ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
2 mars 2023 (*)
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 138, paragraphe 1 – Exonérations liées aux opérations intracommunautaires – Livraisons de biens – Principes de neutralité fiscale, d’efficacité et de proportionnalité – Satisfaction des exigences de fond – Délai de présentation des preuves »
Dans l’affaire C-664/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie), par décision du 13 octobre 2021, parvenue à la Cour le 5 novembre 2021, dans la procédure
Nec Plus Ultra Cosmetics AG
contre
Republika Slovenija
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. D. Gratsias, président de chambre, MM. I. Jarukaitis et Z. Csehi (rapporteur), juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Nec Plus Ultra Cosmetics AG, par Me I. Kranjec, odvetnik,
– pour la Commission européenne, par Mmes J. Jokubauskaitė et B. Rous Demiri, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 131 et de l’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), ainsi que des principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Nec Plus Ultra Cosmetics AG (ci-après « Nec ») à la Republika Slovenija (République de Slovénie), représentée par le Ministrstvo za finance (ministère des Finances, Slovénie), au sujet d’un redressement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 131 de la directive 2006/112, unique disposition du chapitre 1 de son titre IX, intitulé « Exonérations », dispose :
« Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. »
4 L’article 138, paragraphe 1, de cette directive, lequel s’insère dans le chapitre 4 de son titre IX, est libellé comme suit :
« Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens. »
Le droit slovène
5 L’article 46, paragraphe 1, du zakon o davku na dodano vrednost (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée), du 4 février 2011 (Uradni listRS, no 13/11), dans sa version applicable à la date des faits au principal, prévoyait :
« Sont exonérées du paiement de la TVA :
1. les livraisons de biens expédiés ou transportés hors du territoire de la Slovénie dans un autre État membre par le vendeur ou l’acquéreur des biens, ou par une autre personne pour leur compte, si elles sont effectuées au profit d’un autre assujetti ou d’une personne morale, autre qu’un assujetti, qui agit en tant que tel dans cet autre État membre ».
6 L’article 140 du zakon o davčnem postopku (loi relative à la procédure fiscale) (Uradni list RS, no 13/11) (ci-après le « ZDavP-2 ») dispose :
« (1) L’autorité fiscale établit, dans les 10 jours qui suivent la fin du contrôle fiscal, un procès-verbal qu’elle notifie à l’assujetti. Le procès-verbal contient l’ensemble des faits constatés, incluant les faits et circonstances pertinents aux fins de la décision. Le procès-verbal avertit l’assujetti de la possibilité de présenter et de prendre en compte les nouveaux faits et éléments de preuve visés au paragraphe 2 du présent article. L’assujetti peut soumettre des observations sur le procès-verbal au plus tard 20 jours après la notification du procès-verbal et il doit être informé de cette possibilité dans le procès-verbal. Le délai de soumission des observations est prorogé à la demande de l’assujetti avant l’expiration du délai si des motifs justifiés de prorogation sont présentés. Il est statué sur la prorogation du délai par décision. Une nouvelle prorogation du délai n’est pas autorisée.
