de l’information nationale du Trésor s’est pourvu en cassation contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi. |
20 |
C’est dans ces conditions que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante : « Les dispositions de la directive [2006/112], en particulier l’article 2, paragraphe 1, l’article 9, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, de cette directive, doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles imposent de considérer une commune (une autorité publique) comme assujettie à la TVA, dans le cadre de la mise en œuvre d’un programme de désamiantage de biens immeubles situés sur son territoire et appartenant à ses résidents, lesquels ne supportent aucune dépense à ce titre, ou cette opération constitue-t-elle une activité accomplie par la commune, en tant qu’autorité publique, en vue de réaliser ses missions visant à protéger la santé et la vie de ses résidents et à protéger l’environnement, activité pour laquelle cette commune n’est pas considérée comme assujettie à la TVA ? » |
Sur la question préjudicielle
21 |
Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, l’article 9, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens que constitue une prestation de services soumise à la TVA le fait pour une commune de faire procéder par une entreprise à des opérations de désamiantage et de collecte des produits et des déchets amiantés, au profit de ses résidents propriétaires qui en ont manifesté le souhait, lorsqu’une telle activité ne vise pas à l’obtention de recettes présentant un caractère de permanence et ne donne lieu, de la part de ces résidents, à aucun paiement, ces opérations étant financées par des fonds publics. |
22 |
Il convient d’emblée de rappeler qu’il appartient à la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer la nature des opérations en cause au principal (arrêt du 13 janvier 2022, Termas Sulfurosas de Alcafache, C-513/20, EU:C:2022:18, point 36). |
23 |
Cela étant, il incombe néanmoins à la Cour de fournir à cette juridiction tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie (arrêt du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, C-846/19, EU:C:2021:277, point 35 ainsi que jurisprudence citée). |
24 |
À cet égard, pour relever de la directive 2006/112, l’offre de désamiantage de certains biens immeubles présentée par une commune à ses résidents propriétaires doit, d’une part, constituer une prestation de services que cette commune effectue à titre onéreux pour ces derniers, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive, et, d’autre part, avoir été effectuée dans le cadre d’une activité économique, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive, de telle sorte que ladite commune ait également agi en qualité d’assujettie. |
Sur l’existence d’une prestation de services effectuée à titre onéreux
25 |
Selon une jurisprudence constante, pour qu’une prestation de services soit effectuée « à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112, un lien direct doit exister entre cette prestation de services, d’une part, et une contrepartie réellement reçue par l’assujetti, d’autre part. Un tel lien direct est établi lorsqu’il existe entre l’auteur de ladite prestation de services, d’une part, et leur bénéficiaire, d’autre part, un rapport juridique dans le cadre duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par l’auteur de ces opérations constituant la contre-valeur effective du service fourni à ce bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, C-846/19, EU:C:2021:277, point 36 ainsi que jurisprudence citée). |
26 |
En l’occurrence, il ressort des précisions apportées par la juridiction de renvoi que la commune de L. entend charger une entreprise d’effectuer, auprès de ses résidents qui sont propriétaires de biens immeubles contenant de l’amiante, sur demande de leur part, des opérations de désamiantage et de collecte des produits et des déchets amiantés. À cet égard, il y a lieu d’indiquer que ces opérations constituent une prestation de services, au sens de l’article 24, paragraphe 1, de cette directive. |
27 |
Toutefois, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer quel est l’auteur et quel est le preneur de cette prestation de services. |
28 |
À cet égard, il résulte de la décision de renvoi qu’un contrat doit être passé entre la commune de L. et l’entreprise que celle-ci aura sélectionnée, portant sur les opérations mentionnées au point 26 du présent arrêt, et que cette commune recevra à ce titre, de ladite entreprise, une facture qu’elle acquittera seule, les résidents concernés n’effectuant aucun paiement en contrepartie du désamiantage et de la collecte des produits et des déchets amiantés. |
29 |