(2) L’assujetti peut, dans ses observations sur le procès-verbal visé au paragraphe 1 du présent article, produire de nouveaux faits et éléments de preuve, mais il doit exposer la raison pour laquelle il ne les a pas déjà présentés avant l’émission du procès-verbal. L’autorité fiscale établit un procès-verbal complémentaire dans les 30 jours suivant la réception des observations si celles-ci ont une incidence sur le montant des obligations fiscales. Les nouveaux faits et éléments de preuve ne sont pris en compte que s’ils existaient avant l’émission du procès-verbal et que l’assujetti ne pouvait raisonnablement pas les mentionner et les produire avant l’émission du procès-verbal. Le premier paragraphe du présent article s’applique à la notification et à la soumission d’observations sur le procès-verbal complémentaire. »
7 Aux termes de l’article 141, paragraphe 1, du ZDavP-2 :
« Après la fin du contrôle fiscal, l’autorité fiscale émet une décision d’imposition conformément à l’article 84 de la présente loi ou une décision sur la constatation d’irrégularités sans incidence sur le montant des obligations fiscales. »
8 L’article 238, paragraphe 3, du zakon o splošnem upravnem postopku (loi relative à la procédure administrative générale) (Uradni list RS, no 24/06) prévoit :
« Le réclamant peut mentionner de nouveaux faits et éléments de preuve dans la réclamation, mais il doit exposer la raison pour laquelle il ne les a pas déjà produits dans la procédure de premier niveau. Les nouveaux faits et éléments de preuve ne peuvent être pris en compte comme motifs de réclamation que s’ils existaient à la date d’adoption de la décision de premier niveau et si la partie ne pouvait raisonnablement pas les produire ou les mentionner à l’audience. »
9 L’article 52 du zakon o upravnem sporu (loi relative au contentieux administratif) (Uradni list RS, no 105/06) dispose :
« Le requérant peut mentionner de nouveaux faits et éléments de preuve dans la requête, mais il doit exposer la raison pour laquelle il ne les a pas déjà mentionnés dans le cadre de la procédure d’émission de l’acte administratif. Les nouveaux faits et éléments de preuve ne peuvent être pris en compte comme moyens que s’ils existaient à la date d’adoption de la décision de premier niveau dans le cadre de la procédure d’émission de l’acte administratif et si la partie ne pouvait raisonnablement pas les présenter ou les produire dans le cadre de la procédure d’émission de l’acte administratif. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 Nec, la requérante au principal, est une société établie en Suisse. Elle a livré, au cours de l’année 2017, des produits cosmétiques à un client établi en Croatie et, dans un cas, à un client établi en Roumanie. Selon les affirmations de Nec, ces marchandises, qui se trouvaient dans un entrepôt en Slovénie, ont été prises en charge par un acheteur en Croatie ou un tiers, agissant pour le compte de l’acheteur, et transportées de Slovénie vers un autre État membre, de sorte que les livraisons en question ont bénéficié de l’exonération du paiement de la TVA prévue pour la livraison de biens sur le territoire de l’Union européenne par l’article 46, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa version applicable à la date des faits au principal.
11 Dans le cadre d’une procédure de contrôle fiscal de la TVA due au titre de l’année 2017, la finančna uprava Republike Slovenije (administration fiscale de la République de Slovénie, ci-après l’« autorité fiscale de premier niveau ») a vérifié auprès de Nec les justificatifs et documents relatifs aux livraisons de biens et aux prestations de services effectuées dans d’autres États membres. Par décision du 14 février 2019, elle a invité Nec à présenter l’ensemble des documents relatifs aux livraisons en cause.
12 En réponse à cette décision, Nec a présenté des factures et des copies de bordereaux d’expédition démontrant l’existence de transports de biens depuis la Slovénie vers un autre État membre. Les bons de livraison et autres documents mentionnés sur les bordereaux d’expédition n’avaient, à ce stade, pas été produits devant l’autorité fiscale de premier niveau, Nec ayant indiqué qu’elle n’avait pas tous les documents et qu’elle essayait de les obtenir.
13 Le 1er avril 2019, l’autorité fiscale de premier niveau a émis un procès-verbal de contrôle fiscal et l’a notifié à Nec. Dans ses observations sur le procès-verbal, présentées dans le délai imparti à cet effet, Nec a produit des copies de devis et de bons de livraison, selon lesquels les biens en cause avaient été livrés dans un autre État membre que la Slovénie. En outre, Nec a justifié la présentation tardive de ces preuves en faisant valoir que son bureau de Hambourg (Allemagne), qui était responsable des livraisons en Croatie, avait cessé ses activités au mois d’août 2018 et ne lui avait pas remis toute la documentation nécessaire dans le délai imparti.
14 Le 30 mai 2019, l’autorité fiscale de premier niveau a adopté une décision d’imposition, clôturant la procédure administrative de premier niveau, par laquelle elle a réclamé à Nec le paiement d’un montant complémentaire de TVA au titre de l’année 2017. À cet effet, elle a constaté que Nec n’avait pas démontré, au moyen de factures et de bordereaux d’expédition, que les biens en cause avaient effectivement été transportés vers un autre État membre que la Slovénie. Elle a donc estimé que les conditions d’exonération de la TVA sur les livraisons concernées n’étaient pas remplies. Dans ce contexte, elle n’a pas pris en compte, en raison de leur présentation tardive et en application de l’article 140, paragraphe 2, du ZDavP-2, les éléments de preuve présentés à la suite de l’émission du procès-verbal.