Il convient donc de relever que l’avantage procuré à ladite commune en contrepartie du paiement réside non seulement, à l’égard des résidents concernés, dans l’élimination du danger pour la santé et la vie humaines résultant de l’exposition à l’amiante, mais également, plus largement, dans l’amélioration de la qualité de vie sur le territoire qu’administre la commune de L. |
30 |
Toutefois, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’administration fiscale polonaise considère que les résidents concernés étant les premiers bénéficiaires de l’avantage procuré par ladite prestation de services, à savoir le désamiantage de leurs biens immeubles, ces résidents devraient être considérés comme ayant mandaté la commune de L., qui aurait alors agi en tant que commissionnaire, au sens de l’article 28 de la directive 2006/112. |
31 |
En vertu de cette disposition, lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre, mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question. Partant, si cette commune, en tant que commissionnaire, charge l’entreprise en question d’éliminer l’amiante, en son nom propre mais pour le compte des résidents concernés, elle sera traitée, au regard de la TVA, comme si elle avait elle-même effectué le désamiantage chez ces derniers. |
32 |
Or, il ne ressort pas des éléments transmis par la juridiction de renvoi et sous réserve de la qualification des faits par celle-ci que l’article 28 de la directive 2006/112 trouve à s’appliquer dans l’affaire au principal, étant donné que, selon la jurisprudence, cette disposition requiert qu’il existe un mandat en exécution duquel le commissionnaire intervient, pour le compte du commettant, dans la prestation de services, ce qui implique la conclusion, entre le commissionnaire et le commettant, d’un accord ayant pour objet l’attribution du mandat concerné (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2020, ITH Comercial Timişoara, C-734/19, EU:C:2020:919, points 51 et 52). |
33 |
Ainsi, en acceptant de participer à la démarche communale d’enlèvement de l’amiante de leurs biens immeubles, les propriétaires concernés se bornent à introduire une demande auprès de la commune de L., qui vérifie si ces biens sont éligibles à l’opération de désamiantage. Par conséquent, ils ne chargent pas cette commune d’éliminer l’amiante pour leur compte, mais espèrent être bénéficiaires du programme de désamiantage. C’est donc ladite commune, et non les propriétaires concernés, qui décide du succès de cette démarche. En dehors de la présentation d’une demande, ceux-ci n’ont pas d’influence sur la réalisation de la prestation de services. |
34 |
Par conséquent, si, au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu d’indiquer que les conditions d’application de l’article 28 de la directive 2006/112 ne sont pas remplies dans une situation telle que celle de la présente affaire et, partant, que la commune de L. n’a pas agi au nom de ses résidents concernés, il reste à déterminer, cependant, si elle peut être considérée comme l’auteur de la prestation de services en cause au principal, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive. |
35 |
D’une part, il convient de rappeler que, pour qu’une prestation de services puisse être considérée comme effectuée « à titre onéreux », au sens de la directive 2006/112, il n’est pas nécessaire que la contrepartie de cette prestation de services soit obtenue directement de la part du destinataire de celle-ci, cette contrepartie pouvant également être obtenue d’un tiers (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, C-846/19, EU:C:2021:277, point 40 ainsi que jurisprudence citée). |
36 |
D’autre part, le fait qu’une prestation de service soit effectuée à un prix supérieur ou inférieur au prix de revient, et, partant, à un prix supérieur ou inférieur au prix normal du marché, est sans pertinence s’agissant de la qualification d’opération à titre onéreux, une telle circonstance n’étant pas de nature à affecter le lien direct entre la prestation de services effectuée ou à effectuer et la contrepartie reçue ou à recevoir dont le montant est déterminé à l’avance et selon des critères bien établis (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, C-846/19, EU:C:2021:277, point 43 ainsi que jurisprudence citée). |
37 |
Par suite, n’est pas dirimant, au vu de la jurisprudence citée aux points 25, 35 et 36 du présent arrêt, le fait que la commune de L. prenne elle-même à sa charge, dans un premier temps, la totalité du coût de la prestation de services effectuée, au prix du marché, par l’entreprise sélectionnée et que, le cas échéant, dans un second temps, un tiers, à savoir la voïvodie concernée, par l’intermédiaire du fonds pour la protection de l’environnement, rembourse cette commune au moyen d’une subvention couvrant entre 40 % et 100 % de ce coût. |
38 |