15 La réclamation introduite par Nec contre la décision d’imposition a été rejetée par le ministère des Finances, agissant en tant qu’autorité fiscale de second niveau, qui a confirmé l’analyse faite par l’autorité fiscale de premier niveau. De même, le recours introduit par Nec contre la décision de ce ministère a été rejeté par un jugement de l’Upravno sodišče (Tribunal administratif, Slovénie), pour des motifs comparables à ceux découlant des décisions des autorités fiscales.
16 Par la suite, Nec a demandé l’autorisation de former un pourvoi en révision contre ce jugement au Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie), qui est la juridiction de renvoi. Par une décision du 18 novembre 2020, celui-ci a partiellement accueilli cette demande, notamment en vue de résoudre une question juridique, qu’il estimait importante, concernant le point de savoir si la forclusion prévue à l’article 140, paragraphe 2, du ZDavP-2, frappant la production de preuve dans une procédure fiscale après l’émission d’un procès-verbal de contrôle fiscal, peut primer le principe de neutralité du système de TVA.
17 Le Vrhovno sodišče (Cour suprême) relève que la directive 2006/112 ne fixe pas la date après laquelle un fournisseur de biens ne peut plus présenter de preuve dans le cadre d’une procédure administrative ou d’une procédure judiciaire, aux fins d’établir que les conditions de l’exonération de TVA prévue à l’article 138, paragraphe 1, de cette directive sont remplies. Elle relève également que l’article 131 de ladite directive prévoit uniquement que les exonérations figurant aux chapitres 2 à 9 de la même directive s’appliquent dans des conditions fixées par les États membres.
18 Dans ce contexte, cette juridiction fait notamment référence à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing (C-294/20, EU:C:2021:723), dans laquelle la Cour aurait abordé une question similaire. Néanmoins, le cadre factuel et réglementaire qui prévalait dans cette affaire ne serait pas substantiellement comparable à celui du litige pendant devant la juridiction de renvoi. Dès lors, ladite juridiction se demande si la solution retenue dans cet arrêt peut également être appliquée dans ce litige.
19 À cet égard, elle considère que, dans le litige pendant devant elle, le principe de sécurité juridique se trouve suffisamment protégé par les délais de forclusion prévus pour introduire un recours après l’adoption de la décision d’imposition ainsi que par le régime applicable à la prise en compte de nouveaux faits et éléments de preuve dans le cadre de la procédure administrative de réclamation et de la procédure administrative contentieuse.
20 Dans ces conditions, le Vrhovno sodišče (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les dispositions de la directive 2006/112, notamment son article 131 et son article 138, paragraphe 1, ainsi que les principes du droit de l’Union, en particulier les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité, s’opposent-ils à une réglementation nationale qui interdit de produire et de recueillir de nouvelles preuves, établissant que les conditions de fond prévues à l’article 138, paragraphe 1, de cette directive sont remplies, déjà au cours de la procédure administrative de premier niveau, à savoir dans les observations sur le procès-verbal de contrôle fiscal qui est émis avant l’adoption de la décision d’imposition ? »
Sur la question préjudicielle
21 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 131 et l’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112, lus en combinaison avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité, s’opposent à une réglementation nationale qui interdit de produire et de recueillir de nouveaux éléments de preuve qui établissent que les conditions de fond prévues à l’article 138, paragraphe 1, de cette directive sont remplies, au cours de la procédure administrative qui a conduit à l’adoption de la décision d’imposition, en particulier après les opérations de contrôle fiscal mais avant l’adoption de cette décision.
22 Il ressort de la jurisprudence de la Cour en matière de droit à déduction de la TVA que le système commun de la TVA doit garantir la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA [voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2020, Commission/Allemagne (Remboursement de TVA – Factures), C-371/19, non publié, EU:C:2020:936, point 77].
23 La Cour a itérativement jugé que le droit à déduction et, partant, au remboursement fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. Ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont [arrêt du 18 novembre 2020, Commission/Allemagne (Remboursement de TVA – Factures), C-371/19, non publié, EU:C:2020:936, point 79 et jurisprudence citée].