Dans la mesure où le remboursement de ladite commune par ce fonds est subordonné à l’accomplissement de l’opération de désamiantage, laquelle, sous réserve de l’appréciation des faits par la juridiction de renvoi, n’aurait pas été envisagée par la même commune sans le concours dudit fonds, il y a lieu de considérer qu’il existe, nonobstant l’absence de contrat entre le même fonds et les résidents concernés de la commune de L., un lien direct, au sens de la jurisprudence citée au point 25 du présent arrêt, la prestation de services et sa contre-valeur étant mutuellement liées, puisque l’une n’est effectuée qu’à la condition que l’autre le soit également, et réciproquement (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2020, San Domenico Vetraria, C-94/19, EU:C:2020:193, point 26 et jurisprudence citée). |
39 |
Il y a donc lieu de considérer que deux prestations de services coexistent en l’occurrence, à savoir, d’une part, celle assurée par l’entreprise sélectionnée et payée par la commune de L. et, d’autre part, celle dont, premièrement, l’auteur est cette commune, deuxièmement, les bénéficiaires sont les résidents concernés de cette dernière et qui a, troisièmement, pour contrepartie la subvention versée à ladite commune par le fonds pour la protection de l’environnement. |
40 |
Il n’est pas douteux que la première de ces prestations de services correspond à la définition d’une prestation effectuée à titre onéreux, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112. Si, au regard des considérations exposées aux points 35 à 38 du présent arrêt, la juridiction de renvoi devait parvenir à la même conclusion, au terme de son appréciation des faits, concernant la seconde desdites prestations, c’est-à-dire celle dont la commune de L. est l’auteur, il lui incomberait de déterminer si cette prestation de services est accomplie dans le cadre d’une activité économique, étant donné que, selon la jurisprudence, une activité peut être qualifiée d’« activité économique », au sens de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de cette directive, uniquement si elle correspond à l’une des opérations visées à l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive (arrêt du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, C-846/19, EU:C:2021:277, point 32 ainsi que jurisprudence citée). |
Sur l’accomplissement d’une prestation de services dans le cadre d’une activité économique
41 |
D’emblée, il importe de rappeler que l’analyse du libellé de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112, tout en mettant en évidence l’étendue du champ d’application de la notion d’« activité économique », précise également le caractère objectif de celle-ci, en ce sens que l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats [arrêt du 25 février 2021, Gmina Wrocław (Conversion du droit d’usufruit), C-604/19, EU:C:2021:132, point 69 et jurisprudence citée]. |
42 |
Une activité est ainsi, en général, qualifiée d’« économique » lorsqu’elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l’auteur de l’opération (arrêt du 15 avril 2021, Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, C-846/19, EU:C:2021:277, point 47 ainsi que jurisprudence citée). |
43 |
Compte tenu de la difficulté d’élaborer une définition précise de l’activité économique, il convient d’analyser l’ensemble des conditions dans lesquelles celle-ci est réalisée (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2016, Gemeente Borsele et Staatssecretaris van Financiën, C-520/14, EU:C:2016:334, point 29 ainsi que jurisprudence citée), en procédant à une appréciation au cas par cas, par référence à ce que serait le comportement type d’un entrepreneur actif dans le domaine concerné, c’est-à-dire, en l’occurrence, une entreprise de désamiantage. |
44 |
À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que, tandis qu’un entrepreneur vise à retirer de son activité des recettes ayant un caractère de permanence (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2021, AJFP Sibiu et DGRFP Braşov, C-655/19, EU:C:2021:40, points 27 à 29 ainsi que jurisprudence citée), la commune de L. n’emploie pas de personnel pour le désamiantage et ne recherche pas de clients, mais se borne à mettre en place, dans le cadre d’un programme défini à l’échelon national, des opérations de désamiantage, qui interviendront après que les propriétaires de biens immeubles sis sur le territoire communal et susceptibles d’être concernés par ce programme auront manifesté leur souhait d’en bénéficier et y auront été jugés éligibles. En outre, par définition, une opération de désamiantage dans une commune donnée ne présente pas un caractère récurrent, ce qui différencie la présente affaire de celles dans lesquelles les prestations communales revêtaient un caractère pérenne. |
45 |
Deuxièmement, il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi que la commune de L. proposera le désamiantage des biens concernés ainsi que la collecte des produits et des déchets amiantés gratuitement, alors qu’elle aura, au préalable, rémunéré l’entreprise en question au prix du marché. |
46 |
Or, la Cour a déjà eu l’occasion de juger que, lorsqu’une commune ne récupère qu’une faible partie des frais qu’elle a engagés, le solde étant financé par des fonds publics, une telle différence entre ces frais et les montants perçus en contrepartie des services offerts est de nature à exclure l’existence d’une rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2016, Gemeente Borsele et Staatssecretaris van Financiën, C-520/14, EU:C:2016:334, point 33 ainsi que jurisprudence citée). Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’occurrence, la contrepartie versée par les bénéficiaires de la prestation de services est inexistante. |
47 |
Par conséquent, même en prenant en compte les subventions allouées à la commune de L. par le fonds pour la protection de l’environnement, qui portent sur 40 % à 100 % des coûts engagés, la nature d’une telle prestation de services ne correspond pas à la démarche qu’aurait adoptée, le cas échéant, une entreprise de désamiantage, laquelle se serait efforcée, par la fixation de ses prix, d’absorber ses coûts et de dégager une marge bénéficiaire. De plus, les coûts liés à l’organisation, par ladite commune, de la campagne de désamiantage auprès de ses résidents ne sont pas remboursés, seules les opérations déléguées à l’entreprise sélectionnée l’étant. Aussi, la même commune ne supporte que des risques de pertes, sans avoir de perspective de profit. |
48 |
Troisièmement, il n’apparaît pas économiquement viable, pour une telle entreprise de désamiantage, de ne rien faire supporter aux bénéficiaires de ses prestations de services des coûts qu’elle a exposés, tout en restant dans l’attente d’une compensation partielle, par voie de subvention, de ces coûts. Non seulement un tel mécanisme placerait sa trésorerie dans une situation structurellement déficitaire, étant donné, tout d’abord, l’absence de marge profitable, ensuite, l’absence de remboursement des coûts liés à l’organisation de la campagne de désamiantage et, enfin, la fluctuation importante du pourcentage des remboursements, ceux-ci pouvant osciller entre 40 % et 100 % des sommes versées à l’entreprise sélectionnée, mais, en outre, ce mécanisme ferait peser sur elle une incertitude inhabituelle pour un assujetti, puisque la question de savoir si, et dans quelle mesure, un tiers remboursera une part aussi importante des coûts encourus reste effectivement ouverte jusqu’à la décision de ce tiers, postérieure aux opérations en cause. |
49 |
Par conséquent, il n’apparaît pas, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que la commune de L. accomplisse, en l’occurrence, une activité revêtant un caractère économique, au sens de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2006/112. |
Sur l’absence d’assujettissement découlant de l’accomplissement d’opérations par un organisme de droit public en tant qu’autorité publique
50 |
La commune de L. n’exerçant pas, au regard des considérations exposées aux points 41 à 49 du présent arrêt, une activité entrant dans le champ d’application de la directive 2006/112, il n’est pas nécessaire de déterminer si cette activité aurait également été exclue de ce champ d’application conformément à l’article 13, paragraphe 1, de cette directive. |
51 |
Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 2, paragraphe 1, l’article 9, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens que ne constitue pas une prestation de services soumise à la TVA le fait pour une commune de faire procéder par une entreprise à des opérations de désamiantage et de collecte des produits et des déchets amiantés, au profit de ses résidents propriétaires qui en ont manifesté le souhait, lorsqu’une telle activité ne vise pas à l’obtention de recettes présentant un caractère de permanence et ne donne lieu, de la part de ces résidents, à aucun paiement, ces opérations étant financées par des fonds publics. |
Sur les dépens
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La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit : |
L’article 2, paragraphe 1, l’article 9, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, |
doivent être interprétés en ce sens que : |
ne constitue pas une prestation de services soumise à la taxe sur la valeur ajoutée le fait pour une commune de faire procéder par une entreprise à des opérations de désamiantage et de collecte des produits et des déchets amiantés, au profit de ses résidents propriétaires qui en ont manifesté le souhait, lorsqu’une telle activité ne vise pas à l’obtention de recettes présentant un caractère de permanence et ne donne lieu, de la part de ces résidents, à aucun paiement, ces opérations étant financées par des fonds publics. |
Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : le polonais.