24 Toujours en matière de droit à déduction de la TVA, la Cour a également jugé que le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction ou le remboursement de la TVA en amont soit accordé si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis. Il peut, cependant, en aller autrement si la violation de telles exigences formelles a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites [arrêt du 18 novembre 2020, Commission/Allemagne (Remboursement de TVA – Factures), C-371/19, non publié, EU:C:2020:936, points 80 et 81 ainsi que jurisprudence citée].
25 De telles considérations valent également en ce qui concerne les règles déterminant les opérations imposables à la TVA, et plus particulièrement les règles relatives à l’exonération de telles opérations comme celles figurant à l’article 131 et à l’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112, concernant l’exonération des livraisons intracommunautaires.
26 À cet égard, l’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112 prévoit que les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans l’Union par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.
27 Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le litige au principal porte non pas sur la violation d’exigences formelles qui empêcherait d’apporter la preuve que les exigences de fond du droit à l’exonération de la TVA pour les livraisons de biens en cause ont été satisfaites, mais sur la date à laquelle cette preuve peut être apportée.
28 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a jugé, en ce qui concerne les dispositions de la huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays (JO 1979, L 331, p. 11, ci-après la « huitième directive TVA »), s’agissant du droit au remboursement de la TVA, qu’elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au remboursement de la TVA peut être refusé lorsqu’un assujetti ne fournit pas, sans justification raisonnable et nonobstant les demandes d’information qui lui ont été adressées, les documents permettant de prouver que les conditions de fond pour obtenir ce remboursement sont remplies, avant que l’administration fiscale n’adopte sa décision. Toutefois, ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce que les États membres acceptent la fourniture de tels éléments de preuve après cette décision (arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing, C-294/20, EU:C:2021:723, point 58).
29 La Cour a également jugé que, dès lors qu’elle n’est pas régie par la huitième directive TVA, l’instauration de mesures nationales refusant de prendre en compte les éléments de preuve fournis après que la décision rejetant une demande de remboursement a été adoptée relève de l’ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing, C-294/20, EU:C:2021:723, point 59).
30 Sur ce fondement, la Cour a dit pour droit que les dispositions de la huitième directive TVA et les principes du droit de l’Union, en particulier le principe de neutralité fiscale, ne s’opposent pas à ce qu’une demande de remboursement de la TVA soit rejetée lorsque l’assujetti n’a pas, dans les délais impartis, présenté à l’administration fiscale compétente, même sur demande de cette dernière, tous les documents et les renseignements requis pour prouver son droit au remboursement de la TVA, indépendamment du fait que ces documents et renseignements ont été présentés par cet assujetti, de sa propre initiative, dans le cadre de la réclamation ou du recours juridictionnel contre la décision rejetant un tel droit à remboursement, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés (arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing, C-294/20, EU:C:2021:723, point 63 et dispositif).
31 Il convient de considérer que cette jurisprudence est applicable, par analogie, aux dispositions de la directive 2006/112 relatives à l’exonération des livraisons de biens expédiés ou transporté en dehors du territoire d’un État membre mais dans l’Union, en particulier à l’article 138, paragraphe 1, de cette directive.
32 Partant, eu égard à l’article 131 de la directive 2006/112, selon lequel les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 de cette directive, dont fait partie l’exonération prévue à l’article 138, paragraphe 1, de cette directive, s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions du droit de l’Union et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels, l’instauration de mesures nationales refusant de prendre en compte les éléments de preuve fournis, comme dans le litige au principal, dans le cadre d’un redressement de la TVA, relève de l’ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing, C-294/20, EU:C:2021:723, point 59 et jurisprudence citée).
33 S’agissant, en premier lieu, du principe d’effectivité, il convient de relever que la possibilité de fournir des preuves supplémentaires, dans le cadre d’une procédure de redressement de la TVA, sans aucune limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de sécurité juridique qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et à ses obligations à l’égard de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing, C-294/20, EU:C:2021:723, point 60 et jurisprudence citée).
34 Néanmoins, il convient de relever que l’absence de prise en compte des éléments de preuve établissant que les conditions pour l’exonération de la TVA en faveur des livraisons intracommunautaires de biens sont réunies conduit à une situation dans laquelle le principe de neutralité fiscale, dont l’importance pour le système commun de la TVA a été rappelée aux points 28 à 30 du présent arrêt et qui ne peut, en principe, être limité, est méconnu pour les activités économiques concernées.
35 Il s’ensuit que si, certes, le droit à l’exonération de la TVA peut être refusé dans certaines situations, notamment en raison de la présentation tardive par l’opérateur économique concerné des éléments de preuve nécessaires pour établir l’existence de ce droit après plusieurs rappels infructueux de l’administration fiscale et alors que la procédure se trouvait déjà à un stade contentieux, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing (C-294/20, EU:C:2021:723), il n’en reste pas moins que, lorsque l’administration fiscale refuse à un assujetti le bénéfice de l’exonération de la TVA à un stade précoce de la procédure d’imposition, elle doit garantir le strict respect du principe de neutralité fiscale.
36 Ainsi, si, dans une situation dans laquelle l’administration fiscale n’a pas encore adopté de décision d’imposition à l’égard d’un assujetti à la date à laquelle celui-ci fournit des éléments de preuve supplémentaires étayant le droit qu’il revendique, un refus de prendre en compte ces éléments peut, certes, être opposé à cet assujetti, il doit cependant être fondé sur des circonstances particulières comme, notamment, l’absence de toute justification du retard encouru ou le fait que le retard a entraîné des pertes de recettes fiscales.
37 En effet, le refus de prendre en compte des éléments de preuve à une date qui se situe avant l’adoption d’une telle décision d’imposition est susceptible de rendre excessivement difficile l’exercice des droits reconnus par l’ordre juridique de l’Union, dans la mesure où un tel refus restreint pour l’assujetti la possibilité de produire des éléments de preuve relatifs à la réunion des conditions de fond permettant d’obtenir une exonération de la TVA. Une réglementation nationale qui, à ce stade de la procédure d’imposition, ne permet pas à l’assujetti de fournir les preuves encore manquantes pour étayer le droit qu’il revendique et qui ne tient pas compte des explications éventuelles sur les raisons pour lesquelles ces preuves n’ont pas été fournies plus tôt apparaît ainsi difficilement conciliable avec le principe de proportionnalité et également avec le principe fondamental de neutralité de la TVA.
38 En l’occurrence, il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière des considérations qui précèdent, si le refus de prendre en compte ces éléments est ou non conforme au principe d’effectivité.
39 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi doit, notamment, tenir compte du fait que, selon ses propres indications, le procès-verbal de contrôle fiscal ne clôt pas la procédure de contrôle fiscal et ne constitue qu’un acte procédural intermédiaire qui vise uniquement à informer l’assujetti de la situation factuelle établie par l’autorité fiscale de premier niveau et de la possibilité de présenter des observations.
40 S’agissant de l’observation de la requérante au principal, selon laquelle la République de Slovénie aurait récemment entrepris de modifier la législation nationale en cause au principal, cette modification ayant, selon elle, notamment pour objet d’abroger la disposition prévoyant que les nouveaux faits et éléments de preuve ne sont pris en compte que s’ils existaient avant l’émission du procès-verbal et que l’assujetti ne pouvait raisonnablement pas les mentionner et les produire avant cette émission, il suffit de relever que cette partie n’allègue nullement que le cadre juridique applicable dans le litige au principal en sera affecté.
41 En second lieu, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le principe d’équivalence, qui exige que les dispositions procédurales nationales régissant l’exonération de la TVA pour les livraisons intracommunautaires de biens ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne, est respecté en l’occurrence (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing, C-294/20, EU:C:2021:723, point 62 et jurisprudence citée).
42 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 131 et l’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112, lus en combinaison avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui interdit de produire et de recueillir de nouveaux éléments de preuve qui établissent que les conditions de fond prévues à l’article 138, paragraphe 1, de cette directive sont remplies, au cours de la procédure administrative qui a conduit à l’adoption de la décision d’imposition, en particulier après les opérations de contrôle fiscal mais avant l’adoption de cette décision, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 131 et l’article 138, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lus en combinaison avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui interdit de produire et de recueillir de nouveaux éléments de preuve, qui établissent que les conditions de fond prévues à l’article 138, paragraphe 1, de cette directive sont remplies, au cours de la procédure administrative qui a conduit à l’adoption de la décision d’imposition, en particulier après les opérations de contrôle fiscal mais avant l’adoption de cette décision, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés.
Signatures
* Langue de procédure : le slovène.